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«Notre pays n’échappe pas au phénomène mondial des nouveaux médicaments sans valeur ajoutée»

«Notre pays n’échappe pas au phénomène mondial des nouveaux médicaments sans valeur ajoutée»

• Au Maroc, comme dans le reste du monde, de nombreux médicaments qui ont plus de 30 ou 40 ans  d’existence, leur efficacité ou leur sécurité n’est pas mise en cause.

• La moitié des nouveaux médicaments mis sur le marché mondial n’ont pas de valeur ajoutée thérapeutique mais ont par contre des prix de plus en plus élevés. 

• Entretien avec Abdelmajid Belaiche, expert en industrie pharmaceutique, analyste des marchés pharmaceutiques et membre de la société marocaine de l’économie des produits de santé.

Propos recueillis par Ibtissam.Z 

La Quotidienne : Au niveau mondial, la moitié des médicaments mis sur le marché n'ont pas forcément une valeur ajoutée thérapeutique mais ont des prix de plus en plus élevés. Quel est le risque pour les patients ?

Abdelmajid Belaiche : Le terme «innovation» est souvent galvaudé et utilisé pour désigner tous les nouveaux médicaments, même ceux qui n’apportent réellement aucune valeur ajoutée ou progrès thérapeutique. En effet, en matière de médicament, nouveauté ne rime pas toujours avec progrès thérapeutique. La valeur ajoutée thérapeutique est une véritable amélioration de la balance bénéfices/risques pour les patients. Il serait bon de rappeler ici que des médicaments dans l’ancienneté dépasse un siècle continuent d’être largement utilisés à ce jour en raison d’une balance bénéfices/risques favorable. C’est le cas notamment du paracétamol découvert à la fin du 19ème siècle et qui est utilisé depuis 1955. Ce médicament reste le plus utilisé dans le monde comme antidouleur et contre la fièvre. C’est aussi le cas de l’aspirine également découverte à la fin du 19ème siècle et qui après avoir été largement utilisée dans le monde également comme antidouleur et contre la fièvre a retrouvé une seconde jeunesse comme traitement contre les thromboses et comme cardio protecteur depuis une cinquantaine d’années. On pourra aussi citer le cas de la metformine DCI, découverte en 1922, utilisée depuis 1957 et qui reste à ce jour l’antidiabétique oral le plus utilisé dans le monde. Il existe au Maroc comme dans le reste du monde, de nombreux médicaments qui ont plus de 30 ou 40 ans voire plus, sans que leur efficacité ou leur sécurité soient mises en cause, qu’ils soient des princeps ou des génériques. A contrario, certains médicaments innovants ont dû être retirés du marché à peine quelques mois ou quelques années après leur lancement. C’est le cas notamment de l’anti-inflammatoire Rofécoxib DCI (Vioxx), lancé en 1999 et qui a été retiré dès 2004 ou du Ribonabant DCI (Acomplia) lancé en 2006 et retiré en 2009, en raison de ses effets indésirables gravissimes. Ce ne sont là que quelques exemples parmi des dizaines. Il faut rappeler à ce titre que le système mondial de pharmacovigilance veille au grain et continue de surveiller tous les médicaments après leur commercialisation.           
La dernière révélation du British Medical Journal, parue le 5 juillet 2023 a choqué le monde. Selon ce prestigieux journal médical, la moitié des nouveaux médicaments mis sur le marché mondial n’avaient pas de valeur ajoutée thérapeutique. Des chercheurs avaient en effet constaté que sur l’ensemble des médicaments lancés dans les marchés américains et européens, entre 2011 et 2020, la moitié de ces produits n’étaient pas plus efficaces voire dans certains cas étaient moins efficaces ou moins sûrs, par rapport à des médicaments plus anciens. Ils avaient aussi constaté que leurs approbations par la Food & Drugs Administration (FDA) américaine ou par l’Agence européenne des médicaments (EMA) et leurs évaluations par la Haute autorité de santé française et son équivalent allemand posaient problème. En effet, seule la moitié de ces médicaments innovants et pourtant approuvés avaient une valeur ajoutée substantielle, par rapport à des médicaments plus anciens, pour leur première et principale indication thérapeutique et pour laquelle ils ont été développés. Et qu’ils sont 37% moins susceptibles d’être à forte valeur ajoutée dans la seconde indication sur laquelle ils ont été élargis par rapport à leur première indication. Il faut aussi rappeler que la majorité de ces nouveaux médicaments avaient obtenu leurs autorisations de mise sur le marché (AMM ) à travers une procédure d’évaluation accélérée, connue sous le nom de procédure Fast-Track, qui est beaucoup plus courte que celle à laquelle ont été soumis la majorité des médicaments et qui est également utilisée au Maroc. Les reproches faits à ces approbations des nouveaux médicaments concernent des évaluations faites sur des critères intermédiaires, sans corrélations cliniques démontrées ainsi que des essais cliniques biaisés dans leur conception, leur mise en œuvre ou dans l’analyse de leurs résultats. D’ailleurs, les responsables de l’Agence européenne des médicaments ont reconnu que «plus d’efforts devraient être faits pour contextualiser l’effet des nouveaux médicaments et pour être plus explicites sur leur valeur ajoutée réelle, qui peut être soit négative, soit nulle, soit positive pour certains groupes de patients».

