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Algérie – Espagne – UE: Imbroglio sur fond de chantage gazier

Algérie – Espagne – UE: Imbroglio sur fond de chantage gazier

L’Algérie a violé l’Accord d’association avec Bruxelles en procédant au blocage unilatéral des opérations commerciales dans les deux sens avec l’Espagne.

L’UE s’en indigne, mais ménage l’Algérie, devenue un fournisseur gazier encore plus important à la faveur de la guerre russo-ukrainienne.

 

Par D. William

Le rapprochement politique et économique entre le Maroc et l’Espagne fait encore grincer des dents. En Algérie, la pilule ne passe pas depuis que l’Espagne est sortie de sa neutralité en levant toute ambiguïté autour du Sahara marocain. En mars dernier, dans un message adressé au Roi Mohammed VI, le président du gouvernement espagnol, Pedro Sánchez, soulignait en effet qu’il «reconnaît l’importance de la question du Sahara pour le Maroc». A ce titre, «l’Espagne considère l’initiative marocaine d’autonomie, présentée en 2007, comme la base la plus sérieuse, réaliste et crédible pour la résolution du différend», ajoutait-il, soulignant «les efforts sérieux et crédibles du Maroc dans le cadre des Nations unies pour trouver une solution mutuellement acceptable».

Cette adhésion de Madrid à une vérité historique a suffi pour s’attirer les foudres d’Alger. Face à ce désaveu criant, le pouvoir algérien a en effet violemment réagi en rappelant d’abord son ambassadeur en Espagne. Avant de décider, juin dernier, de suspendre le Traité d'amitié, de bon voisinage et de coopération conclu le 8 octobre 2002 avec l’Espagne, et qui encadrait jusqu'ici le développement des relations entre les deux pays. De fait, les opérations et les échanges commerciaux entre l’Espagne et l’Algérie sont bloqués depuis juin dernier. Sauf que cette affaire dépasse le strict cadre algéro-espagnol. L’Union européenne, à juste titre d’ailleurs, s’est invitée dans ce dossier, estimant que l’Algérie a violé l’Accord d’association avec Bruxelles en procédant au blocage unilatéral des opérations commerciales dans les deux sens avec l’Espagne. Le 18 février courant, la Commission européenne (CE) a ainsi assuré qu’elle n’allait pas rester les bras croisés.

«La politique commerciale est une compétence exclusive de l'UE» et, par conséquent, Bruxelles «est prête à prendre des mesures contre toute mesure appliquée contre un État membre», a souligné Miriam Garcia Ferrer, porteparole de la Commission européenne pour le Commerce, dans une déclaration à l’agence de presse espagnole Europa Press. Depuis juin dernier, la CE est préoccupée par «les implications commerciales» de la décision d'Alger, «en particulier les expéditions bloquées en provenance d'Espagne», ajoute-telle. C’est pourquoi, poursuit Ferrer, Bruxelles continuera à coordonner avec le gouvernement espagnol sur cette question et «évaluera les implications» des restrictions commerciales qui pourraient être contraires à l'accord d'association UE-Algérie.

Même son de cloche pour le DG adjoint de la Direction générale pour le Commerce à la CE, Denis Redonnet, dans des déclarations aux médias espagnols, lors d’une visite à Valence. «Les mesures prises par les autorités algériennes sont très préoccupantes, non seulement en Espagne, mais aussi au sein de l'UE, car elles affectent la politique commerciale commune», note-t-il, précisant qu’«il s'agit de coercition économique, et nous nous engagerons auprès des autorités algériennes pour que ces mesures soient confrontées et supprimées».

 

Quelle réponse de l’UE ?

Parce que l’Espagne soutient le plan d’autonomie au Sahara marocain, le régime algérien a décidé unilatéralement de se soustraire de ses engagements pris dans le cadre de l’Accord d’association signé avec l’UE. Cela appelle deux lectures. Sous le prisme politique, il ne s’agit ni plus ni moins que d’une ingérence dans les affaires internes de l’Espagne, qui définit librement et de façon souveraine les orientations de sa politique étrangère. D’un point de vue économique, il faut voir en cette posture du régime algérien un chantage à peine voilé. Malgré cela, depuis juin dernier, l’UE calme le jeu, se contentant juste de déclarations d’intention.

Pourquoi ? Parce qu’elle ne veut pas se fâcher avec l’Algérie. L’UE s’approvisionne en effet de plus en plus en gaz algérien, et ce à un moment où elle tend à réduire sa dépendance vis-à-vis du gaz russe depuis l’invasion de l’Ukraine. En 2021, le gaz algérien représentait 13% des importations européennes totales, soit environ 18 milliards de m3 . En 2022, le total des livraisons en gaz naturel vers l’UE a atteint les 32 milliards de mètres cubes. Le président algérien Abdelmadjid Tebboune veut d’ailleurs intensifier la cadence des exportations, pour atteindre, cette année, «une production de 100 mds de m3 de gaz destinée exclusivement à l'exportation». L’UE gagne-t-elle au change en passant de la Russie à l’Algérie  ? A-t-elle raison de rester passive face à la «violation de l’Accord d’association UE-Algérie» dénoncée par le haut représentant de l’UE pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité, Josep Borrell, et le vice-président exécutif de la Commission européenne, Valdis Dombrovskis ? Pas sûr.

Rappelonsle encore une fois : à la tête de ce pays opèrent des individus peu fiables, très contestés en interne, qui multiplient les signes d’hostilité à l’égard de leurs voisins dans la région et qui peuvent se dédire du jour au lendemain en cas de désaccord politique. L’Espagne en sait quelque chose. La France aussi. Une forte dépendance de l’UE au gaz algérien, c’est forcément prendre le risque d’être exposé à un chantage plus prononcé de la part de dirigeants peu scrupuleux. Plusieurs observateurs ont tiré la sonnette d’alarme à ce propos. Dès novembre 2021, juste après l’annonce par l’Algérie de sa décision de ne pas reconduire l'accord sur le gazoduc Maghreb-Europe (GME), l'eurodéputé tchèque, Tomáš Zdechovský est monté au créneau.

«Cette décision unilatérale prise dans un contexte de hausse des prix de l'énergie vise à manipuler les prix du gaz. L'UE ne doit pas céder à ce chantage», avait-il averti. En juin 2022, un document confidentiel de l’OTAN stipulait que «comme la Russie, l’Algérie utilise l’approvisionnement en gaz comme moyen de pression politique», qualifiant notamment l’Algérie de «risque pour la sécurité de l’Europe». En décembre dernier, Susana Solís Pérez, eurodéputée espagnole, est revenue à la charge, estimant que «dans le contexte de la guerre de Poutine en Ukraine, l'utilisation par l'Algérie de l'approvisionnement énergétique comme arme politique a des conséquences directes pour les citoyens de l'UE». Voilà qui est dit. 

 

 

 

 

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