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Feuille de route du tourisme: Des chiffres et des lettres

Feuille de route du tourisme: Des chiffres et des lettres

Le secteur touristique retrouve des couleurs, mais les performances restent toujours en deçà de celles d’avant-pandémie.

L’objectif de capter 26 millions de touristes à l’horizon 2030 semble être une gageure pour un secteur qui, en deux décennies, n’a affiché qu’une progression moyenne annuelle de 5,5%.

 

Par D. William

Le tourisme se porte beaucoup mieux. Très sinistré durant la période de la pandémie, le secteur retrouve petit à petit des couleurs. Réouverture des frontières le 7 février 2022, assouplissement des conditions d’accès au territoire national, opération Marhaba, renforcement des capacités aériennes et mobilisation d’une enveloppe de 2 Mds de DH sur la période 2022- 2023 afin de soutenir les opérateurs du secteur…, tout cela a permis une reprise de l’activité.

Une reprise soutenue par l’offensive menée par l’Office national marocain du tourisme (ONMT) au niveau des pays émetteurs pour promouvoir la destination Maroc. Ainsi, selon les chiffres de la Direction du Trésor et des finances extérieures (DETF), rien que pour les mois de juin et juillet, les arrivées aux postes frontières ont culminé à 3,2 millions de touristes, représentant 100% des arrivées de la même période de l’année 2019.

«Depuis le début de l’année, ce nombre a affiché une hausse de +199% pour s’établir à 5,4 millions, suite à une hausse de +143% des arrivées de MRE et de +339% des touristes étrangers», souligne la même source. Comparativement à la même période de l’année 2019, le nombre d’arrivées demeure en baisse de -27,9%, résultant d’un repli de -44% pour les touristes étrangers et de -8,8% pour les MRE. Parallèlement, les nuitées réalisées dans les établissements classés ont progressé de 129% à fin juin 2022 pour atteindre 6,2 millions. Elles sont cependant toujours en repli de 45,7% par rapport à la même période en 2019. Quant aux recettes voyages, elles ont augmenté de 179% à fin juillet 2022, pour atteindre 36,7 milliards de dirhams. Comparées à la même période de l’année 2020, ces recettes sont en hausse de 60,8%, mais en baisse de 11,6% par rapport à fin juillet 2019.

 

Rattrapage impossible

Malgré la bonne dynamique de l’activité touristique, les performances enregistrées restent globalement en deçà des réalisations de 2019. «A fin juillet 2022, le Maroc a pu récupérer 73% d’arrivées aux postes frontières, 57% des touristes étrangers en séjour (TES) et 60% des nuitées par rapport à la même période de 2019. Si on continue avec ce même rythme et en prenant en considération les éléments concernant la connectivité avec nos principaux marchés émetteurs et les taux de récupération par marché, on peut prévoir un taux de récupération de 75% à 80% du volume des arrivées, 65% à 70% des TES et des nuitées par rapport à 2019», estime l’économiste et expert en tourisme, Zoubir Bouhoute. Ainsi, le Royaume, qui avait accueilli 13 millions de touristes en 2019, ne pourra refaire son retard d’ici la fin de l’année. Selon Bouhoute, il faut s’attendre à «un volume global d’arrivées situé entre 9,7 et 10,3 millions et environ 17 millions de nuitées à fin 2022».

Même en 2023, peu sûr de retrouver les chiffres d’avantpandémie. «On doit faire une progression moyenne de plus de 30% en 2023 par rapport à 2022 pour atteindre le même niveau de 2019. Un pari possible, mais difficile. Dans le détail, pour les 4 premiers mois de 2023, il y aura surtout un effet de rattrapage, puisque les frontières aériennes sont restées fermées jusqu’au 6 février 2022 et les connexions maritimes n’ont repris que vers mi-avril, mais avec des conditions d’accès contraignantes jusqu'à la mi-mai. Donc, concrètement, pour les 4 premiers mois, on devrait enregistrer des taux de progression très importants, surtout en janvier, avec des progressions cumulées de janvier à avril de +150% pour les arrivées et les nuitées et +200% pour les touristes étrangers en séjour. A partir de mai, on devrait faire des progressions mensuelles d’environ +5 à +10%. Avec ce rythme, on peut espérer atteindre le même niveau de 2019, mais cela n’est possible que si on met les moyens nécessaires en termes de connectivité aérienne et maritime ainsi qu’en termes de promotion, surtout pour les marchés pour lesquels les taux de récupération sont toujours moyens,voire faibles», analyse notre interlocuteur.

 

La pandémie, un puissant révélateur

La ministre du Tourisme, Fatim-Zahra Ammor, s’est fixée un objectif ambitieux dans sa nouvelle feuille de route  : capter 26 millions de touristes en 2030 et quelque 17-18 millions à l'horizon 2025-2026. Une vue de l’esprit  ? A l’évidence oui, sauf à redéfinir en profondeur le modèle économique de l’écosystème touristique afin de le rendre plus résilient et plus performant. Car la pandémie a mis à nu les nombreuses défaillances et fragilités de ce secteur, dont notamment sa forte dépendance des touristes étrangers et la faiblesse de l’offre touristique. Ce que confirme Bouhoute.

