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Variants du coronavirus: «Le Maroc doit effectivement s’inquiéter»

Variants du coronavirus: «Le Maroc doit effectivement s’inquiéter»

 

Le processus naturel du SARS-CoV-2 donne naissance aux variants, qui mutent constamment.

Le variant Delta, réputé très contagieux, est présent sur le territoire national.

Entretien avec Dr Tayeb Hamdi, chercheur en politiques et systèmes de santé et vice-président de la Fédération nationale de la santé.

 

Propos recueillis par Ibtissam Z.

 

Finances News Hebdo : Alpha, Beta, Delta, Gama ..., les variants du virus initial du Sars-CoV-2 se multiplient. Actuellement, le variant Delta (indien) est en nette progression. Comment peut-on l’expliquer ?

Dr Tayeb Hamdi : Depuis le déclenchement de la pandémie, nous avons eu la souche classique et bien sûr les autres variants. Vers la fin de 2020, il y avait l’apparition du variant Alpha détecté en Grande-Bretagne, le Beta en Afrique du sud, et le Gama au Brésil. La dénomination a été changée par l’OMS pour ne pas stigmatiser les pays. Le variant Delta, détecté en Inde en avril dernier, progresse, et c’est tout à fait normal.

Quand on a un variant qui est plus transmissible, il est évident qu’il détrône les autres variants. Alpha, le variant britannique, est plus transmissible de 40 à 70%, il a donc fini par remplacer la souche classique en Europe et dans bien d’autres pays. En ce qui concerne Delta, il est beaucoup plus transmissible que Alpha de 60%. Du coup, à chaque fois qu’il y a une introduction du variant Delta dans un pays, il finira automatiquement par prendre la place des variants précédents. Il sera le plus dominant, à moins qu’il y ait apparition d’un nouveau variant (mutant) qui serait plus transmissible que le Delta.

 

F.N.H. : Classé comme préoccupant, le Delta Plus inquiète ces derniers jours la communauté scientifique. Il serait encore plus agressif que le variant Delta. Qu’en est-il ?

T. H. : Effectivement, le variant Delta Plus est inquiétant, mais ce que l’on sait aujourd’hui, ce sont des données fournies par le ministère de la Santé indien, qui a classé ce variant comme étant préoccupant, «variant of concern». Ils estiment que Delta Plus se propage plus rapidement par rapport au Delta. Il serait peut-être plus virulent, ou pourrait déjouer l’effet de l’immunité acquise par la vaccination et celle conférée par une ancienne infection due à la Covid-19. Il faut retenir que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) n’a pas encore classé la sous lignée du Sars-CoV-2 Delta Plus, comme étant préoccupant.

Les données scientifiques sur ce variant Delta muté sont maigres; il n’y a pas encore d’études approfondies dans ce sens. Toutefois, la communauté scientifique prend en considération la déclaration des autorités sanitaires indiennes en attendant des données et des études scientifiques qui démontrent que Delta Plus serait plus transmissible et plus virulent que le Delta en question. Mais il s’agit bel et bien d’une mutation dans la mutation du Delta.

 

F.N.H. : Le variant Delta fait craindre une reprise de l’épidémie en Europe, comme ce fut le cas pour la GrandeBretagne et la Russie. Qu’en est-il du Maroc ? Faut-il s’inquiéter, d’autant que l’on constate un relâchement des mesures barrières ?

T. H. : L’introduction du variant Delta sur le sol européen a été détecté au tout début en Grande- Bretagne, avant de se propager pratiquement dans tous les autres pays. Il y a un peu plus de 80 pays qui sont touchés par le variant Delta. Depuis son introduction, il n’a cessé de gagner du terrain, de remplacer le variant britannique Alpha qui était dominant. Par exemple, en Angleterre, on a 96% des nouveaux cas qui sont dus au variant Delta. Si l’on prend en considération les données qui sont publiées sur le site international du partage du séquençage génomique (GISAID), sur les 4 dernières semaines, 77% des séquençages réalisés au Portugal montrent qu’il s’agit bel et bien du Delta.

