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Facture énergétique : Le Maroc trinque sévèrement

Facture énergétique : Le Maroc trinque sévèrement

La facture énergétique a plus que doublé en 2022 par rapport à 2021, sur fond de flambée des cours de l’or noir.

Le marché pétrolier reste toujours confronté à des risques de fluctuations liés à l’instabilité du contexte géopolitique mondial.

Le Royaume doit accélérer la dynamique du mix énergétique entamée depuis plusieurs années.

 

Par D. William

La facture énergétique du Maroc a littéralement explosé au terme de l’exercice 2022. Elle a plus que doublé par rapport à 2021 pour atteindre 153,5 Mds de DH (+102%). Selon l’Office des changes, «cette évolution est tributaire essentiellement de l’accroissement des achats du gas-oils et fueloils (+40.344 MDH), portés par la hausse des prix qui ont presque doublé (10.283DH/T contre 5.195DH/T), et dans une moindre mesure par celle des quantités (+7,2%)».

La conjoncture internationale tendue reste très défavorable à des pays comme le Maroc, gros importateur de produits énergétiques, qui ont dû faire face à une forte tension sur les cours du pétrole durant l’année dernière. Le prix du baril de brut a ainsi atteint des sommets à plus de 135 dollars en mars dernier, après notamment le début de la guerre russoukrainienne. Depuis le second semestre 2022, les cours de l’or noir sont cependant orientés à la baisse, le baril de Brent oscillant autour de 80 dollars au début de cette semaine. Cette tendance va-t-elle néanmoins se poursuivre ?

 

Quelle évolution pour 2023 ?

L’évolution du marché mondial du pétrole reste très incertain. L’OPEP+ (Organisation des pays exportateurs de pétrole et ses alliés) a décidé le 1er février de maintenir pour toute l’année 2023 le niveau de production décidé en octobre dernier, soit un total de 41,85 millions de barils par jour. Mais l’offre pourrait être perturbée par la guerre en Ukraine et les sanctions prises notamment par l’Union européenne contre la Russie. Pour pousser Vladimir Poutine à mettre fin à la guerre avec l’Ukraine, l’UE avait décidé d’interdire les importations de pétrole russe.

Cet embargo portait dans un premier temps sur le pétrole acheminé par bateau, soit les deux tiers des importations européennes de brut russe. Et depuis le 5 décembre, le plafonnement des prix du pétrole russe est entré en vigueur. Cette mesure, qui vise à restreindre les revenus de la Russie, prévoit que seul le pétrole vendu à un prix égal ou inférieur à 60 dollars le baril pourra continuer à être livré. Au-delà, il est interdit pour les entreprises basées dans les pays de l'UE, du G7 et en Australie de fournir les services permettant le transport maritime du brut. A cela s’ajoute l’interdiction, depuis le dimanche 5 février courant, aux pays de l'UE d'importer de Russie des produits raffinés du pétrole (diesel, essence, mazout, kérosène...).

Globalement, l’embargo touche près de 90% des importations du pétrole russe acheminé en Europe par voie maritime. C’est pourquoi la Russie avait intensifié ses livraisons de diesel au Maroc et à la Turquie juste avant le 5 février. Les approvisionnements en diesel de la Russie vers le Maroc sont ainsi passés à 735.000 tonnes en 2022, après seulement 66.000 tonnes l'année précédente, et ont totalisé environ 140.000 tonnes au 19 janvier 2023, selon les informations rapportées par Reuters.

De même, en riposte à toutes ces sanctions, la Russie a, elle aussi, interdit, depuis le 1er février, la livraison de pétrole aux pays qui appliquent le plafonnement de prix. Et pourrait être contrainte de réduire sa production. Cette situation, combinée à la demande de la Chine (premier importateur mondial de brut), devenue plus vigoureuse à la faveur de la réouverture de son économie après la fin de sa stratégie «zéro covid», et à la fin des ventes des stocks stratégiques américains, pourrait entraîner une hausse des prix des produits pétroliers. La Direction des études et des prévisions financières ne dit pas autre chose. «Le marché pétrolier reste confronté à des risques de fluctuations liés à l’évolution du contexte économique, géopolitique et sanitaire mondial. En particulier, la réouverture postCovid de l’économie chinoise devrait exercer des pressions haussières sur les prix du pétrole en 2023», anticipet-elle. Et pour la banque d’affaires Goldman Sachs, le cours du baril de pétrole devrait se situer à 100 dollars en moyenne cette année.

 

Quelles alternatives pour le Maroc ?

La hausse du pétrole met à rude épreuve les finances publiques du Royaume. Mais grève aussi le pouvoir d’achat des consommateurs, d’autant qu’elle impacte directement les prix à la pompe, avec les litres du diesel et du gasoil qui ont atteint 18 DH à une certaine période. Cette flambée des prix à la pompe se répercute sur d’autres secteurs comme le transport, ce qui nourrit la spirale inflationniste.

