Le haut-commissariat au Plan vient de publier le Budget économique prévisionnel 2022, qui présente une révision du budget économique exploratoire publié au mois de juillet 2021. Il s’agit d’une nouvelle estimation de la croissance de l’économie nationale en 2021 et d’une révision de ses perspectives en 2022 et de leurs effets sur les équilibres macroéconomiques interne et externe.
Les prévisions pour l’année 2022 sont basées sur l’hypothèse d’une production céréalière moyenne durant la campagne agricole 2021/2022 et sur les nouvelles mesures et dispositions annoncées dans la Loi des Finances 2022.
Ces prévisions sont, également, sous-tendues par un ensemble d'hypothèses relatives à l'évolution des facteurs exogènes régissant l'économie marocaine, aussi bien sur le plan national qu'international.
Croissance économique en net rebondissement
Après sa profonde récession en 2020, l'activité économique nationale devrait fortement rebondir en 2021, avec une croissance du PIB de 7,2% au lieu du repli de 6,3% enregistré en 2020.
Hormis l'effet de base, la croissance en 2021 est stimulée principalement par une bonne campagne agricole et l'amélioration de la situation épidémiologique qui ont entraîné un raffermissement de la demande intérieure et extérieure.
Le secteur primaire aurait enregistré une forte croissance de l’ordre de 17,9% en 2021 contre une baisse de 6,9% enregistrée en 2020 suite aux bonnes performances de la campagne agricole ainsi que celles des activités de l’élevage et de la pêche.
Durant cette année, la bonne répartition spatio-temporelle des précipitations a permis une production céréalière qui aurait atteint un niveau record de 103,2 MQx, en hausse de 221% par rapport à la campagne précédente[1], ainsi qu’un accroissement des autres cultures hors céréales, notamment celles des agrumes (+29%) et l’olivier (+14%) sous l’effet positif de la température relativement clémente et des pluies des mois d’avril et de mai.
Perspectives de l’économie nationale en 2022
Les prévisions de la croissance économique nationale pour l’année 2022 se basent sur un scénario d’une production céréalière moyenne durant la campagne agricole 2021/2022 et prennent en compte les nouvelles dispositions de la Loi de Finances 2022.
Ces projections supposent également la poursuite de l‘amélioration de la demande mondiale adressée au Maroc, la consolidation des IDE et le maintien des transferts des MRE.
Cependant, ces perspectives devraient rester entourées de fortes incertitudes liées à l’évolution de la situation pandémique, notamment l’apparition d’éventuels variants.
De ce fait, les mesures restrictives qui en découlent devraient impacter négativement les tendances de l’offre et de la demande et freiner par conséquent la croissance économique nationale.
En tenant compte des hypothèses retenues, la reprise économique nationale devrait se poursuivre en 2022, quoiqu’en décélération après le fort rebond attendu en 2021.
Le secteur primaire devrait afficher une valeur ajoutée en baisse de 1,6% en 2022 par rapport à une hausse de 17,9% l’année précédente, alors que les activités non agricoles devraient bénéficier de la bonne tenue de l’activité économique de nos principaux partenaires commerciaux et de l’opérationnalisation du plan de relance en 2022.
Ces activités devraient ainsi connaître une croissance de près de 3,5 % en 2022 en ralentissement par rapport à 5,6% attendue en 2021.
Le secteur secondaire devrait, de sa part, continuer d’enregistrer une valeur ajoutée en croissance modérée, affichant un taux de 3,3% en 2022 au lieu de 6,8% en 2021, retrouvant ainsi la moyenne de 2,7% réalisée durant la période 2014-2019.
Cette faible performance du secondaire serait expliquée par la décélération des industries de transformation qui auraient enregistré une valeur ajoutée en croissance de seulement 3% en 2022.
L’industrie agroalimentaire qui aurait profité des retombées de la bonne année agricole en 2021, son taux de croissance ne serait que de 0,8% en 2022.
Cependant, les industries chimique et parachimique, les industries mécanique, métallurgique et électrique et les industries du textile et du cuir devraient réaliser des taux de croissance de leurs valeurs ajoutées de respectivement 4,9%, 4,6% et 4,1%.
Ces industries devraient tirer profit du raffermissement de la demande étrangère adressée aux secteurs exportateurs. Elles devraient également profiter de la stratégie nationale de l’encouragement du label « Made in Morocco » et des nouveaux investissements planifiés pour l’année 2022.
