Quelques jours après l’annonce de la réouverture des frontières, le gouvernement a dévoilé les conditions d’accès au territoire national, jugées cependant drastiques par certains opérateurs touristiques.
Il faudra des initiatives fortes pour repositionner la destination Maroc sur les radars internationaux.
Par D. William
Plus que quelques jours avant la réouverture des frontières nationales. Le 7 février, le trafic aérien reprendra ses droits sur le ciel marocain, après avoir été interrompu pendant un peu plus de deux mois. Les Marocains et résidents bloqués à l’étranger vont pouvoir enfin retrouver leurs proches. Mais, surtout, l’économie nationale, asphyxiée par cette mise sous cloche, va pouvoir s’oxygéner avec une reprise franche des affaires. A l’annonce de cette nouvelle, les opérateurs touristiques, en particulier, ont logiquement applaudi. Ils étaient en effet très remontés contre le gouvernement après la fermeture des frontières
qui a plombé davantage une activité sinistrée, mais qui affichait des signes de reprise. «C'est une mesure qui a été revendiquée par tous les opérateurs touristiques marocains et tous les partenaires étrangers qui ont du business avec le Maroc, notamment les opérateurs du marché français, qui demeure le marché N°1 en termes de nuitées des touristes étrangers au Maroc (environ 30% du total des nuitées des TES)», souligne Zoubir Bouhout, directeur du Conseil provincial du tourisme (CPT) de Ouarzazate.
Toutefois, mardi soir, c’était le coup de froid après la découverte du protocole sanitaire (voir encadré) mis en place par les autorités. C’était leur principale inquiétude, convaincus que s’il est trop rigoureux, la reprise du secteur sera forcément avortée. «Les conditions d'accès doivent être souples et répondre aux standards internationaux pour sauvegarder les acquis du Maroc en matière de lutte contre la pandémie et assurer la sécurité sanitaire de nos visiteurs», poursuit Bouhout. Au lieu de ça, le gouvernement a mis en place «des conditions drastiques qui sont de nature à freiner la relance souhaitée après deux longues années très difficiles pour les opérateurs touristiques», déploret-il, soulignant que «ces mesures démontrent qu'il y a toujours une rigidité de la part de nos responsables, qui continuent à privilégier l'aspect de la sécurité sanitaire d'une manière exagérée sur l'aspect du développement économique». «On est en droit de se poser des questions sur la finalité de cette ouverture plombée par ces mesures contraignantes. Il s'agit à mon avis ni plus ni moins d'une prolongation de fermeture des frontières», peste-t-il.
Un protocole souple, mais pas forcément laxiste, pourrait au moins permettre au Royaume de tenter de récupérer les parts de marché perdues au profit d'autres destinations concurrentes à cause de la fermeture des frontières. Selon la Direction des études et des prévisions financières (DEPF), «suite à la re-fermeture des frontières à partir du 29 novembre après l’apparition puis la propagation du variant Omicron, la performance du secteur touristique devrait s’atténuer sensiblement, eu égard notamment à la perte de l’activité qui coïncidera avec la haute saison de l’un des principaux pôles touristiques du Royaume, en l’occurrence la ville de Marrakech».
D’où la nécessité, aujourd’hui, d’être plus offensif, d’autant que, précise Bouhout, «certaines compagnies low cost comme Ryanair ou Easyjet n’ont pas encore annoncé leur programme de vols et attendaient l'annonce par les autorités marocaines des conditions d'accès au Maroc. D'autres ne vont pas commencer leurs vols début février, au moment où des compagnies ont programmé un nombre de rotations inférieur aux vols programmés en 2019».
Mais le directeur du CPT de Ouarzazate est persuadé qu’avec ces nouvelles conditions d’accès au territoire, toute tentative de séduction de ces compagnies aériennes «est perdue d'avance». «Qui pourrait s'aventurer à venir au Maroc, sachant qu'il s'expose à un risque d'être «testé positif» à son arrivée, avec tout ce qui s'en suit ? Et qu'en est-il pour les enfants ? Va-t-on exiger les mêmes conditions ? Et à partir de quel âge ?», s’interroge-t-il.
