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Production du vaccin anti-covid-19 au Maroc: «Le chiffre de 5 millions de doses par mois reste très réalisable»

Production du vaccin anti-covid-19 au Maroc: «Le chiffre de 5 millions de doses par mois reste très réalisable»

 

Le 5 juillet 2021, le Roi Mohammed VI a procédé à la cérémonie de lancement et de signature de conventions relatives au projet de fabrication et de mise en seringue au Maroc du vaccin anti-Covid-19 et autres vaccins.

Grâce à ce projet qui nécessite un investissement global de 500 millions de dollars, le Maroc est en passe de devenir un hub continental dans le domaine de la biotechnologie pharmaceutique.

Abdelmajid Belaïche, membre de la Société marocaine de l’économie des produits de santé, consultant en industrie pharmaceutique et analyste des marchés pharmaceutiques, nous explique les grands enjeux de ce projet.

 

Propos recueillis par Ibtissam Z.

 

Finances News Hebdo : Le projet de fabrication et de mise en seringue du vaccin anti-Covid-19, lancé par le Roi Mohammed VI, est une étape historique. Quelles sont les aspirations du Maroc dans les domaines sanitaire et pharmaceutique ?

Abdelmajid Belaiche : Le projet de fabrication des vaccins au Maroc est le plus important investissement jamais réalisé en un seul coup dans le secteur pharmaceutique. C’est aussi le premier projet où il y a eu convergence d’autant d’entités  : 3 laboratoires pharmaceutiques, dont 2 internationaux (Sinopharm, Recipharm et Sothema), 3 banques parmi les plus importantes au Maroc (Attijariwafa bank, Banque Centrale Populaire et Bank of Africa), sans compter le Fonds Mohammed VI et l’implication de plusieurs ministères. Et surtout la volonté et la supervision royale pour voir un projet aussi ambitieux aboutir, pour le bienfait des citoyens africains en général et marocains en particulier. L’implication d’autres laboratoires pharmaceutiques dans la fabrication des vaccins n’est pas exclue. Les ambitions marocaines en matière de fabrication pharmaceutique ont été toujours très fortes.

Les opérateurs pharmaceutiques locaux y ont toujours cru, même quand cela semblait du domaine de l’impossible, et ceci en dépit d’un environnement réglementaire défavorable, d’un manque d’accompagnement étatique suffisant et, surtout, d’une administration de tutelle bureaucratique, au point de constituer un sérieux frein au développement du secteur. Aujourd’hui, les choses ont beaucoup évolué. Il y a eu d’abord les durs enseignements de la pandémie de la Covid-19, qui nous ont rappelé combien il est essentiel pour un Etat d’assurer sa souveraineté sanitaire et de garantir son indépendance et son approvisionnement durable en médicaments et autres produits. Pour cela, la fabrication locale devenait un impératif. Dans ce cadre, la décision de sa Majesté Mohammed VI, que Dieu le glorifie, de mettre en place ce projet ambitieux est historique. Il faudrait aussi rappeler que la pandémie a obligé les décideurs et les législateurs à une forte remise en cause de leurs conceptions en matière de priorités de la santé. Les budgets étatiques consacrés à la santé sont insuffisants (6% environ du budget général) et loin de répondre aux recommandations de l’OMS, et la gouvernance des ressources sanitaires calamiteuse.

La pandémie a heureusement réveillé les consciences. De nombreux rapports se sont penchés sur le secteur de la santé, d’une manière plus ou moins exhaustive et plus ou moins profonde. On peut citer le rapport du Conseil de la concurrence, de la Commission spéciale du modèle de développement, du groupe de travail parlementaire, le rapport parlementaire au sujet de la direction du médicament et de la pharmacie et celui très attendu de la Cour des comptes. Ces rapports convergent tous vers une seule conclusion, à savoir la nécessité de développer la fabrication locale et d’encourager les médicaments génériques pour garantir l’approvisionnement de notre pays en produits de santé et assurer notre souveraineté sanitaire. Le projet royal de la fabrication des vaccins est venu rappeler un grand oublié  : le domaine de la biotechnologie pharmaceutique où le Maroc a pris malheureusement beaucoup de retard.

 

F.N.H. : Ce projet va-t-il accélérer le déroulement de la campagne de vaccination et, par conséquent, permettre d’atteindre rapidement l’immunité collective au Maroc ?

A. B. : Les premiers vaccins fabriqués au Maroc par remplissage (Fill & Finish) ne seront disponibles que dans quelques mois, et malheureusement le temps presse. Il y a une véritable course contre la montre. En attendant, notre pays aura encore besoin de s’approvisionner en vaccins, et il a intérêt à diversifier ses sources et ne pas se limiter au Sinopharm et à l’AstraZeneca, mais utiliser d’autres vaccins (Spoutnik, Pfizer, Moderna etc.) pour atteindre aussi rapidement que possible l’immunité collective.

 

F.N.H. : Pourquoi réaliser un projet aussi important et aussi coûteux pour une pandémie, qui peut disparaitre totalement comme elle est apparue ?

A. B. : Effectivement et à première vue, on peut se poser une telle question. En réalité, il n’est pas exclu que l’on ait affaire à d’autres variants plus ou moins dangereux et plus ou moins contaminants, qui prolongeraient la pandémie en plusieurs autres vagues. Dans le cas où la pandémie du Sars-Covid-19 disparaitrait, il n’est pas exclu que d’autres pandémies à Coronavirus ou à d’autres virus surviennent, notamment des grippes comme celles du H1N1. De même, la mise en place d’une véritable industrie biopharmaceutique permet de répondre à d’autres besoins nationaux ou continentaux en matière de vaccins, qui manquent cruellement ou qui sont très coûteux. Ce qui impacte sérieusement nos importations et aggrave le déficit de la balance commerciale. De plus, le savoirfaire biopharmaceutique acquis avec les vaccins pourra permettre de développer d’autres biomédicaments plus complexes et aujourd’hui coûteux.

