Les Dialogues Atlantiques ont été un moment fort pour débattre de sujets phares, entre autres, le rôle des infrastructures, la configuration du monde après l’élection de Trump ou celle de l’Europe après le Brexit. Pascal Boniface, directeur de l’Institut français des relations internationales et stratégiques, nous éclaire sur le monde d’aujourd’hui et de demain à l’aune de ces évènements.
Finances News Hebdo : La thématique débattue en long et en large porte sur l’At-lantique en transition. Jusqu’à quel degré pouvons-nous croire à cette transition si nous considérons que les USA et l’Europe s’accaparent toujours la plus grande part du PIB mondial, soit plus de 51% ?
Pascal Boniface : En fait, il s’agit d’une progression lente et inéluctable, mais nous assistons à une grande évolution stratégique qui augure la fin du monopole occidental sur la puissance économique mondiale. Il s’agit d’un fait qui ne se produit pas en une année, mais d’un long processus progressif qui remonte déjà au début des années 90, avec l’émergence de plusieurs pays. On parle souvent des BRICs, mais il n’y a pas que quatre ou cinq pays qui sont émergents. Il y a 60 à 70% des pays qui le sont et le Maroc en fait partie. Même si aujourd’hui les Occidentaux sont encore les plus riches, on remarque bien qu’il y a un rééquilibrage général, mais avec une évolution d’un processus à la fois lent et permanent.
F.N.H. : L’accent a été mis sur le développement des infrastructures en tant que levier de croissance dans le continent africain. Sauf qu’il s’agit d’investissements non rentables dans l’immédiat, et du coup, ne se reflètent pas sur la croissance du PIB. Selon vous, quels sont les mécanismes à mettre en place par ces pays afin de concilier entre l’investissement en infrastructures et celui en projets sociaux pour subvenir aux besoins sans cesse croissants de la population ?
P. B. : Effectivement, il y a toujours un équilibre à faire, mais il faut dire que sans infrastructures, il n’y a pas de développement. Il ne faut jamais injurier l’avenir et avoir toujours cette perspective à long terme. Mais on sait qu’en même temps, il y a des besoins sociaux qu’il faut satisfaire pour ne pas déstabiliser le pays et éviter les mouvements extrémistes qui peuvent se déclencher d’un moment à l’autre. Donc, il faut veiller à trouver un équilibre. L’infrastructure étant déjà la croissance d’aujourd’hui parce quand vous construisez une voie ferrée, un pont, une route..., vous créez des emplois et bien entendu le modernisme de demain.
F.N.H. : L’avenir du monde avec l’élection de Donald Trump revient sur toutes les langues. Justement, si le nouveau pré- sident américain veille à appliquer les mesures antimondialisation, quelles seront les conséquences sur l’économie mondiale et, surtout, qui seront les grands perdants ?
P. B. : C’est très difficile à évaluer parce que Trump a dit beaucoup de choses contradictoires. Mais c’est vrai, on peut voir qu’il y a une sorte de protectionnisme américain qui va se mettre en place. Il y a des aspects vraiment très inquiétants dans ses déclarations, notamment sur les musulmans ou sur les Mexicains.
On voit très bien qu’il s’agit de propos racistes angoissants. Est-ce qu’il va pouvoir vraiment mettre en place des barrières tarifaires aussi fortes qu’il le dit ? Dans ce cas, il risque même d’y avoir un contrecoup pour l’économie américaine. Toutefois, il y a des parties de son programme qui sont irréalisables.
Effectivement, l’élection de Trump peut nous faire entrer dans une zone de turbulences parce que c’est un homme imprévisible. On verra ce qu’il en sera, dans la mesure où souvent les hommes élus ne respectent pas leurs engagements et déçoivent les citoyens qui ont voté pour eux. Mais il faut dire que les premières nominations dans l’équipe de Trump sont inquiétantes.
F.N.H. : Dans le même sillage, comment pouvons-nous appréhender l’avenir à l’aune de plusieurs évènements, notamment la montée en puissance de l’ultranationalisme un peu partout dans le monde ?
P. B. : Effectivement, nous vivons une période un peu troublée avec la montée des mouvements d’exclusion en guise de réaction à l’ouverture. Avec la mondialisation, on voit certes la fin des frontières, mais l’apparition de murs nouveaux. Il s’agit-là d’un phénomène très contradictoire.
Ce qu’il faut donc, c’est réguler surtout la mondialisation qui, faut-il reconnaître, a profité à plusieurs, sachant que des centaines de millions de personnes sont sorties de la misère. Mais en même temps, il y a une classe, soit 0,1% de la population mondiale, qui vit dans l’ultra luxe. Un luxe qui s’affiche de façon assez scandaleuse. Mais on trouve aussi des gens qui sont restés au-dessous du seuil de pauvreté.
Propos recueillis par Soubha Es-siari
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