Le secteur du BTP devrait aussi profiter des incitations publiques ainsi que du redressement de la demande intérieure pour réaliser une croissance de 3,2%. De leur part, les secteurs des mines et de l’énergie réaliseraient des valeurs ajoutées en croissance de 4,2% et 4,7% respectivement.
Quant au secteur tertiaire, qui devrait s’accroitre de 3,6% en 2022, continuerait de subir les effets négatifs de la crise pandémique avec toutefois un redressement prévu des services marchands, particulièrement l’amélioration attendue des activités touristiques et du transport aérien suite à l’ouverture attendue des frontières en 2022.
Compte tenu de ces évolutions et d’une hausse des impôts et taxes sur produits nets de subventions de près de 3,9%, le Produit Intérieur Brut devrait enregistrer un taux de croissance de l’ordre de 2,9% en 2022 après un rebond de 7,2% attendu en 2021.
En terme nominal, le produit intérieur brut devrait enregistrer une décélération de son rythme de croissance à 4,7%.
Cette évolution fait ressortir le maintien du niveau d’inflation, mesurée par l’indice implicite du PIB, à 1,8% en 2022.
Des prix en augmentation et une perte de pouvoir d’achat des ménages
La décélération de la croissance pourrait également se répercuter sur la croissance des revenus, la consommation et l'épargne nationale. En termes de projections, le revenu national brut devrait ralentir en 2022 pour atteindre un taux de croissance de 2,5%, largement inférieur à la moyenne de 4% réalisée entre 2014 et 2019.
La consommation finale des ménages devrait augmenter de 2,8% en volume.
En revanche, sa variation en valeur aurait atteint 4,6%, reflétant une perte du pouvoir d'achat suite à la hausse des prix, qui devraient continuer à augmenter en 2022 au rythme de 1,8%.
En effet, le pouvoir d'achat des ménages devrait s’accroitre de seulement 0,7% en 2022, accusant ainsi une baisse de son rythme de progression qui est passé d’une moyenne annuelle de 2,4% entre 2000 et 2009 à 1,1% entre 2010 et 2019.
Une situation qui s’est accompagnée aussi bien par une aggravation de l’endettement des ménages qui s’estime aujourd’hui à plus de 34% du PIB (près de 400 Milliards de DH) et par une décélération de la croissance de leurs crédits à consommation qui est passé d’une moyenne annuelle de 20,5% à 6,6% sur ces deux périodes et de chuter de 4,1% en 2020 avec la crise du Covid.
En total, les crédits bancaires devraient s’accroître de 3,7% en 2022, sous l’effet de la poursuite de redressement de la reprise prévue des activités économiques et de l’impact attendu des programmes de soutien des ménages et des entreprises.
De sa part, la consommation des administrations publiques devrait, s’accroître de 2,7% conduisant ainsi à une progression de la consommation finale nationale de 2,8%, et qui devrait contribuer de 2,2 points à la croissance économique en 2022 au lieu de 4,8 points en 2021.
L’investissement brut total, de son côté, devrait s’accroître d’environ 5,3% limitant sa contribution à la croissance à 1,6 point après une contribution consolidée de 3,8 points en 2021. Au total, la demande intérieure devrait progresser de 3,5% en volume au lieu de 8% en 2021, limitant ainsi sa contribution à la croissance économique nationale à 3,8 points au lieu de 8,6 points en 2021.
Dans ce contexte, l’épargne nationale devrait représenter 28,4% du PIB suite à une amélioration de l’épargne intérieure qui devrait maintenir son taux à 22,2% du PIB en 2022 et compte tenu des revenus nets en provenance du reste du monde qui devraient atteindre 6,2% du PIB en liaison avec le maintien des transferts des MRE à un niveau confortable.
Avec un taux d’investissement brut qui serait de 32% du PIB en 2022, le compte épargne-investissement dégagerait en conséquence un besoin de financement de l’ordre de 3,6% du PIB, en creusement par rapport à 2,5% du PIB attendu en 2021.
En revanche, l’économie nationale devrait continuer de bénéficier du niveau satisfaisant des réserves en devises. Ainsi, la part des avoirs extérieurs nets de réserves dans le total des contreparties de la masse monétaire devrait se contenir pour atteindre près de 19,9% au lieu de 20,7% en 2021, assurant ainsi une couverture de 6 mois et 27 jours d’importations de biens et services en 2022.
A la lumière du niveau prévisionnel de la croissance économique et du niveau général des prix, la progression de l’agrégat M3 devrait s’améliorer de près de 5,1% en 2022 au lieu de 6,3% en 2021 et 8,4% enregistré en 2020.
