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Structuration des entreprises en groupe : Les multiples atouts avérés de la SAS

Structuration des entreprises en groupe  :  Les multiples atouts avérés de la SAS

- En droit marocain, la notion de groupe est appréhendée dans les textes de droit des sociétés, en droit fiscal , en droit de la concurrence ou encore en droit du travail.

- La société par actions simplifiée, de par  son caractère contractuel et l’extrême liberté de décisions et d’organisation qu’elle offre à ses associés, apparait comme « la structure sociétaire qui présente les traits les plus convenables aux groupes de sociétés.

 -Eclairage de Nawal Ghaouti, avocate près la Cour de cassation et ancienne présidente de la Commission juridique, fiscale et sociale de la CFCIM.

Propos recueillis par M.D

 

 

Laquotidienne: Le phénomène d’organisation des sociétés en groupes s’est accéléré au cours des dernières années. Et ce, eu égard à l’essor des prises de participation. Quelle lecture faites vous de l’appréhension du droit marocain de la notion de contrôle ou de groupe de sociétés ?

 Nawal Ghaouti: Au Maroc , l’existence de holdings est ancienne mais c’est essentiellement lors des dernières décennies que le capitalisme familial s’est structuré et a assuré son développement par l’organisation de groupes dont les différentes entreprises agissent en synergie dans des métiers choisis. Par ailleurs, l’implémentation d’entreprises étrangères au moyen de prises de participations dans des sociétés locales de même que le développement de la doctrine dite « des champions nationaux »,  ont induit l’accélération de la concentration des entités économiques sur notre territoire.  Pour autant, la notion de groupe échappe à une définition juridique directe, tant le droit peine à saisir cette organisation mouvante au caractère avant tout économique et financier. D’un point de vue légal, les entités appartenant au groupe demeurent en effet des personnes morales distinctes dont les formes sociales peuvent varier de l’une à l’autre. Elles sont reliées entre elles par des liens capitalistiques et par le pouvoir d’animation et de contrôle exercé par l’une des sociétés sur les autres.

 En droit marocain, la notion de groupe est appréhendée dans les textes de droit des sociétés, en droit fiscal , en droit de la concurrence ou encore en droit du travail.

En droit commercial, nous pouvons citer deux dispositions  dans la loi 17-95 relative à la Société Anonyme qui  font référence au groupe sans le citer, et marquent la distinction légale entre trois types de situations  : l’acquisition de filiale, l’acquisition de participations et le contrôle d’autres sociétés.
Nous rappelons  que la détention d’actions dans une autre société ne permet pas à elle seule de valider l’existence d’un Groupe, c’est bien la notion de « contrôle » c’est-à-dire « la détention effective du pouvoir de décision »  au sein de cette société qui est déterminante.

La Loi 17-95 définit une « filiale comme une société dans laquelle une autre société, dite mère, possède plus de la moitié du capital » tandis  que « la participation est la détention dans une autre société d’une fraction du capital comprise entre 10% et 50% ».

Ces précisions sont apportées par ce texte pour justifier notamment le périmètre du rapport de gestion du Conseil d’administration ou du Directoire qui doit s’étendre à l’ensemble des filiales et des participations détenues  par l’entreprise concernée.

Cette loi définit par ailleurs la notion de contrôle en se fondant spécifiquement sur les droits de vote, détenus en majorité, ou en fait, par la société seule ou sur la base d’accords avec d’autres actionnaires avec lesquels elle agit de concert dans les prises de décision. Ce texte prévoit également des cas de présomption de contrôle afin d’élargir le périmètre de cette notion à des sociétés dont le capital est émietté en deçà de 30% pour les autres actionnaires tandis que l’entreprise en contrôle en détiendrait 40%.

Ces définitions du contrôle montrent l’intention du droit marocain de cerner la notion de groupe par  la recherche de la détention effective du pouvoir de décision et de pilotage au sein d’une société tierce au-delà de la part  du capital acquis.

La loi couvre également le champs du contrôle par voie « indirecte » par  des participations  minimes, même inférieures à 10% détenues par une société contrôlée et ce, afin d’éviter que de simples sociétés écrans viennent fausser l’appréhension de cette organisation et contourner les règles de bonne gouvernance précitées.