La Quotidienne : Quel impact cela aura-t-il sur l’équilibre budgétaire des Caisses des organismes de gestion de l'assurance maladie ?  Dans cette approche où se situe le Maroc ?

Abdelmajid Belaiche : De nombreux nouveaux médicaments arrivent sur le marché pharmaceutique marocain parfois dès leur lancement au niveau mondial. Près de la moitié de ces médicaments n’apportent aucune valeur ajoutée thérapeutique et même parfois ils ont une valeur ajoutée négative, en étant moins efficaces et/ou moins sûrs en comparaison à des médicaments similaires plus anciens et qui sont utilisés dans les mêmes situations pathologiques. Ainsi, notre pays n’échappe pas au phénomène mondial des nouveaux médicaments sans valeur ajoutée. D’où la nécessité d’une évaluation rigoureuse localement, au niveau de la Commission des AMM, mais aussi au niveau des commissions de la transparence des médicaments et de l’évaluation économique et financière des produits de santé de l’ANAM en attendant que la nouvelle gouvernance du secteur de la santé se mette en place avec ses institutions et ses outils d’évaluation. Un autre phénomène doit nous interpeller. Il s’agit de l’arrivée de nouveaux médicaments sur le marché marocain à des prix de plus en plus élevés. Beaucoup plus élevés que ceux des médicaments plus anciens. Certains de ces médicaments avaient des prix de vente public (PPV) qui ont déjà franchi la barre des 100.000 dirhams par boite. Ces médicaments, et notamment les plus coûteux, nécessitent une évaluation plus rigoureuse et plus pointue au niveau de la DMP ou de la future Agence des médicaments et des produits de santé, avant la délivrance des AMM mais aussi au niveau de la commission de la transparence des médicaments et celle de l’évaluation économique, avant leur admission au remboursement. Il ne faut pas non plus se contenter d’approuver les nouveaux médicaments uniquement sur la base de leur approbation par la FDA ou par l’EMEA et qui ont été mises en cause.   

La Quotidienne : Les délivrances des autorisations de mise sur le marché tiennent-elles compte de la valeur ajoutée des nouveaux médicaments, surtout les plus coûteux, et qu'en est-il des autorisations temporaires d'utilisation d'un médicament ?

Abdelmajid Belaiche : En attendant la mise en place de la Haute autorité de régulation intégrée de santé (HARIS) et de l’Agence marocaine des médicaments et des produits de santé, il faudrait réactiver la commission des A.M et ses experts indépendants dans divers domaines médico-pharmaceutiques. La logique est que les cadres de la DMP n’interviennent pas directement dans les évaluations des dossiers mais assurent uniquement un rôle administratif de secrétariat pour préparer les dossiers et rédiger les comptes rendus de cette commission. Il semblerait que cette commission qui évalue la qualité, la sécurité et l’efficacité des médicaments, doit passer à un niveau supérieur pour filtrer les nouveaux médicaments, sur la base de leurs véritables valeurs ajoutées thérapeutiques. Ceci permettra d’éliminer des médicaments sans valeur ajoutée thérapeutique ou avec une valeur ajoutée négative et qui ne font qu’encombrer inutilement le marché pharmaceutique et de créer des confusions entre médicaments. En ce qui concerne les autorisations d’utilisations temporaires (ATU), censées n’être que provisoires pour de courtes durées et permettant aux patients de disposer de nouveaux médicaments innovants en attendant que ceux-ci obtiennent leurs AMM. Le problème est que les durées d’utilisation de ces ATU se prolongent parfois sur des années. La logique est que dès la première demande d’ATU, on doit exiger du laboratoire détenteur du médicament en question de déposer rapidement une demande d’AMM. 

