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L’histoire n’offre jamais d’aller-retour

L’histoire n’offre jamais d’aller-retour

L’histoire n’offre jamais d’aller-retour. Elle n’offre que des allers simples. C’est ce que l’Europe et l’Occident ont du mal à intégrer aujourd’hui. Ils s’obstinent à penser que le cycle de l’Histoire finit toujours par se mordre la queue. Ce qui est totalement faux et aberrant. Cette pensée peut ajourner le choc pour une  «civilisation» moribonde, qui achève son cycle pour sombrer dans la décadence. 

 

Abdelhak Najib
Écrivain-journaliste

 

Une  «civilisation» qui traverse sa pire et dernière grande crise qu’il ne faut pas analyser avec légèreté y voyant juste une simple crise d’identité ou une autre manifestation d’un essoufflement momentané de la croissance si prisée par les Occidentaux, à telle enseigne qu’elle en est devenue le crédo ultime et la religion la plus dominatrice. La maladie est plus profonde et incurable. Il faut en chercher les causes aux sources mêmes de la pensée européenne dans son ensemble, avec tous ses référentiels et ses fondamentaux : «Notre culture européenne tout entière se meurt depuis longtemps déjà, avec une torturante tension qui croît de décennie en décennie, comme portée vers une catastrophe : inquiète, violente, précipitée; comme un fleuve qui veut en finir, qui ne cherche plus à revenir à soi, qui craint de revenir à soi», écrit Friedrich Nietzsche dans «Fragments posthumes». Une mort lente. Une agonie qui a duré assez de temps pour nous montrer aujourd’hui un visage hideux d’une Europe déchirée, sénile, amnésique, aveugle et aveuglée sombrant dans une profonde surdité à l’égard des bruits qui viennent d’au-delà ses frontières. 

Pourtant, la fureur gronde de partout, portant la voix très loin et déchirant le voile opaque du déni. Déni de la fin de l’embellie. Négation de la fin de la croissance. Regard détourné de la chute dans la débâcle. Une récession à tous les étages, d’abord culturelle puis systémique pénalisant toutes les ramifications de la société occidentale allant jusqu’à exacerber les nationalismes, le désir d’ériger l’Église comme rempart et comme cercle fermé à tous les autres faisant du religieux le point nodal pour intégrer une certaine forme de démocratie, qui selon les Européens, ne peut prendre corps que si ses assises sont chrétiennes. 

Pour le philosophe allemand, le seul à avoir prédit la fin de l’Europe, il y a déjà plus de 123 ans, ce mythe européen, fondé sur une erreur historique balayant les particularités de chaque culture et de chaque identité pour créer un ensemble hétérogène dissonant, finit dans l’abdication la plus criarde ayant cheminé, malgré les détours et les ajournements, vers ce que Nietzsche nomme : «la médiocrité, la démocratie et les «idées modernes»». Ladite modernité, fruit hautement radioactif de la technicité la plus sophistiquée, fait aujourd’hui la part belle à une médiocratie hégémoniste sous les oripeaux d’une démocratie où tout est nivelé par le bas. Le rêve du philosophe allemand de voir renaître une Europe des sciences à l’instar de la Grèce antique a accouché d’une société mondialisée où la pensée, la connaissance, les sciences n’ont plus rien de noble, mais elles sont reléguées au rang de vieilles reliques barbantes et assommantes. Ce constat qui ne souffre d’aucune ombre nous amène à un héritier de la pensée nietzschéenne, Albert Camus, qui a souligné la chute de toute une génération qui a choisi la négation du passé et de ses héritages pour s’adonner sans réserve aux attraits de cette même modernité qui a achevé toute forme de valeur possible :  «Ce qu’il y a de nouveau, c’est que ces hommes de cette génération, étrangers à toute valeur, devaient prendre position par rapport d’abord à la guerre, ensuite au meurtre et à la terreur. 

