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Le Maroc de nos ambitions

Le Maroc de nos ambitions

 

Par Mustapha SEHIMI
Professeur de droit, politologue


Ce gouvernement est en responsabilité depuis plus d'un semestre. Il doit parer au plus pressé et s'employer à gérer la difficulté et la complexité de la situation actuelle. Il dit qu'il n'a pas de «baguette magique», selon l'expression de Aziz Akhannouch - personne n'a dit le contraire, soit dit  en passant... Il vient de signer, à la veille de la Fête du travail, le 1er mai, un accord social avec les centrales syndicales représentatives. Un acquis, assurément. Pour autant, il convient de se pencher davantage sur l'état des lieux, les avancées aussi, sans oublier le cap : celui des ambitions des Marocains et du Maroc.


Des atouts, mais...
 En ce printemps 2022, comment ne pas relever, pour commencer, des atouts qui sont un capital que de nombreux pays dans la région, dans le continent et dans le monde arabe nous envient. Des institutions, un Etat central, une régionalisation en marche - même avec lenteur - un agenda électoral respecté : voilà bien de quoi avoir quelque motif de fierté. Mais plus encore, comment ne pas mettre en exergue le rôle de SM le Roi. Un leadership personnel et politique reconnu et salué à l'international. Une vision de Règne. Un projet de société moderne, démocratique et solidaire : une capitalisation assurée et confortée depuis plus de deux décennies. De quoi stimuler l'action du gouvernement actuel - comme celle des précédents cabinets des deux décennies écoulées. 

Un effet levier a-t-il bien fonctionné à ce sujet dans les politiques publiques ? Rien n'est moins sûr. Sans rappeler toutes les directives et orientations.  Royales, il vaut de rappeler que le Souverain a toujours été à la barre impulsant, fixant le cadre des réformes et allant même jusqu'à préciser un calendrier. Les dix ans des deux cabinets PJD ont été globalement si peu réformateurs - tout le monde en convient. Une parenthèse donc. Des retards. Des annonces populistes. Mais il faut bien en convenir : une décennie qui a fait perdre du temps... Le cabinet Akhannouch, issu des urnes, doit faire pour le mieux, mais est-ce suffisant ? Certes, non ! Tant il est vrai qu'il doit entreprendre des réformes et des mesures pour répondre aux contraintes et aux défis du Maroc de 2022 et des années à venir.


Arbitrage et volontarisme
Quels axes à retenir ? Le premier d’entre eux a trait à la finalisation de l’implémentation de la Constitution de 2011. Onze ans après, la loi organique sur le droit de grève reste encore en panne. Il vient de s’engager aujourd’hui, avec l'accord social du 30 avril, à l’adopter et à la  promulguer le 1er  janvier 2023 - une condition fixée aux syndicats pour une seconde augmentation de 5% du  SMIG... Tiendra-t-il cet agenda ? Il lui faudra une forte dose d'arbitrage et de volontarisme pour y arriver et pour enjamber les «résistances» des syndicats. Il est également prévu la réforme du Code du travail au 1er juillet 2023. Le texte actuel est en vigueur en février 2004 : il a besoin d'un grand «toilettage». En particulier, pour ce qui est de ce que l'on appelle la flexicurité, autrement dit la consécration d'une souplesse et d'une plasticité dans le contrat de travail actuel marqué par trop de rigidité contraire aux nouvelles exigences de l'économie moderne et de l'agilité des entreprises. Là encore, pour les centrales syndicales, l'on a affaire à un autre «totem»... Les différents régimes de retraite sont menacés à terme par suite du creusement continu de leurs ressources et de leurs réserves. Aucun agenda n'a été encore fixé à ce sujet. Preuve sans doute que ce cabinet n'a pas - encore ? - une claire vision de la nature et de la portée de cette réforme. Faut-il attendre 2023 pour être fixé ? Qu'est-ce qui empêche d'avancer ce calendrier au plus tôt ?
Un autre axe intéresse, lui, l'opérationnalisation et l'actualisation de textes législatifs et réglementaires. Tant de lois restent virtuelles, si l'on ose dire, faute de décrets d'application. Un inventaire de ce «stock» ne peut-il pas être dressé et conduire à l'adoption de textes d'application. Il faut y ajouter, dans cette même approche, la nécessité d'une nouvelle génération de réformes. Les unes intéressent le code pénal et le code de procédure pénale et elles relèvent du registre sociétal; d'autres regardent la facilitation de l'accès des justiciables et une meilleure administration de la justice. La lutte contre la corruption peine à s'affirmer; d'ailleurs, le programme du gouvernement n'y fait pratiquement pas référence alors que le Maroc se classe dans le lot des mal classés, se situant au 87ème rang. Un fléau ressenti par les citoyens et qui pénalise l'attractivité du Royaume à l'international. L'économie de la rente doit également participer de cette politique d'assainissement, sans oublier les conflits d'intérêts...

Le Parlement, tel qu'il est, n'échappe pas non plus à l'interrogation critique. Assume-t-il la plénitude de ses attributions constitutionnelles ? Personne ne peut sérieusement le soutenir. Les propositions de loi de l'opposition ne sont pas retenues. L'absentéisme perdure nourrissant un certain antiparlementarisme sans pouvoir être sanctionné. La diplomatie parlementaire n'a aucune visibilité. Les groupes d'amitié, avec une bonne cinquantaine d'autres institutions ne se distinguent guère par leur activisme alors que ce sont des réseaux d'influence utiles, notamment pour la cause nationale du Sahara marocain.

Gouvernance

Au fond, ce qui est en cause, n'est-ce pas une problématique de gouvernance embrassant tant le parlement que le gouvernement ? Elle commande une nouvelle méthodologie, accélérant le rythme, sériant les priorités et déterminant des séquences. D'ici la fin de la présente mandature, quelle est la feuille de route ? Cela permettrait de donner visibilité et lisibilité aux politiques publiques. De quoi nourrir l'intérêt des citoyens et des opérateurs économiques; de quoi aussi, autant que faire se peut, entraîner leur adhésion, et si possible leur soutien. Que ce cabinet ne fasse pratiquement plus aucune référence au nouveau modèle de développement (NMD) laisse perplexe. Faut-il y voir la difficulté à décliner les politiques publiques, décidées par «à-coups», confrontées à l'actualité et à la conjoncture ? Enfin, ce qui n'est pas le moins essentiel : la régionalisation. Le discours officiel fait volontiers référence à celle-ci comme étant «avancée». Qu'en est-il au vrai ? Or, le défi du développement est là avec une réallocation de ressources suffisantes, une valorisation des potentialités locales et celle aussi de nouvelles élites.
De l'ambition donc ! De grandes ambitions ! La présente conjoncture est fortement défavorable par la conjonction de facteurs exogènes et d'autres endogènes - c'est connu. Le challenge national est d'en faire une opportunité pour innover, décider, réévaluer ce qui est entrepris et qui n'a pas porté ses fruits. Le mouvement. La dynamique. Pas une gestion gouvernementale ni des institutions statutaires «conservatrices» ! La cohésion sociale y gagnera beaucoup. N'est-ce pas la gestion globale du statu quo - avec un discours sur les réformes, la volonté proclamée de les entreprendre mais sans les actes appropriés- qui nourrit finalement l'instabilité ?

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