Quoi qu’on en dise, Ramadan revêt depuis quelques années d’autres aspects doublés d’autres appréhensions découlant toutes de crises successives et des nouveaux paradigmes qui en résultent.
Par Abdelhak Najib
Ecrivain-journaliste
Il est vrai que les ramadans se suivent mais ne se ressemblent plus. Ils affichent depuis presque cinq ans des atmosphères plus ternes, des ambiances plus tristes, des élans plus angoissés, avec une situation économique de plus en plus incertaine. Pourtant, les Marocains veulent voir dans ce mois une parenthèse dans leur situation de plus en plus inextricable tant le marasme s’est installé dans la durée, sans oublier que beaucoup de citoyens essaient tant bien que mal de survivre sous perfusion en attendant une probable sortie de crise.
Quoi qu’il arrive, pour l’écrasante majorité d’entre nous, les rites de ce mois sacré peuvent jouer un rôle crucial pour aider les mentalités à changer, à s’adapter à de nouvelles données, et à composer avec des impératifs d’un autre niveau : serrer la ceinture, faire face à la cherté de la vie, se contenter du peu et espérer en attendant des jours meilleurs.
Ce n’est pas l’idéal pour une société qui a ses rites, ses habitudes, ses coutumes et ses attentes durant une période à la fois de liens sociaux consolidés et de recueillement dans la sérénité et dans le parage, dans les festivités, avec le faste que prodigue ce mois si particulier dans l’année.
Inutile de préciser ici que Ramadan a de tout temps été le mois de tous les excès : le boire, le manger, l’amusement, sans oublier les soirées, les sorties en groupe, les réunions familiales, les banquets et les orgies culinaires. Le tout mâtiné d’un zest de violence, d’une bonne dose de mauvaise humeur, d’une inclinaison pour la colère, voire la rage et l’agressivité. Celle-ci peut être exacerbée quand les poches sont vides et que les besoins sont grands. Mais, il faut faire avec. Les temps sont durs.
Beaucoup plus pour certains que pour d’autres, certes, mais, comme dirait le sage, chacun son lot dans cette existence. Ceci dit, la colère et le sens des frictions font partie des rites ramadanesques marocains. En dehors de tous ces atavismes qui font partie de notre quotidien, ramadan est une très bonne occasion de faire un petit bilan très salutaire : une remise en question sérieuse, une critique de ses choix et de ses modes de vie et de pensée, un élan de partage et de solidarité avec les autres, sans oublier de prendre ce mois comme une chance unique pour prendre soin de sa santé. Cela passe par une bonne alimentation, par du sport sans exagération, le tout dans la modération, mère de toutes les logiques, surtout quand les finances affichent rouge. Alors, contre mauvaise fortune, bon cœur.
Ce mois est le moment propice pour se recueillir, pour faire le vide, pour ressourcer l’âme par la lecture, par la beauté des arts, par la culture, par le goût des belles et profondes choses que cette vie nous offre, même si la récession nous frappe de plein fouet et qu’on ne voit pas encore le bout de cette crise qui lamine par le bas les franges les plus démunies parmi nous. Mais, ce mois peut donner de la force pour tenir, pour supporter et pour être à la hauteur de ses exigences face à l’adversité.
Cela génère une belle énergie et des vibrations si positives qu’elles vous placent dans un état de félicité sereine. Cela lave le cœur de ses scories. Cela nous débarrasse d’un cumul de onze mois d’excès, d’erreurs, de faux pas et d’hésitation. Ramadan a cela de puissant, c’est qu’il porte en lui le secret de se dépasser dans les belles choses. C’est un sacerdoce d’une grande simplicité et d’une profonde liberté. Il faut le vivre dans la fluidité, dans la douceur, dans l’acceptation du destin et de ce mal qui nous frappe de plein fouet, mais qui est aussi le déclencheur d’une nouvelle philosophie d’être à la vie et aux autres. Une conduite qui élève l’esprit dans une rencontre unique avec soi et avec le divin en nous.