Un nouveau texte de loi en France interdit les appels commerciaux sans consentement préalable, considérés comme une pratique intrusive et agaçante. Relation client multicanale, assistance technique, intelligence artificielle… : les centres d’appels marocains ne sont plus uniquement des lieux de démarchage, mais de véritables hubs de services.
Propos recueillis par D. William
Le législateur français a décidé de s’attaquer à un sujet qui, visiblement, exaspère nombre de citoyens : le démarchage téléphonique, pratique consistant à appeler des particuliers pour leur proposer des produits ou des services sans leur consentement explicite.
Il faut rappeler qu’en France, les consommateurs reçoivent en moyenne six appels non désirés par semaine, malgré les lois existantes et un dispositif comme «Bloctel», plateforme qui permet aux particuliers s'inscrivant gratuitement sur la liste d'opposition au démarchage de ne plus être démarchés par téléphone. Ainsi, en attendant que le texte passe au Sénat, l’Assemblée nationale a voté à l’unanimité, lundi 27 janvier, pour «l’interdiction du démarchage téléphonique sans le consentement préalable du consommateur».
Cette inversion des règles, qui obligerait les entreprises à obtenir une autorisation explicite avant de contacter un particulier, risque de bouleverser tout un secteur. Et surtout d’impacter les centres d’appels marocains, dont une partie des activités est directement liée à ces campagnes de téléprospection.
«La proposition de loi visant à restreindre le démarchage téléphonique sans consentement préalable pourrait entraîner une baisse des volumes d’activités des centres d’appels marocains opérant sur le marché français, particulièrement ceux spécialisés dans la téléprospection et la vente directe. La France représente historiquement un marché clé pour les centres d’appels marocains, en raison de la proximité culturelle et linguistique», explique Youssef Chraibi, président du Groupe Outsourcia et de la Fédération marocaine de l’externalisation des services. Toutefois, l’impact de cette nouvelle loi pourrait être limité.
En effet, selon Chrabi, «les activités de démarchage téléphoniques représentent moins de 20% des revenus des centres d’appels au Maroc», ce qui fait que «l’impact ne concernera que ce sous segment devenu moins stratégique». En réalité, ajoute Chraibi, «le secteur a amorcé depuis plusieurs années une transition vers des activités à plus forte valeur ajoutée, comme la relation client multicanal, l’assistance technique ou encore les services digitaux. Cette évolution réduit la dépendance exclusive à la téléprospection et offre une meilleure résilience face à ce type de changement réglementaire». Cette transition stratégique s’inscrit dans une volonté d’adaptation à un marché de plus en plus exigeant et à des contraintes réglementaires croissantes. Ainsi, pour s’adapter à ces nouvelles contraintes, le secteur marocain de l’externalisation peut activer plusieurs leviers, suggère Chraibi. Le premier concerne la diversification des marchés.
Sur ce point, «les acteurs marocains ont déjà amorcé leur développement vers d’autres activités de contacts entrants, aujourd’hui largement majoritaires et non concernés par ces restrictions, et également vers d’autres géographies, comme les marchés anglophones, espagnols et africains, où la réglementation peut être différente et les opportunités de croissance importantes», indique-t-il. Le second levier a trait à la montée en gamme des services. Selon notre interlocuteur, «l’orientation vers des prestations nécessitant une expertise particulière, comme l’analyse de données, le support technique avancé ou l’intelligence artificielle, permet de dépasser le cadre du démarchage téléphonique classique».
Enfin, le dernier axe cible les investissements dans l’innovation. Pour Chraibi, «l’intégration de solutions technologiques, notamment autour de l’automatisation et de la gestion omnicanale, peut renforcer la valeur ajoutée des prestations tout en s’adaptant aux nouvelles attentes des clients finaux».
Des risques bien réels malgré tout
Malgré cette diversification, les centres d’appels marocains ne sont pas totalement immunisés contre les effets de la nouvelle législation. La restriction du démarchage pourrait entraîner une importante baisse d’activité, en particulier pour les entreprises encore fortement dépendantes de ce modèle. Cette réduction pourrait également affecter les relations commerciales avec les donneurs d’ordre français, qui pourraient revoir leurs stratégies en matière de sous-traitance. «Il est possible que cette législation amène certaines entreprises françaises à repenser leurs relations avec des prestataires externes, en particulier pour des campagnes de prospection», reconnaît Youssef Chraibi.
Toutefois, il reste «convaincu que les centres d’appels marocains sauront maintenir leur attractivité en capitalisant sur leurs atouts : une expertise reconnue, une qualité de service compétitive et une capacité d’adaptation rapide». En définitive, ce bouleversement réglementaire en France marque indéniablement une rupture avec le modèle traditionnel du démarchage téléphonique. Si cette pratique a longtemps été un pilier pour les centres d’appels du Royaume, elle ne définit plus l’essence de ce secteur.
Et, paradoxalement, cette loi française pourrait représenter une réelle opportunité pour les opérateurs marocains. En accélérant leur transition vers des activités moins dépendantes des appels sortants, ils pourraient non seulement atténuer les impacts immédiats de cette législation, mais aussi se renforcer sur des segments à forte valeur ajoutée. «Bien que cette législation puisse avoir un impact, elle constitue également une opportunité pour le secteur marocain de renforcer son positionnement et d’accélérer son évolution vers des modèles plus durables et diversifiés», conclut Chraibi.