Dans cet esprit, le Groupe serait un ensemble constitué de plusieurs sociétés qui, bien que juridiquement autonomes, sont unies par des liens économiques et financiers, en vertu desquels une de ces sociétés serait en mesure d’exercer un contrôle direct ou indirect sur les autres et d’imposer une unité de décision.
C’est donc une approche ‘fonctionnelle’ du groupe qui a été retenue pour l’heure dans notre régime juridique.  

Par ailleurs, il y a lieu de rappeler que le droit fiscal  s’intéresse aussi aux Groupes par le biais des comptes consolidés, et  notamment pour le contrôle des prix de transfert entre maison mère et filiales.  Il définit la holding comme étant « une société qui détient des titres de participation lui permettant de diriger et de contrôler l’activité des entreprises dont elle détient les titres ».

Des incitations fiscales ont été mises en place par la Loi de Finances 2020 et pérennisées,  afin de dynamiser la restructuration des sociétés familiales et d’optimiser de manière générale la gestion des groupes par des exonérations de l’Impôt sur le Revenu des personnes physiques faisant des apports de titres à une holding.

Ce qui marque l’intérêt du Législateur à encourager la structuration de l’économie autour d’organisations intégrées et ce, dans les limites des aspects concurrentiels qui freinent certaines opérations capitalistiques. En effet,  La Loi 06-09 sur la liberté des prix et de la concurrence, à l’instar d’autres textes étrangers, encadre strictement les concentrations et interdit les actions concertées, les coalitions et ententes illicites pouvant fausser le marché.

La notion de « groupe » est citée par cette Loi pour interdire toute position dominante pouvant affecter les règles de libre concurrence.  Ainsi, 50% du total des décisions du Conseil de la Concurrence porte sur le contrôle des concentrations économiques. Dans son rapport 2019, cette Institution rappelle qu’elle « en fait l’une de ses priorités ».

Le Président du Régulateur a annoncé il y a quelques jours que cette Institution réfléchit sur la mise en place d’un Observatoire des concentrations et des prix tout en travaillant sur un guide de conformité au droit de la concurrence afin de sensibiliser les entreprises sur cette question.

Enfin, le Code du travail cite la Holding et fait référence aux groupes lorsqu’il évoque la protection des droits des salariés dans le cadre de mutations ou dans celui de la modification de la situation  juridique de l’employeur notamment par fusion.

 

Laquotidienne :Quel est l’intérêt pour un opérateur économique ou une entité de créer un groupe de sociétés liées entre elles par un lien capitalistique par exemple ?

N.G : Si nous observons l’évolution des mouvements de prises de participation au cours de l’histoire récente dans le monde, et celle de création de groupes, de conglomérats ou de très grandes entreprises par le biais d’acquisitions capitalistiques, nous retenons que les opérations de fusions et acquisitions ne correspondent pas seulement à des stratégies individuelles, mais qu’elles obéissent à des cycles généraux qui sont qualifiés  de ‘vagues’.

En raison de l’inter connectivité des économies, les dernières ‘vagues’ ont revêtu un caractère transfrontalier et ont entrainé les entreprises des différents pays dans ce même mouvement dans le même temps. Elles sont justifiées par  des fractures règlementaires, économiques ou conjoncturelles, dites ‘disruptives’,  qui  favorisent un rapprochement frénétique des entreprises et la multiplication  d’investissements croisés.

Le dernier mouvement répond à la crise Covid et à l’année 2020 jugée historique du point de vue du nombre d’acquisitions en raison notamment des fortes liquidités détenues par les investisseurs institutionnels et des difficultés de bon nombre d’entreprises cibles.

Dans notre économie nationale également, fortement imbriquée à celle de nos partenaires,  friande  d’investissements directs étrangers et ouverte aux marchés mondiaux par les accords de libre-échange, la concurrence très vive  entre opérateurs impose des stratégies de croissance externe, dont la filialisation occupe une place de choix.

Elle représente une obligation le plus souvent non seulement pour conquérir de nouveaux marchés, mais aussi simplement pour assurer la survie économique de l’entreprise ou du groupe.  Acquérir en tout ou en partie une société concurrente,  un fournisseur ou un client, permet de développer sa valeur patrimoniale ou bien seulement  d’éviter que cette valeur ne se détériore, tout en assurant la croissance,  voire le maintien des bénéfices.