À cette occasion, ils ont eu à penser qu’il existait peut-être une  crise de l’homme, parce qu’ils ont eu à vivre dans la plus déchirante des contradictions. Car ils sont entrés dans la guerre comme on entre dans l’enfer, s’il est vrai que l’enfer est le reniement. Ils n’aimaient ni la guerre, ni la violence; ils ont dû accepter la guerre et exercer la violence. Ils n’avaient de haine que pour la haine». Il n’y a certes pas pire que la maladie de la haine, assimilable dans ce cas à la peste qu’un étranger aurait à expérimenter poussant le bacille jusqu’à la nausée qui, elle, se nourrit de la peur, de la méfiance, du ressentiment, de la rancœur, de la cupidité, de l’impératif de croissance, coûte que coûte, du diktat du bénéfice et de l’intérêt engrangeant tous les zéros possibles et imaginables dans une course effrénée vers encore plus, encore plus, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de limite à cette courbe exponentielle qui engloutit tout sur son passage créant des bulles fictives, autour de chiffres en zigzag et autres fluctuations d’indices boursiers sur l’échelle zéro des valeurs. 

Dans cette course en avant qui est non seulement une fuite, mais une tentative de battre un record en termes d’auto-négation, le présent devient l’unique temporalité qui se condense jusqu’à l’inflation. Évidemment, plus aucun futur au sens nietzschéen du mot n’est alors envisageable. On navigue à vue dans le vide stellaire avec pour destination un trou noir qui ne sera jamais un trou de verre au sens où l’entendait Einstein. Camus qui ne voulait pas s’avouer vaincu, avait donné corps à son Homme révolté et à son Sisyphe heureux dans l’unique but de trouver des remèdes adéquats à ce récit de décomposition. 

Albert Camus proposait pour résorber cette absurdité et nous en débarrasser, de nettoyer d’abord le monde de la terreur qui y fait loi, premier cercle vertueux pour atteindre le stade d’un universalisme puissant où les défenseurs de l’humain en nous peuvent conjuguer leurs efforts et leurs visions pour sortir du «présent» et créer «l’avenir». Pour y arriver, il n’y a qu’une seule et unique voie : en finir avec l’animal politique pour faire place à l’homme des valeurs. 

Autrement dit, pour l’auteur de Caligula et des Justes, cette crise que traverse l’Europe et donc tout l’Occident est une crise globalisée. C’est l’ultime crise de l’homme. Son dernier combat. Un dernier essai qui passe par l’extirpation du corps moribond du monde de ce que l’auteur de «La généalogie de la morale» nommait : les  «patriotarderies». Ce qui désigne ici clairement ce retour fou aux nationalismes les plus primaires qui ont émaillé l’histoire de l’Occident, d’une époque à l’autre, avec au siècle dernier et au début de celui-ci, une exacerbation des sentiments communautaristes couplée aux dogmes religieux les plus primales :  «La folie des nationalités explique pourquoi les peuples européens sont devenus de plus en plus étrangers les uns aux autres, et cette pathologique ignorance réciproque dure encore aujourd’hui; elle a porté au pinacle des politiciens à la vue courte et à la main leste, qui ne se doutent même pas que leur politique de désunion ne peut être nécessairement qu’un intermède… On feint de ne pas voir … les signes qui annoncent avec le plus d’évidence que l’Europe veut s’unifier».

Force est de constater que malgré sa perspicacité, Nietzsche pouvait aussi être très naïf. Ce qu’il avance dans ce fragment de «Par-delà le bien et le mal» sonne comme une plaisanterie à un moment de l’histoire humaine où les tendances protectionnistes, obscurantistes et nationalistes s’imposent de force comme l’unique credo possible.

Ceci d’un côté. De l’autre, il faut se résoudre à cette vérité barbare : les Européens ont tendance à ne voir que les Européens, ce qu’ils appellent encore tiers-monde ou périphérie leur a échappé dans ce Sud global qui s’impose comme l’alternative à ce monde vieilli et obsolète.

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