Pour l’Espagne, on constate 10%, environ 8% en Italie, et 30% aux États- Unis, révélés il y a seulement quelques jours. Cette propagation du variant indien est la cause de la reprise épidémique en Grande-Bretagne, au Portugal, Russie, Afrique du Sud, et ce sera le cas pour d’autres pays, c’est une évidence. Fin août, on s’attend à ce que le variant Delta remplace définitivement l’Alpha en Europe, ce qui signifie qu’une reprise de l’épidémie est envisageable. On parle d’une 4ème vague en Europe vers la fin de la saison estivale. Une reprise épidémique signifie plus de cas positifs à la Covid19, mais pas nécessairement des cas sévères qui nécessitent une hospitalisation en réanimation ou entraînent carrément des décès. La vaccination joue un rôle important pour justement éviter les cas graves de la maladie.

C’est une course contre la montre pour vacciner le plus grand nombre. Concernant le Maroc, effectivement, il faut s’inquiéter. Qui dit présence de variants inquiétants sur le territoire, dit transmission rapide. On constate un relâchement considérable des mesures barrières. Le constat est alarmant : dès qu’il y a un assouplissement, les mesures sanitaires ne sont plus respectées. Malheureusement, la population déduit que nous avons gagné la bataille, alors que c’est complètement faux. Nous sommes toujours en phase vulnérable. Pour les voyages en interne ou à l’étranger, il y a toujours un risque d’une reprise de l’épidémie. Le seul moyen de garder la situation épidémiologique sous contrôle afin de contrer le virus, c’est de renforcer davantage le respect des mesures barrières individuelles et collectives.

Au Maroc, on risque de voir une recrudescence de nouveaux cas dans les semaines à venir à cause du relâchement et du variant Delta. Si la population respecte les mesures barrières individuelles et collectives et que les personnes de plus de 40 ans qui avaient raté leur rendez-vous de vaccination se rattrapent, alors on aura une recrudescence légère à moyenne des nouveaux cas positifs, sans influence sur les cas graves, et les décès resteraient bas et sous contrôle. Dans le cas contraire, on assistera à une forte recrudescence des nouveaux cas, avec plus d'hospitalisations, et des cas graves, voire critiques parmi les personnes non vaccinées de plus de 40 ans, souffrant de maladie chroniques, mais aussi parmi les jeunes. Dès lors, des mesures plus restrictives s'imposeraient.

 

F.N.H. : Les variants vont continuer de muter. Comment peut-on imaginer les mois à venir avec Delta, Alpha. Quelle démarche faut-il suivre ?

T. H. : Les mutations font partie de la nature même du virus. A chaque fois qu’on avance dans la pandémie et dans la vaccination, on aura des mutations qui seront de plus en plus inquiétantes et graves. C’est ce qu’on appelle la pression immunitaire. On n’a pas une population planétaire (8 milliards) qui a une virginité virologique par rapport au Sars-Cov-2. C’est-àdire, au départ, personne ne possédait les anticorps contre ce virus. Par contre, avec la persistance de la pandémie, il y a eu des centaines de millions de personnes qui ont attrapé le virus et qui ont, par conséquent, développé des anticorps.

Certes, il y a eu des décès de par le monde, mais plus de 99% de la population s’en sortent, donc ils gardent des anticorps. L’autre point à soulever est la vaccination qui avance. Nous avons actuellement des centaines de millions de personnes dans le monde qui sont vaccinées et qui développent des anticorps. Il est vrai que le virus connaît des mutations; et ces mutations, en présence d’anticorps ou d’immunité, détournent cette immunité qui est acquise soit par le vaccin soit par la maladie. Le processus de la sélection naturelle fait que l’on va se retrouver avec de plus en plus de mutations, qui vont détourner l’immunité et les effets des anticorps, ce qui signifie qu’on aura davantage de variants dit «inquiétants». Là, nous parlons à l’échelle de la pandémie sur une, deux ou trois années d’évolution du virus et ses mutations. Sur le long terme, la vaccination et l’immunité finissent par vaincre le virus; ce dernier s’affaiblit et devient un virus comme les autres, à l’image de la grippe ou le rhume. Voilà ce qui nous amène à parler de l’injustice vaccinale. L’Inde l’a très bien