Les motivations pour la création ou le développement d’un lien capitalistique entre sociétés sont nombreuses :

. constituer un effet de synergie

. obtenir la taille critique

. augmenter ses parts de marché en contrôlant l’ensemble de la chaine d’activité

. avoir accès de nouvelles technologies détenues par la concurrence

. viser la conquête de nouveaux marchés

. éliminer un concurrent

. obtenir plus facilement des financements (pouvoir de négociation accru)

. acquisition de savoir faire au moyen des ressources de l’entité acquise

. modifier le rapport de force avec ses fournisseurs

Hormis ces avantages pour les actionnaires de ces entités, l’intégration des entreprises peut permettre à un niveau plus global de dynamiser l’ensemble du tissu productif du pays par la création de sociétés de taille intermédiaire ETI, favorisant  notamment les exportations mais aussi la croissance, l’emploi et l’inclusion sociale par un effet d’entrainement.

A ce titre, le Rapport de la Commission spéciale pour le modèle de développement souligne les faiblesses de notre tissu productif en termes de diversification d’activités lorsqu’il énonce que « contrairement à la tendance observée dans les autres pays émergents, la plupart des grands groupes privés marocains sont relativement peu diversifiés et contribuent faiblement à la dynamique de diversification et d’innovation, en privilégiant les secteurs traditionnels abrités de la concurrence internationale ».

Nous pouvons citer enfin l’usage d’acquisitions à l’étranger comme un enjeu politique et stratégique guidé par les ambitions d’hégémonie de certains Etats. Car les entreprises publiques aussi s’adonnent à ces opérations. A cet égard, la Chine est un exemple frappant lorsque l’on observe les achats compulsifs de participations dans de multiples infrastructures notamment aéroportuaires partout en Europe centrale et dans les pays autour de la Méditerranée sans compter les acquisitions massives en Afrique, lors de ces dernières années.

Laquotidienne : Peut on valablement affirmer que la SAS est un outil d’organisation idoine et adapté au contrôle des groupes ?

N.G : Un groupe est une organisation complexe en mouvement permanent : des entreprises entrent ou quittent l’ensemble, des filiales croissent, apparaissent ou disparaissent au gré des stratégies économiques et de la conjoncture.

Le besoin de flexibilité et de souplesse, apparait comme un élément vital, intrinsèque au fonctionnement des Groupes, contraints à s’adapter sans cesse aux réalités et contraintes économiques du marché local ou mondial.

Ce qui justifie que le droit peine à saisir la réalité de ces architectures qui jouent et usent des frontières juridiques fictives de leurs filiales et entités.

De ce point de vue, la société par actions simplifiée, SAS, de par  son caractère contractuel et l’extrême liberté de décisions et d’organisation qu’elle offre à ses associés, apparait en effet  comme « la structure sociétaire qui présente les traits les plus convenables aux groupes de sociétés ».

La SAS permet aux groupes de mieux se structurer et  de s’organiser de manière pragmatique  par la simplification de l’architecture de l’ensemble mais aussi par une gestion et un contrôle efficaces dus à la dissociation du capital et du pouvoir.

Nous pouvons citer 3 types d’utilisations possibles :

La SAS peut accueillir une filiale commune, elle peut servir de structure à la Holding comme elle peut être très utile pour la gestion d’une filiale exclusive. 

S’agissant précisément des filiales communes, nous rappelons que c’est l’objet même de la SAS dans sa première formule d’avant la réforme du 14 juillet 2021, puisque depuis la Loi 17-95, la Société Anonyme par Actions (ancienne dénomination ) était créée à l’origine pour servir de structure permettant le rapprochement des groupes.  Elle était née du constat de l’inadaptation de la Société Anonyme à saisir la diversité du monde des affaires et ses multiples besoins, mais aussi de l’incapacité de la SA à gérer les relations et conflits au sein d’une entreprise conjointe  égalitaire (Joint Venture). Ainsi, depuis lors, deux ou plusieurs personnes morales peuvent coopérer au sein d’une filiale créée ou transformée en SAS.

L’intérêt pour la ou les maison(s) mère(s)  qui y sont associées est de pouvoir organiser au gré de leur propre volonté le degré d’influence exercé par chacune de ces têtes de groupe sur la filiale par un contrôle et des droits de vote indépendants de la quotité de capital acquise. Les filiales communes peuvent en effet être soit égalitaires (50/50) soit comprendre une société majoritaire et une ou des minoritaires.  Dans ces deux cas, la particularité de la SAS est d’autoriser des formules très originales de rééquilibrage des pouvoirs au sein de la filiale, par l’octroi par exemple de droits égaux à une société minoritaire ou par l’opportunité de prévoir des droits de veto protégeant l’un ou l’autre associé etc.. Des clauses diverses sont permises pour assurer cet équilibre au sein de la filiale commune : clause de retrait, clause d’agrément, clause d’exclusion, clause d’inaliénabilité, clause anti blocage etc…

Enfin,  la SAS permet une gouvernance librement aménagée dont le seul impératif demeure la nomination d’un Président qui peut être une personne physique ou morale auquel l’associé ou les  autres associés peuvent adjoindre en toute liberté des organes de direction ou de contrôle et de surveillance.