«Il y a effectivement une faiblesse de l’offre touristique marocaine en termes de capacité comparativement à nos pays concurrents, sachant que les statistiques de la capacité litière figurant sur le site officiel du ministère du Tourisme ne reflètent pas la réalité. Elles prennent en compte des établissements fermés ou même des établissements qui ne seront jamais commercialisables en tant qu’établissement d’hébergement. Le cas de la capacité litière de Ouarzazate en est un exemple édifiant, puisqu’une vingtaine d’établissements ne sont plus opérationnels, mais continuent de figurer dans la capacité litière de la province», explique-t-il, précisant que «les fermetures se sont accélérées ces 5 dernières et aucun programme d’investissement pour conforter la capacité litière n’est prévu».

Ce problème de statistiques sur les capacités d’hébergement concernerait «toutes les villes du Maroc», d’où la nécessité d’apporter des correctifs «pour avoir une idée claire sur notre vraie capacité d’hébergement», souligne notre source, qui reconnaît cependant que certaines destinations ont fait des efforts pour augmenter leurs capacités et offres touristiques.

«C’est le cas de la région de Souss Massa qui a prévu un programme d’investissement consistant, avec 30 nouvelles zones touristiques, dont 15 dans la zone du Grand Agadir. C’est le cas aussi de Marrakech qui prévoit la réalisation de plus de 35 mille lits supplémentaires, en plus d’un centre de congrès avec 10.000 places assises», note Bouhoute. Pour autant, estime-t-il, «cela reste insuffisant, puisqu’on a besoin d’une capacité additionnelle de presque 276 mille lits supplémentaires si on veut atteindre 26 millions de touristes en 2030, avec 16 millions de TES, un taux d’occupation des chambres de 65% (au lieu de 48% en 2019), un délai moyen de séjour de 3 nuits pour les TES (au lieu de 2,47 en 2019) et une part de tourisme interne de 40% (au lieu de 31% en 2019)».

Clairement, passer de 10 millions de touristes en 2022 à 26 millions en 2030 reste un très gros challenge, surtout qu’en presque deux décennies (2000-2019), le tourisme n’a progressé que de 5,5% en moyenne. Il faudra donc passer un nouveau cap pour enregistrer une progression moyenne annuelle de 14% à cet horizon. Pour notre interlocuteur, cela signifie que l’un des premiers défis à relever sera de «multiplier par 3 à 4 les connectivités aériennes et maritimes durant toute l’année».

Il s’agira aussi «d’intensifier les opérations de promotion auprès des marchés classiques et de s’ouvrir sur d’autres marchés émergents et, surtout, de promouvoir les investissements touristiques pour rafraîchir l’offre touristique sur toutes les régions du Maroc». Sinon, estime-t-il, «au vu des programmes en cours, on va consolider et conforter la bipolarité Marrakech-Agadir qui a été tout le temps décrite comme un point faible du tourisme marocain, puisque ces deux villes concentrent près de 60% des nuitées». Par ailleurs, «la solution se trouve à court terme au niveau de la programmation des budgets pour le renforcement de la connectivité et de la promotion, mais aussi au niveau du partenariat public privé pour stimuler les investissements. L’investissement public est un très bon catalyseur, mais a-t-on la volonté et les moyens pour le faire ? C’est la grande question !», conclut-il. 


Le Maroc à la traîne 

Le Maroc s’est-il mal préparé à la reprise post-pandémique ? La question est légitime quand on voit que d’autres pays, à l’instar de la Turquie, réalisent des performances touristiques remarquables. L’analyse de Zoubir Bouhoute.

‘‘Pour bien comprendre ce qui se passe m a i n t e n a n t , il faut revenir  une année auparavant, période où la Turquie a commencé une grande récupération, puisqu’elle a pu recevoir 29,4 millions de touristes en 2021, contre 16 millions en 2020 (51 millions en 2019). Elle était donc à  -43% par rapport à 2019, alors que le Maroc était à -72% en 2021 par rapport à 2019. La France était à -26%, l’Italie à -40% et l’Espagne à -63% par rapport à 2019.

 

De plus, la Turquie a vu ses recettes touristiques progresser de +103% en 2021 par rapport à 2020, au moment où le Maroc a connu une baisse des recettes en 2021 par rapport à 2020. 

 

Les recettes sont passées en effet de 78,74 milliards de DH en 2019 à 36,2 en 2020 puis à 34 Mds de DH en 2021. De ce fait, ce sont les pays qui ont été les premiers à lever les  restrictions qui ont pu récupérer un grand flux en 2021, et qui vont enregistrer les meilleures performances en 2022 et les années suivantes. 

D’un autre côté, le Maroc, qui a commencé à enregistrer relativement de bons chiffres en termes d’arrivées à partir du mois de mai 2022 (principalement les MRE), connait toujours un déficit en termes de récupération des nuitées des TES (47% seulement à fin  juillet). Ce taux diffère selon les marchés et se situe à 53% pour la France (1er marché), 56% pour le Royaume-Uni (2ème marché), 15% seulement pour l’Allemagne (3ème marché), 47% pour les pays arabes, 40% pour l’Espagne, 45% pour la Belgique, 37%  pour l’Italie et les Pays-Bas. On se retrouve au final avec des taux de récupération de moins de 50% sur 6 parmi nos 9 premiers marchés».

 

 

 

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