Exercice communicationnel du ministre de la Transition énergétique et du Développement durable pour s’expliquer sur la situation d’un secteur secoué par la conjoncture internationale et qui dispose d’un stock stratégique de produits pétroliers insuffisant.
Elle est restée cependant muette sur un point : la réponse que doit apporter le gouvernement face à la flambée des prix à la pompe.
Chapeau bas pour Leila Benali. La ministre de la Transition énergétique et du Développement durable est particulièrement… énergique ces derniers temps. Elle multiplie les sorties, se confrontant et aux parlementaires et aux journalistes.
En ces temps où la parole politique est presque sacralisée, sacrifiée sur l’autel d’une formule gouvernementale que les électeurs n’oublieront pas de sitôt – l’Exécutif a pour philosophie de «travailler plus et parler moins»-, c’est elle qui va au charbon.
Sur ses deux sorties, elle aura été très diserte, faisant d’importantes révélations sur la situation actuelle du secteur énergétique au Maroc. Cet exercice communicationnel était très important pour deux raisons :
• Primo : Il fallait absolument que le gouvernement éclaire les Marocains et s’exprime sur ce sujet crucial qu’est «le stock de sécurité des produits pétroliers», surtout en cette période où la situation géopolitique mondiale est assez trouble et impacte le Royaume.
Paradoxalement, la sortie de Benali, qui est somme toute normale et naturelle pour une ministre en fonction gérant, de surcroit, un département stratégique particulièrement chahuté par la conjoncture internationale, paraît presque exceptionnelle.
Car, rappelons-le, cet Exécutif a emmené dans ses valises une nouvelle forme de gouvernance : se murer dans le silence et creuser la distance avec les citoyens; lesquels, dans ce contexte économique délicat, ont pourtant besoin de réponses et d’être rassurés.
Même si cette posture relève quasiment d’une forme de mépris, ce gouvernement s’entête, résolument décidé à garder cette ligne de conduite, oubliant cependant qu’il doit être au service de la collectivité.
• Secundo : Benali y est allée franco. Sans langue de bois. Donnant des informations précises sur l’état actuel des stocks stratégiques des produits pétroliers.
Alerte sur les stocks !
Venons-en maintenant aux chiffres dévoilés par la ministre. Qui renvoient à une question cruciale : faut-il s’inquiéter ?
D’abord, il y a un constat à faire : la loi en vigueur n’est pas du tout respectée. Elle fixe un stock minimum de sécurité de 60 jours pour les produits pétroliers, ce qui n’a pas été le cas au cours des 20 dernières années. Voici l’état des stocks au 11 avril :
Gasoil : 26 jours, soit 437.000 tonnes.
Gaz butane : 26 jours, soit 191.000 tonnes.
Essence : 43 jours, soit 83.000 tonnes.
Kérosène : 34 jours, soit 36.000 tonnes.
Fioul : 83 jours, soit 233.000 tonnes. Seul le fioul dépasse le seuil réglementaire arrêté.
Pourtant, le Maroc, avec une capacité de stockage de produits pétroliers à la disposition des distributeurs de 1,3 million de tonnes environ, jouit encore d’une marge de manœuvre pour renforcer ses stocks stratégiques. Et ce, d’autant que les capacités actuelles permettent d’avoir des réserves de 57 jours (vs 26 en ce moment) pour le gasoil, 41 (vs 26) pour le gaz butane, 75 (vs 43) pour l’essence, et 80 jours (vs 34) pour le kérosène.
Alors, revenons à notre question. Faut-il s’inquiéter ? Oui, si l’on sait que dans l’immédiat, et en raison des conséquences de la guerre russo-ukrainienne, la constitution de stocks se heurte au niveau élevé des prix des produits énergétiques.
Dès lors, les sociétés de distribution de produits pétroliers liquides veillent à renouveler le stock du gasoil sur une base quotidienne, fait savoir le porte-parole du gouvernement, Mustapha Baitas.
«Les sociétés procèdent aux opérations d'achat sans attendre l'épuisement total du stock», ajoute-t-il.
A moyen terme, l’option choisie est de renforcer les capacités de stockage des produits pétroliers de 550.000 tonnes, pour les porter à 1,8 million de tonnes d’ici 2023. Coût de l’investissement : presque 2 Mds de DH.
Au-delà du diagnostic
On apprécie la clarté et la transparence dont a fait preuve Leila Benali. Qui a par ailleurs émis plusieurs pistes, dont la nécessité de sécuriser l'approvisionnement du pays en tous les produits énergétiques, garantir l'accès à une énergie durable à des prix compétitifs, développer le réseau électrique et d’améliorer l'efficacité énergétique.
Mais les Marocains sont restés sur leur faim. Ils s’attendaient à ce qu’elle aille au-delà du diagnostic formel.
Certes, il est prévu de renforcer les capacités stockage des produits pétroliers d’ici 2023, sauf que rien n’est prévu dans l’immédiat pour soutenir le pouvoir d’achat des citoyens, surtout face à la flambée des prix à la pompe.
Et c’est sur ce sujet que l’on attend encore l’Exécutif. Lequel, en des termes à peine voilés, se glorifie presque de maintenir la subvention du gaz butane, du sucre et de la farine dans cette conjoncture exceptionnelle.
Du chef de gouvernement au ministre du Budget, en passant par le porte-parole du gouvernement, tout le monde sort la même rhétorique, soulignant, au passage, la hausse des charges de la Caisse de compensation.
Même Benali s’y est collée. «Durant le mois en cours, une bouteille de gaz butane de 12 kg est subventionnée à hauteur d'environ 116 dirhams (le prix réel d'une bouteille de 12 kg est de 156 dirhams) et environ 30 dirhams pour une bouteille de 3 kg (le prix réel pour une bouteille de 3 kg est de 40 dirhams)», précise-t-elle.
Une manière de nous dire subrepticement que le gouvernement en fait déjà assez. Voire de culpabiliser ceux qui ont la prétention d’en vouloir davantage (sic!).
F. Ouriaghli