La reprise post-Covid-19 a créé un déséquilibre entre l’offre et la demande, entraînant de fortes tensions sur les prix des produits alimentaires.
Le conflit russo-ukrainien fait craindre la pire crise alimentaire mondiale depuis la Seconde Guerre mondiale.
Avant le déclenchement des hostilités, 44 millions de personnes étaient au bord de la famine dans le monde.
Par D. William
Les terriens sont-ils maudits ? Une crise alimentaire mondiale qui succède à une pandémie, voire les deux qui se juxtaposent : c’est le scénario catastrophe que tous les observateurs redoutent.
La crise sanitaire liée au Covid-19 dure depuis deux ans, et nous n’en sommes pas complètement sortis. Certes, le virus n’est plus aussi violent et létal, mais il fait toujours des victimes. Jusqu’au 5 avril, on dénombrait 494 millions de cas de contaminations pour 6,17 millions de décès dans le monde. Au-delà du drame humain, cette pandémie qui dure depuis deux années a profondément affaibli les économies, plongeant plusieurs pays dans une récession sévère, mais elle a surtout bouleversé l’ordre économique mondial établi. Et jusqu’à présent, l’économie mondiale ne s’est pas complètement remise de cette crise sanitaire.
En effet, à la faveur de la forte reprise économique, se sont créés des déséquilibres entre l’offre et la demande à cause notamment des goulots d’étranglement dans les chaînes de production, auxquels se sont ajoutées la hausse vertigineuse des coûts des transports et du fret, l’augmentation des prix de l’énergie, les perturbations du trafic aéroportuaire, ainsi que les pénuries de certains produits, comme les semi-conducteurs… Cette situation a créé de fortes tensions sur les prix des produits alimentaires notamment. Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), les prix du blé et de l’orge, par exemple, ont augmenté de 31% dans le monde au cours de l’année 2021, tandis que les prix de l’huile de colza et de l’huile de tournesol ont affiché une hausse de plus de 60%.
Greniers à céréales
La Russie et l’Ukraine sont des «usines» à céréales pour le monde. Ces deux pays représentent 15% de la production mondiale de blé et près de 30% des exportations. Ils assurent aussi 19% de l’offre d’orge et plus d’un tiers des exportations mondiales de céréales.
Depuis le 24 février 2022, date à laquelle les tanks russes ont roulé sur l’Ukraine, il y a eu un renchérissement des prix des produits alimentaires à cause, entre autres, des sanctions infligées à la Russie, des perturbations enregistrées dans les filières d’approvisionnement et de distribution des céréales, des restrictions à l’exportation décidées par l’Ukraine… Le Programme alimentaire mondial (PAM) estime que 13,5 millions de tonnes de blé et 16 millions de tonnes de maïs sont bloquées en Russie et en Ukraine, soit 23% et 43% de leurs exportations prévues en 2021-2022. Les prix mondiaux du blé ont ainsi augmenté d'environ 21%, ceux de l'orge de 33%, tandis que certains engrais ont vu leur prix augmenter jusqu'à 40% depuis l’invasion russe. A fin mars, les prix ont augmenté sur un an de 48% pour les céréales, dont 79% pour le blé.
Les pays qui souffrent le plus de cette conjoncture sont ceux qui ont une dépendance «alimentaire» visà-vis de la Russie et de l’Ukraine… Rien que pour le blé, une cinquantaine de pays comptent sur elles pour s’approvisionner. Mais c’est surtout pour les pays africains que les experts s’inquiètent. «45 pays africains et pays les moins avancés importent au moins un tiers de leur blé d'Ukraine ou de Russie; et 18 de ces pays en importent au moins 50%. Cela comprend des pays comme le Burkina Faso, l'Egypte (plus grand importateur mondial de blé, ndlr) la République démocratique du Congo, le Liban, la Libye, la Somalie, le Soudan et le Yémen», indique le le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres. «Nous devons faire tout notre possible pour éviter un ouragan de famines et un effondrement du système alimentaire mondial», a-t-il averti, soulignant que cette guerre allait impacter «le plus durement les plus pauvres et semer les germes de l'instabilité politique et de troubles dans le monde entier».
Autrement dit, le conflit russoukrainien fait germer le spectre d’une crise alimentaire pire que celle de 2008, d’autant plus que Guterres rappelle que «les prix des céréales ont déjà dépassé ceux du début du printemps arabe et des émeutes de la faim de 2007-2008». Cette insécurité alimentaire mondiale, entretenue par la pénurie et la flambée des prix des denrées alimentaires, ira en s’accentuant tant que durera ce conflit. Et fragilisera davantage certains pays, voire les plongera dans la famine. Déjà, avant la guerre en Ukraine, il y avait environ 44 millions de personnes au bord de la famine dans le monde.
«L'invasion de l'Ukraine pourrait entraîner la pire crise alimentaire mondiale depuis la Seconde Guerre mondiale», avertit d’ailleurs le chef du PAM, David Beasley, s’adressant au Conseil de sécurité des Nations unies.
Pandémie, guerre en Ukraine, inflation, crise alimentaire mondiale… : ce sont donc les ingrédients d’où risquent de se nourrir des crises sociales majeures qui vont embraser plusieurs pays si les gouvernements restent passifs.