Le 10 juillet 2025, le Conseil de gouvernement a adopté le projet de loi portant création de la Fondation Maroc 2030. Portée par une ambition royale et un leadership stratégique, la Fondation vise à faire du Mondial 2030 bien plus qu’un événement sportif. Entretien avec Khalid Doumou, économiste, expert financier et vice-président du Kénitra Athletic Club (KAC).
Propos recueillis par Ibtissam Z.
Finances News Hebdo : La création de la Fondation Maroc 2030 marque un tournant dans la mise en place d’un modèle inédit de cogouvernance public-privé au Maroc. Quels sont les principaux enjeux économiques, politiques et institutionnels que soulève cette initiative ?
Khalid Doumou : L’instauration de la Fondation Maroc 2030, impulsée au plus haut sommet de l’État, représente un impératif catégorique pour garantir les conditions de réussite du Mondial 2030. Véritable projet de règne, elle incarne la vision du Roi Mohammed VI, qui a su mener à bien un dossier de candidature tripartite, aux côtés de l’Espagne et du Portugal, démontrant un leadership diplomatique et stratégique sans faille. Cette initiative vise à offrir au monde l’image d’un Maroc moderne, capable d’accueillir des événements internationaux majeurs dans les règles de l’art.
Les échéances à venir, à savoir la Coupe d’Afrique 2025 (1 million de visiteurs sur 29 jours) et la Coupe du monde 2030 (10 millions sur 39 jours), constituent des leviers puissants pour confirmer le potentiel de développement du Royaume, déjà illustré par une progression spectaculaire du PIB, passé de 46,27 milliards de dollars en 1999 à 154,43 milliards en 2024. Si les crises globales, de nature technologique, financière, sanitaire ou géopolitique ont mis à l’épreuve les chaînes d’approvisionnement mondiales, le Maroc a su faire preuve d’une résilience désormais reconnue à l’échelle internationale.
Positionné comme un pôle de stabilité et de paix dans une région marquée par les soulèvements du Printemps arabe, le Royaume endosse désormais le rôle de modèle de développement dans la zone de l’Europe, Middle-East & Africa (EMEA). Ses choix diplomatiques et son ouverture économique en sont les preuves tangibles. Sur le plan sportif, le Maroc a brisé de nombreux plafonds dans plusieurs disciplines comme le futsal, le football féminin, différentes catégories de jeunes, et les olympiques, culminant avec sa demi-finale lors du Mondial 2022 au Qatar. Depuis cette performance collective qui a touché les Marocains d’ici et de la diaspora, «tout est devenu possible, the sky is the limit», et l’élan acquis ne cesse de fructifier. Une nouvelle élite marocaine, issue à la fois du territoire et de la diaspora, a pleinement conscience des enjeux du piège de la pauvreté, une situation où des freins multidimensionnels (éducation, santé, emploi, gouvernance, inégalités) maintiennent une partie de la population durablement en marge. Parmi les chantiers structurants en cours, on retrouve :
• Le renforcement du tissu économique national et la finalisation d’un État social performant;
• L’accroissement de l’attractivité des territoires via une politique de régionalisation avancée;
• Le développement de partenariats stratégiques d’exception avec les vrais amis du Maroc.
Enfin, l’attribution de la CDM 2030 au Maroc et à ses partenaires ibériques n’est pas un choix fortuit; c’est l’aboutissement d’un travail de longue haleine. Il s’agit en fait de la sixième candidature marocaine depuis 1994, reposant sur un bilan de sérieux, de fiabilité et compétence déjà démontré à l’échelle continentale et mondiale.
F. N. H. : Quel rôle jouera le leadership de Fouzi Lekjaa au sein de la Fondation Maroc 2030 pour garantir la coordination, la rigueur budgétaire et la réussite des grands chantiers à venir ?
Kh. D. : Fouzi Lekjaa, président de la FRMF, vice-président de la CAF, et fraîchement plébiscité à la haute fonction de président de la Fondation Maroc 2030 par les deux chambres du Parlement, se trouve également être ministre délégué chargé du Budget du gouvernement Akhannouch. Cette dernière casquette, à la tête du département du Budget, permet au nouveau président de cette institution stratégique d’avoir une connaissance pointue des dossiers en cours d’exécution et de finalisation concernant la préparation des deux méga-événements sportifs qui attendent notre pays en 2025 et en 2030. La Coupe d’Afrique à 24 équipes de 2025 (6 groupes de 4 équipes) va pour la première fois de son histoire se dérouler sur 9 stades.
Alors que pour la Coupe du monde, 6 stades marocains ont été proposés à la FIFA, avec 32 camps de base destinés à recevoir les différentes délégations (équipes nationales) et autres corps arbitraux devant officier au Maroc (8 arbitres par rencontre avec l’utilisation de la VAR). Lekjaa est donc le choix du cœur, pour les résultats obtenus par notre football national sous sa présidence, et pour son expertise en matière de montages financiers complexes, de management du sport et de suivi de grands travaux d’infrastructures.