La Quotidienne : Pourquoi y a-t-il des médicaments qui sont remboursés par dérogation sans que leur efficacité et leurs coûts soient vraiment évalués ?

Abdelmajid Belaiche : Le ‘Normalement’ pour qu’un médicament soit remboursé, il doit passer d’abord, au sein de l’ANAM)par la commission de transparence (C.T) et le cas échéant par la commission de l’évaluation économique et financière des produits de santé (CEFPS). La commission de transparence évalue les médicaments qui ont obtenu une autorisation de mise sur le marché et leur attribue un Service médical rendu (SMR). Le SMR est un score qui tient compte de la gravité de la maladie à laquelle s’adresse un médicament, de son efficacité, de ses effets indésirables, de sa place dans la stratégie thérapeutique et de son intérêt pour la santé publique. Le médicament aura donc, selon les cas, en SMR, fort, modéré, faible ou insuffisant. Seuls les médicaments qui ont un SMR fort ou modéré seront évalués par la Commission d’évaluation économique et financière des produits de santé. Si le SMR du médicament est faible ou insuffisant, sa demande de remboursement sera rejetée. Pour les nouveaux médicaments, l’évaluation doit aussi se faire avec l’Amélioration du service médical rendu (ASMR) apportée ou non par ce médicament. L’ASMR est un critère qui mesure le progrès thérapeutique apporté par ce médicament, sur des bases scientifiques et en comparaison à d’autres médicaments plus anciens utilisés dans les mêmes conditions. L’ASMR peut être majeure, importante, modérée, faible ou inexistante. La C.E.F.P.S évalue, en revanche, les coûts de traitement des nouveaux médicaments par rapport à des médicaments déjà remboursés et utilisés dans les mêmes indications. Une ASMR favorable peut être utilisée pour justifier un coût plus élevé en comparaison à des médicaments déjà remboursés, utilisés dans les mêmes indications. Après cette évaluation économique, la CEFPS décide d’inclure ou pas le nouveau médicament dans la liste des médicaments remboursables. Le problème est que les 2 commissions de l’ANAM, la CT et la CEFPS ne se sont pas réunies depuis plusieurs mois. Le processus d’évaluation des nouveaux médicaments est ainsi bloqué. Par ailleurs, et dans un passé récent où ces 2 commissions fonctionnaient, elles ne se réunissaient qu’un jour par mois, pendant 2 heures environ. Cette fréquence et la durée des réunions de ces commissions ne permettaient pas de traiter tous les dossiers des médicaments exigeant une évaluation. L’admission à la liste des médicaments remboursables pour de nombreux médicaments a été retardée et un processus de remboursement par dérogation également appelé remboursement nominatif, a été mis en place. Il consiste à rembourser un dossier soumis par un patient pour un médicament non encore remboursable, et traite les dossiers au cas par cas. Outre son manque de transparence, ce système permet de rembourser des médicaments qui n’ont pas été évalués ni en termes d’efficacité et de sécurité par la CT, ni en termes de coût par la CEFPS. De ce fait, ces remboursements par dérogation peuvent présenter des risques pour les patients dans le cas où l’efficacité ou leur sécurité n’a pas été établie en comparaison à des médicaments plus anciens. Ces patients en payeront le prix en termes de retard de guérison ou d’échecs thérapeutiques pouvant aggraver la maladie. Les médicaments non évalués peuvent aussi impacter les Caisses des organismes gestionnaires de l’assurance maladie s’ils coûtent plus chers que des médicaments déjà remboursés et à efficacité et sécurité équivalentes. Ajouter à cela qu’en cas d’une guérison retardée ou d’une aggravation de la maladie, les coûts des prises en charge seront majorés. Il est donc essentiel de rétablir le fonctionnement de la CT et de la CEFPS  et d’augmenter la fréquence de leurs réunions et de leurs durées, pour qu’elles puissent jouer pleinement leurs rôles dans l’évaluation des médicaments, en attendant que les nouveaux organismes de la gouvernance de la santé (Haute autorité de régulation intégrée de santé et Agence nationale des médicaments et des produits de santé) soient mises en place.

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