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Emeutes urbaines: «La France reste un pays conservateur qui a du mal avec son immigration»

Emeutes urbaines: «La France reste un pays conservateur qui a du mal avec son immigration»

Le décès du jeune adolescent Nahel a attisé la colère de la jeunesse française issue des banlieues.

La politique en direction des quartiers populaires a été mise en cause après ces émeutes urbaines, les plus graves dans le pays depuis 2005.

Entretien avec Amar Dib, écrivain, sociologue, juge et médiateur international

 

Propos recueillis par Ibtissam Z.

Finances News Hebdo : L’ère Macron est parsemée de grèves et de tensions sociales. Quelle analyse en faites-vous ?

Amar Dib : Comme vous le soulignez dans votre question, les deux périodes de la présidence Macron ont été et seront répertoriées comme des quinquennats durant lesquels les Français auront beaucoup souffert. D’abord, les gilets jaunes et les nombreuses manifestations de révolte opérés par des citoyens excédés par la vie chère. Ensuite, la pandémie avec son lot d’informations contradictoires, anxiogènes, ajoutée à un confinement généralisé et à la vaccination obligatoire. Enfin, la chienlit provoquée par la réforme des retraites, imposée contre l’avis d’une majorité de Français, et aujourd’hui les émeutes récentes des banlieues françaises pour dénoncer un racisme systémique et les discriminations. À l’évidence, les deux quinquennats d’Emmanuel Macron auront fait descendre les Français dans la rue comme jamais auparavant…

 

F.N.H. : Les émeutes en France révèlent un malaise social et identitaire sans précédent. Le décès de Nahel n'est que la mèche qui a allumé le feu. Quelle lecture faitesvous de la situation dans les banlieues ? 

A. D. : Comme je l’entends régulièrement, depuis trop longtemps, sur les plateaux de radio ou de télévision, notamment venant de parlementaires de droite et d’extrême droite, on essaye d’incriminer les parents de ces jeunes en révolte pour éviter de poser les bonnes questions et de signaler les responsabilités partagées de ces mêmes élus. Quand on abandonne des quartiers entiers, durant des décennies, à tous les trafics, aux sectes et aux fondamentalistes religieux, à la précarité et au chômage, à l’échec scolaire et à la désespérance, il ne faut pas s’étonner du résultat et de la révolte qui s’opère. La France reste un pays conservateur qui a du mal avec son immigration, et qui continue d’être dirigée par une élite très majoritairement blanche, cantonnée dans un entre-soi anachronique, qui refuse de s’ouvrir à d’autres destins. Le fléau des discriminations n’est jamais abordé, ou du bout des lèvres, l’islamophobie ambiante est entretenue, voire préconisée (LCI, CNews, BFM TV, etc.), la question des contrôles aux faciès dénoncée par le défenseur des droits n’est jamais traitée; enfin ce plafond de verre qui interdit aux personnes issues de l’immigration d’envisager une véritable carrière dans la police, dans l’armée ou dans la haute fonction publique. Toutes ces constatations qui perdurent ne font que fragiliser le pacte républicain censé nous unir et nous protéger. On peut faire ici un parallèle avec les émeutes survenues en 2005, à la suite d’un contrôle de police qui a conduit à la mort de deux adolescents. Là encore, les jeunes dénonçaient les contrôles de police intempestifs, l’agressivité avec laquelle ils opéraient, et l’abandon social dans lequel ils se retrouvaient. Dix-huit ans plus tard, nous avons les mêmes ingrédients pour le même résultat.

 

F.N.H. : Comment expliquer le fait que les Français ont cultivé ces dernières décennies une certaine peur vis-à-vis de l’islam ?  

A. D. : Pour la question de l’islam et de son implantation en France, c’est un peu différent. D’abord, il faut rappeler que notre pays a subi plusieurs attentats qui ont conduit à la mort de nombreux Français. Cette simple réalité peut nous permettre de comprendre pourquoi une majorité de citoyens de ce pays éprouvent une véritable aversion à l’égard de cette religion. Du fait notamment que les auteurs sociopathes de ces attaques les ont revendiqués au nom de l’islam. Comment voulezvous qu’un Français de base puisse faire la différence entre l’islam qui prône la paix et la fraternité, et l’islam préconisé par ces barbares ? Le malentendu est profond, et il faudra beaucoup de temps avant que les Français puissent penser que la religion musulmane est une doctrine qui inspire la bienveillance et l’amour.

 

F.N.H. : La police a toujours eu une relation difficile, voire conflictuelle avec les jeunes des quartiers défavorisés. Comment expliquer ce bras de fer entre les deux parties ?  

A. D. : Dès 1997, au moment de son arrivée à la tête du ministère de l’Intérieur, Jean-Pierre Chevènement avait déjà signalé la nécessité d’avoir «une police à l’image de la population française». Aujourd’hui, 26 ans après, rien n’a changé; notre police reste très majoritairement monochrome, où les personnes issues de l’immigration ne sont pas vraiment les bienvenues. Je pense personnellement, et depuis longtemps, que si nous avions au sein de chaque patrouille de police qui intervient en banlieue un policier black ou maghrébin, cela permettrait d’afficher une image positive de l’intégration et de ne plus laisser les jeunes penser que la police est raciste. Or, nous en sommes loin et je doute que les choses évoluent rapidement dans ce sens. Enfin, pour apporter un peu d’espoir à cette jeunesse, je pense qu’il faudrait détruire ces ghettos ethniques, repérer les délinquants mineurs et les installer dans des centres adaptés avec régime militaire, instruction, sport, discipline, respect; et pour les autres (les majeurs) les neutraliser et les enfermer dans des structures pénitentiaires susceptibles de les transformer et d’éviter qu’ils récidivent.