Personnage influent et suffisamment rassembleur (non affilié à un parti politique particulier), Lekjaa, qui est également le choix de la continuité, aura la lourde tâche de négocier avec ses homologues, les deux présidents des Fédérations espagnole (Rafael Louzàn) et portugaise (Pedro Proença), et de répondre au cahier des charges de la FIFA de Gianni Infantino et à celui de la CAF de Patrice Motsepe. La carte de visite de Lekjaa est donc blindée. Il bénéficiera en outre de l’appui inconditionnel de ministères régaliens dont la réputation n’est plus à faire quant à leur efficacité opérationnelle (ministères des Finances, de l’Intérieur, des Affaires étrangères, de la Coopération africaine et des Marocains résidant à l’étranger). Bien entendu, la bonne gouvernance de ce projet colossal reposera sur l’expertise d’un ensemble d’institutions marocaines, d’avis d’experts qualifiés, de sécuritaires aguerris, d’hommes d’affaires influents et d’états-majors de grandes entreprises internationales, qui auront tous à cœur de faire émerger une «offre Maroc» aux normes et standards internationaux.
F. N. H. : Comment le Maroc mobilise-t-il sa gouvernance institutionnelle et ses ressources publiques pour assurer la réussite et la durabilité des chantiers liés à la Coupe du monde 2030 ?
Kh. D. : Pour celles et ceux qui ignorent le particularisme du mode de gouvernance stratégique marocain, il faut savoir que lorsque l’Institution royale chapeaute directement un projet, les problèmes de gouvernance claudicante s’estompent, la maîtrise devient totale, et la précision est millimétrée à tous les échelons du développement. Projet de règne, la Coupe du monde 2030 sera donc une opportunité inédite de démonstration du savoir-faire marocain dans l’organisation de grands événements sportifs. Le Maroc a sélectionné plusieurs villes stratégiques pour accueillir les matchs et les délégations, avec une planification rigoureuse pour répondre aux critères exigeants de la FIFA. L’objectif est de garantir une expérience optimale pour les équipes, les officiels, et les spectateurs, tant sur le plan sportif que logistique.
Si aucune opposition idéologique ou conflit d’intérêt ne devrait nous opposer à l’Uruguay, l’Argentine et le Paraguay qui recevront les trois premières rencontres pour célébrer le centenaire de la Coupe du monde, un bras de fer nous oppose déjà avec l’Espagne voisine, notamment pour la réception de la finale. Puisque nous sommes co-organisateurs tripartites de la CDM 2030 avec l’Espagne et le Portugal, c’est de coopétition (coopération + compétition) qu’il s’agit dans cette période préalable à la divulgation par la FIFA du calendrier et du lieu où se disputeront les 101 rencontres dans les trois pays du pourtour méditerranéen. La période 2025-2030 constitue donc un quinquennat stratégique, bénéficiant d’un momentum idoine, devant résulter sur la génération de points de croissance annuels additionnels (cible annuelle à 6%). Et ce, grâce à une politique de grands travaux structurants, une mobilité intelligente accrue (aérien, terrestre, ferroviaire et maritime) et une attractivité territoriale renforcée. Au-delà du sportif, ces préparatifs représentent un levier puissant d’emploi. La gestion d’un stade moderne requiert plusieurs dizaines de métiers spécialisés. Le montage financier a été conçu pour ne pas alourdir les finances publiques, en mobilisant des ressources domaniales et des institutions nationales comme la CDG.
L’exploitation à long terme sera assurée par la Sonarges, sur 20 ans, sur la base d’un modèle d’amortissement adapté. Une vigilance particulière devra encadrer la gestion de ce capital infrastructurel, pour éviter que les investissements réalisés ne se transforment en charges mortes. La modernisation des aéroports des villes concernées est déjà en cours, avec une stratégie innovante de valorisation du foncier par l’ONDA afin de garantir les financements nécessaires. Côté transport, un maillage ferroviaire performant est en cours de développement pour connecter les grandes agglomérations. Des lignes à grande vitesse (LGV) sont prévues vers le Sud, tandis que des trains régionaux express (RER) relieront les principaux pôles urbains. Dans les domaines de l’énergie et de l’eau, le Maroc a scellé un partenariat stratégique avec les Émirats Arabes Unis pour renforcer son autonomie et sa durabilité, notamment par les énergies renouvelables, le dessalement et la construction d’une autoroute électrique. Enfin, une réflexion approfondie devra porter sur l’héritage post2030. Les infrastructures mises en place devront être pensées comme des actifs polyvalents et rentables. Cela impliquera une articulation forte entre sport, culture, tourisme, médias et spectacles vivants, pour maximiser la portée et la durabilité des investissements réalisés.