 

F.N.H. : A-t-on défini une date exacte pour entamer ce projet de grande envergure ?

A. B. : Les avis divergent à ce sujet. Globalement, on peut estimer de 3 à 6 mois la fabrication locale par remplissage et d’au moins une année pour le projet de fabrication de la matière première, si le projet est bien accompagné et bien soutenu. Le projet est très complexe aussi bien dans son montage financier et dans la mise en pratique des accords signés que dans les aspects techniques, sans oublier la formation du personnel. Il y a de gros défis dans les transferts technologiques, mais le jeu en vaut la chandelle. Dans ce type de projet, il vaut mieux prendre le temps pour faire les choses dans les règles de l’art. D’abord, l’étape fabrication Fill & Finish avant d’envisager la fabrication des Bulks (principes actifs), et importation de vaccins pour immuniser la population en urgence.

 

F.N.H. : Le projet nécessite un investissement global de 500 millions de dollars. Comment sera-t-il financé ?

A. B. : D’habitude, les investissements réalisés dans le secteur sont de l’ordre de dizaines de millions de dirhams. Là, on change de dimension et on passe à 500 millions de dollars. C’est énorme et historique. Dans un premier temps, c’est le consortium de banques marocaines citées plus haut et le Fond Mohammed VI, mais il n’est pas du tout exclu, vu la dimension du projet, de voir arriver d’autres financements locaux ou internationaux. La prise de conscience actuelle que la santé est le bien le plus cher pour tout Etat et que le monde est encore fortement menacé par les pandémies qui peuvent tout détruire, y compris les économies, même dans les pays les plus puissants et les plus riches, expliquent l’ampleur des investissements dans le domaine de la santé et la nécessité de construire des systèmes de santé robustes.

 

F.N.H. : Le Maroc compte produire à court terme 5 millions de doses par mois. Quels sont les objectifs à moyen terme ? Et quand atteindra-t-on la vitesse de croisière en termes de production ?

A. B. : Il est difficile aujourd’hui de donner des chiffres. Les acteurs de ce projet restent silencieux; il a une dimension de confidentialité, mais il y a aussi des incertitudes tant que le projet n’a pas vraiment démarré. Ce n’est qu’au moment où la fabrication aura commencé et qu’elle sera confrontée à des problèmes techniques, logistiques ou administratifs, qu’on aura des objectifs de production plus fiables et plus réalistes. Toutefois, le chiffre de 5 millions de doses par mois reste très réalisable, vu le savoir-faire déjà acquis dans la technologie du Fill & Finish. L’industrie pharmaceutique marocaine a déjà montré ses capacités d’adaptation et d’évolution et sa forte résilience face à la pandémie.

 

F.N.H. : Au niveau mondial, le continent africain a reçu moins de 2% de doses du vaccin contre le coronavirus. Un constat qui démontre l’énorme «fracture sanitaire» qui existe entre les continents. La création d’une souveraineté vaccinale africaine est-elle possible ?

A. B. : La fracture sanitaire et notamment pharmaceutique est indéniable, et elle a toujours existé. Elle concerne tous les aspects  : ressources humaines sanitaires, accès aux soins, infrastructures, etc. L’Afrique, avec une population d’un milliard 340 millions d’individus, soit 17,2% de la population mondiale, ne consomme que 0.5% des médicaments utilisés dans le monde. Cette fracture entre pays riches et pays en voie de développement a été encore plus grave dans le cas des vaccins de la Covid-19, et ceci pour 3 raisons principales. La première est que les capacités de production mondiales des vaccins anti-covid sont très insuffisantes par rapport aux besoins mondiaux. La deuxième est que la pandémie covid a déclenché une véritable guerre entre les pays pour s’accaparer les ressources sanitaires et les garder pour leurs propres populations au détriment d’autres nations. La troisième est économique.

L’acquisition de millions de doses est très coûteuse pour les pays les plus pauvres. Ces 3 raisons expliquent pourquoi l’Afrique n’a eu droit qu’à 2% de l’ensemble des vaccins utilisés dans le monde. Dans ce cadre, notre pays fait figure d’exception dans le continent africain. Concernant la souveraineté nationale dans les pays africains, elle n’est possible qu’a travers la coopération Sud-Sud entre les pays africains les plus développés en matière pharmaceutique et ceux n’en disposant pas. Mais aussi avec les géants pharmaceutiques asiatiques que sont l’Inde et la Chine qui ont toujours été qualifiées de «pharmacies du monde».

Par le passé, ces géants ont toujours été les fournisseurs de médicaments génériques accessibles ou des matières premières nécessaires pour les fabriquer. Pour rappel, ces deux pays fournissent 80% des matières pharmaceutiques mondiales, y compris aux pays occidentaux, sans compter les médicaments à l’état fini. Dans ce cadre, le Maroc qui a toujours ambitionné d’être un véritable hub pharmaceutique africain, le deviendra avec ce projet de vaccins anti-covid et ultérieurement pour d’autres vaccins. De plus, en entament la fabrication des biomédicaments, notre pays ne manquera pas de passer à la vitesse supérieure en accédant à la fabrication des biosimilaires (génériques des biomédicaments) dont les très coûteux anticorps monoclonaux. Aujourd’hui, c’est un rêve, demain ce sera une réalité.

 

 

 

 

 

 

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