D’ailleurs, l’indice des prix à la consommation a augmenté en moyenne de 6,6% en 2022 par rapport à 2021, résultant de la hausse de l’indice des produits alimentaires de 11% et de celui des produits non alimentaires de 3,9%. Les variations enregistrées pour les produits non alimentaires vont d’une hausse de 0,1% pour la «Santé» à 12,2% pour les «Transports». C’est pourquoi, en vue de préserver le pouvoir d’achat des citoyens face à la flambée des prix des carburants, le gouvernement avait décidé dès mars 2022, de lancer un processus de «soutien exceptionnel» des professionnels du secteur du transport routier.

Ce «soutien exceptionnel» s’éternise, puisqu’une 9ème tranche d’aide a été décidée par le gouvernement. Au total, ce sont donc 4,23 Mds de DH qui ont été mobilisés en faveur des opérateurs du secteur. Certes, il y a une certaine détente sur les prix depuis plusieurs semaines. Mais le contexte géopolitique international est toujours tendu, l’incertitude pèse toujours sur l’évolution de l’économie mondiale et les niveaux de prix restent élevés, tant pour les produits alimentaires que pour ceux énergétiques. Comment le Maroc peut-il alors se protéger durablement contre ces chocs inflationnistes ? Quels remparts mettre en place  ?

«Malheureusement, il n’y en a pas de bons. L’expérience française, avec notamment la mise en place d’un bouclier tarifaire, est la pire des solutions, car elle ne règle pas le problème de l’inflation, mais le décale dans la durée en nourrissant la dette», déplore le docteur en économie Rachid Achachi. Selon lui, «l’autre solution est de soutenir le pouvoir d’achat par une réduction de la pression fiscale, notamment sur les TPE, les PME et les ménages à travers une révision de l’IR. Là encore, cela se traduira par une aggravation du déficit budgétaire du fait de la diminution des recettes fiscales. Mais ce problème peut être contourné si l'on arrive à trouver la volonté politique de combattre le grand informel et d’élargir l’assiette fiscale. Ce qui fait que ce l’on perd en réduisant la pression fiscale pour soutenir le pouvoir d’achat et la demande, on le récupère horizontalement en élargissant l’assiette fiscale».

Pour notre interlocuteur, il y a aussi un autre moyen à long terme qui ne touche ni le pétrole ni le gaz : «c’est le made in Morocco, que l’on a déjà entrepris, l’objectif étant de produire localement une partie de ce que l’on importe de l’étranger. On subira de fait un peu moins l’inflation importée, appelée encore l’inflation exogène. C’est cependant du très long terme parce que la diversification du tissu économique obéit à une temporalité différente de celle des ménages et des citoyens».

 

Les pistes pour réduire l’impact des fluctuations des prix du pétrole sur l’économie
Au-delà du levier de la politique monétaire activé par Bank Al-Maghrib à travers la hausse par deux fois du taux directeur pour contrer la hausse des prix, il faut donc réfléchir à des solutions non pas ponctuelles, mais structurelles. En cela, souligne Rachid Achachi, «il y a deux horizons temporels : le long terme et le court et moyen terme. Au niveau du long terme, le but est d’accélérer la dynamique du mix énergétique que l’on a entamée depuis plusieurs années. Et ce, en augmentant la part du solaire dans le mix énergétique, et peut-être même éventuellement en allant vers le nucléaire. D’ailleurs, cela a été évoqué récemment avec l’accord qui a été conclu avec la Russie. Pour l’instant, cela va être compliqué, mais à terme l’objectif d’aller vers le nucléaire comme brique s’imbriquant dans le mix énergétique, pourrait permettre de réduire la dépendance du Maroc aux hydrocarbures, du moins pour la production et les besoins électriques du pays». Concernant le court et moyen terme, poursuit-il, «il faudrait pour l’Etat marocain et les acteurs privés privilégier des contrats à long terme avec des partenaires fiables, avec des prix de long terme négociés en amont qui ne dépendent pas de l’évolution du marché, plutôt que les contrats à terme sur le marché des produits dérivés. Car sur ce dernier, il existe une très forte volatilité et une très forte dynamique spéculative qui ne sont pas toujours le reflet de l’évolution des stocks et des niveaux de production du pétrole, mais qui sont souvent le fait de fonds spéculatifs qui investissent dans des contrats à terme afin de diversifier leurs placements et d’avoir des rendements élevés». D’ailleurs, ajoute notre interlocuteur, «le problème de l’Europe par rapport au gaz, c’est qu’elle cherche à se libérer du contrat à long terme qui la lie à la Russie à travers un prix préférentiel pour aller sur le marché des contrats à terme et y subir les fluctuations spéculatives».

 

 

 

 

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