Laquotidienne: Enfin et toujours dans le cadre de l’organisation et du contrôle, quel est l’intérêt selon vous de créer une SASU ou une holding ?

N.G : La SAS a rapidement échappé à l’intention primitive du Législateur de l’assigner aux coopérations entre entreprises. La pratique a fait émerger des besoins désormais consacrés dans la Réforme de la Loi 19-20 du 14 Juillet 2021.

A cette date, la SAS a été ouverte à des personnes physiques mais aussi à un actionnaire unique, la SAS peut servir ainsi depuis cet été comme structure d’une filiale exclusive d’un Groupe sous forme de SASU (Société par actions simplifiée unipersonnelle).

Jusque là, les groupes se voyaient contraints d’organiser des habillages propres à contourner la réalité de l’actionnariat unique, de procéder à des portages et de réunir  formellement des Conseils d’Administration afin de respecter les exigences de la Société Anonyme.

La SASU permet un allègement des modes de fonctionnement et clarifie la gouvernance qui peut se suffire d’un Président, poste attribué possiblement à la personne morale de la holding propriétaire à 100% de la filiale. Le formalisme se trouve réduit à sa part congrue puisque l’associé unique est confondu avec la personne du Président.

La politique du groupe et son organisation gagnent en fluidité et en souplesse mais aussi en transparence vis-à-vis des tiers.

En cas de scission partielle d’une partie de l’activité , la création d’une SASU pour porter le projet est un moyen intéressant.

Nous rappelons que toute SA ou SARL peut se transformer en SASU selon les règles inhérentes à chacune de ces formes sociales.

Enfin, il est vrai que la SAS peut aussi présenter des avantages en tant que Holding . Si l’on se réfère à la définition fiscale citée ci-dessus, une holding correspond à une entité définie par son objet qui est celui de détenir des participations dans d’autres entreprises en vue de les contrôler.

La holding est le plus souvent dédiée à l’animation des intérêts des différentes filiales ou entités intégrées en assurant leur unité de décision.

Dans cette formule, le pouvoir de direction est concentré au sein de la Holding au-delà des directions de chacune des entités, aux fins de fixer la stratégie de l’ensemble,  de déterminer la politique des investissements et la gestion pour les réaliser.

Là encore, la SAS parait une structure idéale car elle consent une grande liberté d’organisation, de même qu’une unité et stabilité des associés (contrôle de l’entrée et de la sortie par des clauses spécifiques).

La dissociation capital/pouvoir autorise le contrôle de la holding sans en détenir la majorité des actions par l’introduction de clauses supprimant le droit de vote des investisseurs tout en leur accordant des privilèges financiers.

Nous pouvons noter pour finir que la SAS a  été beaucoup utilisée en France où elle connait un vif succès comme Holding de rachat dans des opérations de LBO (Leverage buy out). Des sociétés de capital-risque sont associées dans la SAS Holding avec une SA ou SARL dont le Président est nommé de manière irrévocable par cette dernière, ce qui assure au groupe une puissance financière pour lever des fonds tout en conservant la maîtrise de l’entité pour le fondateur.

Ce dernier point explique pourquoi la SAS est en France la forme sociale préférée des Start-up.

Nous rappellerons néanmoins que le choix du Législateur marocain a été de poser une limite importante au financement de la SAS : l’interdiction stricte de faire appel public à l’épargne, ce qui freine bien entendu les projets d’envergure des capital-risqueurs qui visent une entrée en bourse à court ou moyen terme.

En France, où elle a été conçue en 1994, cette interdiction a été assouplie puisque la SAS hexagonale  peut recourir au marché de manière restreinte depuis l’Ordonnance de 2009 qui a abrogé la prohibition au profit d’une dissociation entre l’admission sur un marché réglementé et l’offre au public.  Depuis 2014  les SAS peuvent également se financer par le mode du crowdfunding.

Ce qui laisse présager de probables évolutions de notre législation dans cette même direction lors de prochaines réformes.

 

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