F. N. H. : Dans quelle mesure la Fondation peut-elle contribuer au développement régional, à la valorisation du patrimoine culturel marocain et à l’intégration des territoires à travers des projets économiques durables ?
Kh. D. : Pour ce qui est de l’équité territoriale, l’ensemble des programmes de développement existants vont être rassemblés sous l’égide du ministère de l’Intérieur pour mettre en place un programme de mise à niveau territoriale nationale, qui mène notre pays à une convergence absolue de tous les chantiers régionaux en cours d’étude, de réalisation ou de finalisation. La soutenabilité des politiques publiques sur le long terme est un des défis majeurs auxquels devront s’atteler nos décideurs étatiques et institutions publiques dans les années à venir. Bien entendu, c’est le chantier hautement stratégique de la régionalisation avancée qui devra être également poursuivi pour autonomiser sur les plans humain, technique et financier nos 12 régions. Et ce, tout en essayant de les faire profiter au maximum de cet élan économique majeur que suscite la co-organisation d’un méga-événement. Et ce n’est pas toujours l’approche verticale, top-down, qui doit primer dans la contribution efficiente du citoyen-entrepreneur.
De nombreux chantiers de développement durable sont déjà engagés au Maroc. On peut citer le dessalement de l’eau de mer, énergies éoliennes et solaires, batteries électriques, hydrogène vert, reboisement, captation du carbone, autoroutes de l’eau et de l’électricité, toits végétalisés, recyclage des déchets industriels, ménagers et des eaux usées, qualité de l’air, études d’impact environnemental, ou encore plages sans plastique. Il faudra ensuite tirer le meilleur parti des nouvelles technologies de l’information et de la communication, de l’intelligence artificielle générale (IAG), technologie à usages multiples, ainsi que des techniques de télésurveillance, de cyberdéfense, et de l’e-commerce, notamment pour les petits artisans, commerçants, projets hôteliers indépendants… Sans oublier la digitalisation intelligente de toutes les idées, services et produits pouvant être promus via la publicité à distance et des plateformes digitales bien conçues.
Dès lors que des produits, services ou conseils de qualité sont proposés aux consommateurs marocains et étrangers, les PME, startups et artisans pourront valoriser pleinement leur savoir-faire. Dans la société hyper-industrielle qui est celle d’aujourd’hui, il faut savoir que l’industrie crée trois fois plus d’emplois induits que les services. Et c’est une des raisons essentielles pour lesquelles de nombreux pays reviennent au nucléaire non polluant, mais pouvant servir au mieux les intérêts bien compris d’une réindustrialisation à grande échelle, et dans des délais voulus les plus réduits possibles. Ensuite, et pour clore le débat, il convient de rappeler qu’il n’existe aucun projet de société fort sans un système éducatif et de formation performants.
F. N. H. : Comment la Fondation Maroc 2030 pourrait-elle intégrer le développement des infrastructures et la qualification du capital humain pour faire du Mondial 2030 un catalyseur de développement économique et social ?
Kh. D. : La transition majeure vers l’excellence évoquée par Fouzi Lekjaa implique un véritable changement de paradigme et de dimension pour accéder à un professionnalisme pluridimensionnel digne de ce nom. À l’heure où l’on parle de saut qualitatif vers la modernité, de sortie du piège de la pauvreté pour les pays émergents, de puissance algorithmique et d’intelligence artificielle surpassant déjà les capacités cognitives des êtres humains les plus brillants, il est essentiel de rappeler qu’au cœur de ces avancées technologiques, il y a toujours des femmes et des hommes d’exception. Ce sont eux qui, par leur intelligence et leur discernement, ont su entraîner ces machines à partir de données utiles, fiables et vérifiées.
Dans le domaine du football, lorsque les dés ne sont pas biaisés à l’avance et que la VAR fonctionne avec impartialité pour les deux camps, le spectacle puise toute sa beauté dans l’imprévisibilité du résultat, même pour les parieurs les plus chevronnés. Mais, toutes choses égales par ailleurs, si le statu quo perdure, ce sont bien évidemment les écuries les plus fortunées qui continueront, dans la majorité des cas, à s’imposer sur le terrain. Il en est de même pour ce qui est de la qualité des infrastructures et des services publics qui sont mis au service de la collectivité nationale. Plus leur qualité est élevée, plus le citoyen s’élève du point de vue éthique et moral. Si notre capital humain décide de se hisser au niveau des exigences d’un événement tel qu’une world cup, et que l’État marocain continue de faire la démonstration de ses capacités intrinsèques, en termes de choix de dirigeants d’exception qui font de l’intérêt général l’unique moteur de leur action, alors la CDM 2030 sera à n’en pas douter un événement marquant pour le Maroc du XXIème siècle.