démontrée, et il y a énormément de pays où le virus circule librement. Un virus qui circule mute en continu et, par conséquent, ces mutations-là seront encore plus graves. L’Angleterre, par exemple, a vacciné une bonne partie de sa population, et elle se retrouve aujourd’hui prise en otage par des variants indiens. C’est là où réside toute la problématique. On n’a pas d’autres alternatives, il faut vacciner le maximum possible de la population et respecter les mesures sanitaires pour freiner les mutations. De même, il est important de réduire et de gérer les rassemblements, c’est la seule solution pour rompre la chaîne du virus.

 

F.N.H. : Les cas détectés du coronavirus liés au variant Delta, enregistrés ces derniers jours chez des personnes vaccinées, inquiètent vraiment. Ces contaminations par le variant Delta après une vaccination sont-elles normales ?

T. H. : Malheureusement, le variant Delta affaiblit l’efficacité des vaccins qui sont disponibles actuellement. En effet, des études ont montré que les personnes qui ont déjà contracté le virus de la covid-19 avec d’autres souches, la classique, Alpha, Beta, Gama ont plus de risque de faire une réinfection avec Delta. Surtout les personnes qui ont été atteintes du coronavirus dû aux variants sud-africain et brésilien  : elles ont plus de risque d’attraper une nouvelle fois la maladie. Pour ceux qui ont été porteurs du virus (souche classique et Alpha), le risque est moindre par rapport à Beta et Gama. 

Concernant les vaccins, une étude effectuée en Grande-Bretagne a révélé que pour les personnes qui ont été vaccinées par AstraZeneca et Pfizer, l’efficacité des vaccins est réduite à 50% quand il s’agit du variant Alpha, et considérablement réduite à 31% concernant le variant Delta. Ce qui signifie que 70% des personnes qui n’ont reçu qu’une seule dose vaccinale courent le risque de refaire la maladie. Cependant, des lueurs d’espoir existent, avec cette bonne nouvelle mise en exergue par des études. Cellesci ont démontré que pour les personnes qui ont complété leurs vaccinations (2 doses), l’efficacité est estimée entre 80 à 90%, avec pratiquement le même taux de réussite contre les autres variants, et même plus de 94% contre les formes graves.

 

F.N.H. : Le virus se réplique et mute. Serait-il possible de le contrer en le faisant «muter à mort», dans un processus que les scientifiques appellent communément «mutagenèse létale» ?

T. H. : Effectivement, c’est une piste de recherche. La mutagenèse létale est une notion scientifique qui ne date pas d’aujourd’hui avec l’avènement de la covid-19, car elle existe depuis plus de 3 décennies. Les chercheurs et scientifiques travaillent sur cette hypothèse, qui consiste à mettre au profit de la science certaines caractéristiques de la mutation du virus. Les scientifiques pensent qu’on pourrait pousser ces virus à faire beaucoup de mutations, de sorte qu’ils ne soient plus capables de se reproduire, et donc ne plus pouvoir sécréter des protéines qui leur permettent de se multiplier et se propager. Les médicaments, notamment les antiviraux qui provoquent une mutagenèse létale, ont déjà été testés contre d'autres virus.

C’est une piste à explorer. Mais cette technique est plutôt une recherche pour l’avenir, mais pas une solution immédiate pour le coronavirus. Il y a une autre branche, celle que l’on a tendance à oublier : il s’agit des médicaments contre le coronavirus pour traiter les personnes qui ont déjà attrapé le virus. Si on arrive à trouver un traitement efficace, ce sera une excellente chose pour réaliser une bonne combinaison entre vaccins et médicaments. Actuellement, il faut rester vigilant, faire le vaccin et respecter les gestes barrières pour se protéger en attendant l’immunité collective. 

 

 

 

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