Poursuite de dégradation du déficit courant
Ce besoin de financement qui reflète aussi le résultat du compte courant de la balance des paiements, traduit le déficit structurel des échanges extérieurs du pays.
En effet, en 2022 le déficit commercial devrait atteindre 17,6% du PIB, soit une accentuation d’un point de pourcentage par rapport à son niveau en 2021.
En prenant en considération les évolutions nettes des services, le déficit en ressources serait en accentuation de 0,4 point par rapport à 2021 atteignant -11,3% du PIB en 2022.
Ceci serait le résultat d’une croissance nominale des exportations de biens de 10,7%, tandis que les importations afficheraient une hausse de 10,1% en 2022.
En volume, les exportations nationales devraient consolider leur sentier de croissance suite au dynamisme des métiers mondiaux pour afficher une croissance de 7,2% au lieu de 9,5% en 2021.
De leur côté, les importations devraient enregistrer une augmentation moins importante en 2022, soit 7,8% au lieu de 11,2% 2021. Ainsi, la contribution de la demande extérieure nette à la croissance économique serait négative de 0,9 point du PIB en 2022.
Une politique publique pour répondre à l'urgence de la relance économique et de la cohésion sociale
La politique budgétaire en 2022 devrait rester orientée en faveur du soutien de l'économie nationale en maintenant un déficit budgétaire de près de 6,1% du PIB.
Cette orientation est combinée à une augmentation des dépenses d'investissement, qui devraient atteindre 7,2%, et des dépenses ordinaires incompressibles, qui poursuivraient leur tendance haussière pour représenter près de 21,7% du PIB.
Cette augmentation serait portée par la hausse des dépenses de la masse salariale à 12,1% du PIB et des dépenses des autres biens et services (5,6% du PIB). En supposant que le prix moyen du gaz butane continue à augmenter, la charge de compensation devrait avoisiner 1,6% du PIB.
Néanmoins, le solde ordinaire devrait se redresser en 2022, sous l'effet d'une augmentation continue des recettes fiscales (18,5% du PIB), en lien avec la reprise de l'activité économique. Cette perspective serait également renforcée par l'introduction de certaines taxes et l'augmentation de la TIC et des droits d'importation appliqués à certains produits.
L'impôt sur les sociétés devrait retrouver son taux de croissance d'avant la crise grâce à l'amélioration des bilans des entreprises en 2021. De même, les recettes de l'impôt sur le revenu et de la TVA devraient bénéficier de l'augmentation attendue de la demande.
Pour combler ses besoins de financement, le Trésor aurait recours aux emprunts intérieurs et extérieurs. Dans ce cadre, les projections pour 2022 montrent que le taux d'endettement du Trésor devrait augmenter à 78,5% du PIB, dont 60% du PIB de dette intérieure et 18,5% de dette extérieure.
Les répercussions de la crise Covid-19 ont également révélé la vulnérabilité des finances publiques aux chocs exogènes et la possibilité de créer des espaces budgétaires. Avec une dette extérieure garantie par l'Etat qui devrait se stabiliser à près de 14,7% du PIB en 2022, le taux d’endettement public global, en augmentation continue, devrait atteindre 93,2% du PIB en 2022, contre 90,3% en 2021.
En conclusion, l’année 2021 aurait connu un fort rebond de la croissance économique nationale, portée par les performances du secteur agricole et une politique financière intelligente assortie d’une stratégie de gestion sanitaire à l’origine d’une limitation remarquable des effets de la pandémie du Covid-19.
L’année 2022 se devrait d’être l’année de la première épreuve opérationnelle du Nouveau Modèle de Développement (NMD) du Royaume du Maroc. Au plan institutionnel, elle a consacré, après les élections de septembre 2021 avec leurs débats et leur pléthore d’offres électoralistes, l’émergence d’une majorité largement hégémonique au Parlement et dans l’opinion publique et la constitution d’un gouvernement dont le programme se réclame des options et des objectifs de ce nouveau modèle.
Dans ces conditions, cette année devrait connaitre une nouvelle dynamique de réformes de structures, aujourd’hui plus que jamais nécessaires, pour que notre pays réalise dans la durée le niveau de croissance de son économie et les conditions de vie de sa population en harmonie avec les ultimes finalités qu’il est en droit de connaitre à l’horizon 2035.
[1] Cette production se serait élevée à 50,6 MQx pour le blé tendre, à 24,8 MQx pour le blé dur et à 27,8 MQx pour l’orge.