Multiplier les initiatives Ce qui est fait est fait. Le protocole sanitaire est acté. Il va falloir donc initier des actions à fort impact pour reconquérir les touristes étrangers, surtout que les fermetures/réouvertures des frontières ont beaucoup pénalisé le Royaume, portant un sacré coup à la destination. Actuellement, l’objectif premier est de regagner la confiance des touristes. Cela se fera à travers «une série de rencontres avec les grands TO des principaux marchés émetteurs et des autres marchés émergents», suggère Bouhout. De plus, ajoute-t-il, «l'ONMT doit continuer sa dynamique, notamment par une présence remarquable et distinguée dans tous les foires et salons du tourisme internationaux, à commencer par le Salon ITB (s'il est maintenu en mars 2022) et tous les autres salons qui devraient se dérouler d'ici la fin 2022. Le Maroc doit être présent en force pour conforter sa position de leader africain : nous voulons récupérer les parts de marché perdues suite aux fermetures». De plus, renchérit notre interlocuteur, «nous devons être très dynamiques en matière d'accueil des éductours, des voyages de presse des grands blogueurs et influenceurs et accompagner les DMC (agence réceptive, ndlr) spécialisées dans l'organisation des congrès et grands événements, vu leur importance en termes d'activité et de rayonnement». Car, pour Bouhout, «le Maroc doit très vite regagner ses parts de marché perdues et maintenir sa position de leader en Afrique». Des pertes énormes Les défis qui attendent le secteur touristique sont à la hauteur des pertes subies depuis le début de la pandémie. «Le secteur du tourisme a connu une forte baisse du nombre d'arrivées, de nuitées touristiques et des recettes en devises assurées par le tourisme international, en plus des revenus du tourisme intérieur», fait savoir notre source. Chiffres à l’appui, il indique que «le nombre d'arrivées, qui a atteint 13 millions en 2019, a chuté à environ 2,5 millions en 2020 et moins de 4 millions en 2021».
Selon lui, «la fermeture des frontières jusqu'à fin janvier 2022 se traduirait par une perte d'environ 21 millions de touristes et plus de 36 millions de nuitées, ce qui constitue une perte totale pouvant dépasser 186 milliards de dirhams (environ 275 millions de dirhams par jour), si l'on prend en compte toutes les activités liées au tourisme, en plus de la production cinématographique, des recettes du shopping, de l'artisanat et des différentes taxes aéroportuaires, etc.».
Face à ces données, le plan d’urgence de 2 Mds de DH pour soutenir le secteur paraît bien dérisoire, même si Bouhout admet que c’est «un début que l'on peut saluer, à condition de prévoir d'autres rounds de négociation avec la Confédération nationale du tourisme et les autres fédérations métiers». Pour lui, «le plan proposé n'est ni plus ni moins qu'une petite mesure d'urgence pour un secteur très important pour l'économie marocaine, du fait qu'il regroupe des dizaines de milliers d'entreprises opérant dans l'hôtellerie, les maisons d'hôtes, les restaurants touristiques, les agences de voyages, les agences de transport touristique et les agences de location de voitures, et dont les propriétaires ont injecté d'importants investissements qui ont dépassé les 150 milliards de dirhams (hors investissements de renouvellement et d'entretien), avec plus de 500.000 emplois directs et 2,5 millions d'emplois indirects».
«Cette petite mesure ne peut pas, à mon avis, rétablir les effets néfastes causés à la fois par le coronavirus et les décisions de nos responsables», soulignet-il. Tout en préconisant de «revoir la dotation allouée à au moins 10 milliards de DH, d'assouplir les mesures pour en bénéficier (notamment pour la dotation de rénovation, entretien et formation qu'il faut porter à 6 milliards de DH minimum) et de généraliser l'ensemble des mesures à l'ensemble de l'écosystème du tourisme». Au final, conclut le directeur du Conseil provincial du tourisme d’Ouarzazate, «c'est le Maroc entier qui en sortira gagnant».