 

F.N.H. : Entre les émeutes de 2005 et celles de 2023, le constat est le même, une présence massive des mineurs. Peut-on dire qu'il y a eu un échec de l'éducation et de l’entourage familial ?  

A. D. : Concernant les émeutes de 2005 et celles de la semaine dernière, il y a évidemment une constatation similaire. C'est la présence massive de la jeunesse des banlieues dans la rue, les mêmes revendications, les mêmes attentes, le même désir d'en découdre avec la police. Cette jeunesse ne supporte plus d'être stigmatisée, associée aux pires références, celles de la délinquance, de l'islamisme tellement décriés par les médias français. Les établissements scolaires ne sont plus en capacité de fournir un enseignement de qualité, et les références systématiquement négatives font passer cette population pour un peuple de parias dont la France aurait honte, et qu'elle voudrait cacher. A cela, il faut ajouter que dans cet environnement, les pères ont totalement disparu, le système politico-socio-judiciaire de la France les a marginalisés, condamnés, totalement broyés. Les familles monoparentales sont nombreuses dans ces quartiers, et les mères dans l'incapacité de gérer leurs progénitures. Les adolescents sont souvent livrés à eux-mêmes, libres de quitter l'école pour sombrer dans divers trafics...

 

F.N.H. : Vous avez été membre du Conseil économique et social et l’un des 11 sages de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (HALDE) durant 5 ans. Pourquoi la France va-t-elle si mal aujourd’hui ?  

A. D. : A mon avis, la France va mal parce que nos dirigeants, depuis au moins trente ans, n’ont eu de cesse de diviser les Français, de les opposer, et de faire en sorte de prospérer sur les cendres de ces divisions. Le but étant de garder le pouvoir et d’être réélu «quoi qu’il en coûte». Cette stratégie qui se perpétue, a laissé des traces dans la mémoire des Français. Aujourd’hui, la division règne, chaque citoyen cherche à promouvoir sa caste, les femmes contre les hommes, les noirs contre les blancs, les croyants contre les athées, les hétéros contre les homos, les francs-maçons contre ceux qui ne le sont pas, etc. L’égoïsme qui prévaut porte clairement atteinte aux valeurs de la République et fragilise grandement notre cohésion nationale.

 

F.N.H. : En 2017, vous avez sorti le livre «Chronique d’une jeunesse oubliée» qui met en avant le malêtre de la jeunesse issue de l’immigration. En septembre 2023, vous comptez sortir votre prochain livre «Chroniques du racisme ordinaire». Dans votre nouvelle parution, un chapitre entier est dédié au football et à la Fédération française de football. Parlez-nous-en ?  

A. D. : Mon prochain livre, qui traitera du racisme en France (Chroniques du racisme ordinaire), évoque différentes situations où le racisme a été ouvertement pratiqué et assumé. Dans la politique, dans les médias, à l’éducation nationale, dans la culture et aussi dans le sport. J’ai consacré un chapitre entier à cette dernière thématique, qui traite du racisme dans le footbal,l et particulièrement au sein la Fédération française de football (FFF). Il m’a suffi de reprendre plusieurs situations où les footballeurs issus de l’immigration ont clairement et ouvertement été victimes de traitements différenciés. Que ce soit Benzema, Benarfa, Nasri, Anelka ou Ribéry, ils ont été nombreux à subir une forme de racisme et d’islamophobie très présente dans cette instance du football français. Aujourd’hui, nombreux sont les footballeurs et les entraineurs à le reconnaitre, et à corroborer cet état de fait. D’où la suspension et la mise à l’écart de l’ancien président de cette fédération, Noel Le Graet, qui a été remplacé le 10 juin dernier par Philippe Diallo.

 

F.N.H. : Après plusieurs jours de violences, une accalmie semble se dessiner. La mort du jeune Nahel doit constituer un déclic pour rectifier le tir, car jamais le slogan «le changement c’est maintenant» n’a été autant d’actualité. Qu’en dites-vous ?  

A. D. : En effet, avec son slogan «le changement c’est maintenant», François Hollande s’est lui-même moqué des Français en veillant à surtout ne rien changer en dehors du mariage pour tous. Pour ma part, je suis d’un naturel optimiste, et je pense que la France dispose de beaucoup d’atouts pour faire en sorte que chaque citoyen s’épanouisse dans ce pays et y trouve sa place. Emmanuel Macron, qui ne pourra pas se représenter à la prochaine élection présidentielle, devrait profiter de cette liberté pour se lancer dans de grands projets ambitieux pour la banlieue et favoriser l’émergence d’une véritable élite issue de l’immigration à la tête des administrations de la police, de l’armée et des grands corps d’État. Espérons qu’il nous entende ! 

 

 

 

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