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Législatives anticipées en France : «Les alliances comme les ententes resteront fragiles»

Législatives anticipées en France : «Les alliances comme les ententes resteront fragiles»

Le premier tour du scrutin a été marqué par un taux de participation record de 67,5%. Arrivé en tête, le Rassemblement national est actuellement aux portes du pouvoir. Entretien avec Amar Dib, écrivain, sociologue, juge et médiateur international.

 

Propos recueillis par Ibtissam Z.

Finances News Hebdo : La France vit une situation inédite, marquée par l’arrivée du RN en tête au premier tour des législatives. Quelle analyse en faites-vous ?

Amar Dib : Ce résultat révèle plusieurs choses. D’abord, il témoigne de l’inquiétude des Français face à la situation économique et sociale de notre pays. Il démontre aussi une volonté de changement profond qu’éprouve ce peuple afin d’espérer sortir de cette conjoncture qui les affecte depuis trop longtemps. Enfin, ils optent malheureusement, avec le choix du Rassemblement national, pour une solution qui va probablement isoler la France, la mettre au banc des nations et compliquer durablement sa relation et sa coopération avec de nombreux pays à travers le monde. On peut rajouter également que si ce résultat se confirme dimanche prochain, le pays va se déchirer, les manifestations vont se multiplier, la division va s’installer, et nous devrons faire face à de nombreux excès de part et d’autre.

 

F.N.H. : Quelles sont les conséquences directes des résultats de ce scrutin ? Y a-t-il des scénarios possibles ?

A. D. : C’est assez simple : soit le RN dispose de la majorité absolue (289 députés), et il peut encore l’obtenir; nous aurons alors un gouvernement d’extrême droite avec à sa tête Jordan Bardella. Soit il ne dispose pas de cette majorité, et il cherchera peut-être des alliés chez Les Républicains notamment, pour diriger le pays, mais cela reste peu probable. Soit ce défaut de majorité du RN va conduire les autres partis politiques, Renaissance, LR, Front populaire à se mobiliser et à constituer une coalition, un gouvernement d’union nationale pour diriger le pays et éviter la paralysie des institutions. Toutefois, quels que soient les scénarios possibles ou envisageables, le programme s’annonce très compliqué pour l’ensemble des forces politiques, avec beaucoup d’inconnues. Dans tous les cas, Emmanuel Macron et sa majorité ne pourront plus poursuivre leur politique et imposer leur programme.

 

F.N.H. : Avec le RN en tête, quels sont les changements qui vont devoir s’opérer dans le champ politique français ?

A. D. : Si dimanche prochain le RN remporte les élections législatives, il cherchera à mettre en place son programme avec des mesures répressives, constitutionnellement inapplicables. L’idée générale tourne autour de la fermeté appliquée en matière de justice, de police et d’immigration. Toujours les mêmes fondamentaux de l’extrême droite, faire la chasse à l’immigré, rétablir la souveraineté nationale à l’égard de l’Europe et du monde, imposer la notion de préférence nationale, mais surtout, d’un point de vue économique, il se montre incapable de donner des précisions sur la manière de financer ses nombreuses mesures, etc. Pour le reste, son arrivée au pouvoir rebattrait les cartes de l’échiquier politique français, et conduirait certains partis à se refondre, d’autres à disparaitre ou à se réinventer, ce qui ne serait pas un mal, notamment pour les partis vieillissants que sont le Parti socialiste et Les Républicains…

 

F.N.H. : Quel impact sur l’axe Paris-Rabat ?

A. D. : Concrètement, la politique des visas serait révisée, astreignante, et les relations entre les deux pays s’en ressentiraient. Dans les premiers mois, la gouvernance du RN voudra montrer qu’elle assume ses choix sur l’immigration, qu’elle durcit les règles d’obtention des visas, et que dorénavant la destination France sera réservée et limitée. Naîtront de ces premières difficultés relationnelles et diplomatiques, plusieurs malentendus qui auront naturellement d’autres répercussions sur l’ensemble des échanges et des pourparlers entre les deux pays. D’autant qu’il persiste chez certains cadres de ce parti, une nostalgie de la France d’antan qui imposait ses choix à toute l’Afrique, et particulièrement aux pays du Maghreb, notamment sur la manière de conduire la coopération. Mais on peut rester positif et penser que la France, qui perd beaucoup de terrain en Afrique, ait besoin d’un interlocuteur et d’un partenaire comme le Maroc pour reprendre pied sur ce continent. Elle devra dans cette perspective ménager sa relation avec le Royaume et privilégier une entente et des accommodements.

 

F.N.H. : Les élections législatives en France soulèvent des questions cruciales au-delà des simples résultats partisans. La France est-elle au bord d'une crise institutionnelle ?

A. D. : Il me semble qu’aujourd’hui, cette question se pose naturellement, et elle doit se poser. Les conjonctures de ce genre révèlent une lassitude de l’électorat et un désir profond de changement. Celui-ci peut se traduire par le renouvellement de la classe politique, la révision de la Constitution, l’avènement d’une VIème République, la révision des modes de scrutin (ex: la proportionnelle), ou encore la fusion des deux assemblées : Sénat et Assemblée nationale. En résumé, une nécessaire et possible révolution institutionnelle.

 

F.N.H. : Quels sont les nouveaux équilibres qui pourraient se constituer au sein de l’Assemblée nationale ?

A. D. : Le RN sera possiblement le groupe le plus important. S’il ne gouverne pas, il saura se faire entendre et faire potentiellement barrage aux projets de lois qui ne lui conviendront pas. D’autant qu’il aura en face de lui une coalition fragile, constituée du Front populaire de gauche, de la majorité présidentielle et peut-être d’une partie des Républicains. C’est-à-dire un attelage improbable, susceptible de se diviser sur de nombreux sujets. Quelle que soient les projections, les alliances comme les ententes resteront fragiles, précaires et ne pourront qu’apporter des solutions à court terme, permettant d’éviter provisoirement que le RN dirige la France.

 

F.N.H. : Le pouvoir d'achat, l’augmentation des salaires, les retraites et l’immigration sont des sujets phares qui préoccupent les Français. Le RN est-il en mesure de relever le challenge ?

A. D. : Le RN est un parti sectaire, qui divise la population, promeut des thèses clairement racistes et propose des réponses simplistes aux préoccupations sérieuses des Français, sans parler des contradictions qui le caractérisent sur tous ces sujets. Le corollaire de ces réponses consiste à expliquer que les personnes issues de l’immigration sont majoritairement à l’origine de tous les maux que traverse notre pays. L’insécurité, la violence, le chômage, la dette publique…, tous ces sujets sont systématiquement associés à la présence des immigrés sur le sol de France. Une rengaine qui a traversé les âges; elle fût utilisée pour stigmatiser les Juifs, les Polonais, les Italiens, aujourd’hui les Arabomusulmans, demain probablement les Asiatiques. On n’élève pas une nation par des slogans faciles, par la quête de boucs émissaires ou par la propagande xénophobe. L’histoire nous a montré que les politiques de ce genre conduisent toutes au même résultat : la haine, la division et le chaos.

 

F.N.H. : Entre les trois blocs qui se sont affrontés au premier tour des législatives, lequel est le plus crédible à votre avis ?

A. D. : Difficile de répondre à cette question. La responsabilité de la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui est à mettre sur le compte de la gauche comme de la droite, tout comme celle de la majorité présidentielle actuelle. Tous ont manqué à certains de leurs engagements, ne cherchant pas à traiter les véritables problèmes quotidiens des Français, notamment l’insécurité, le pouvoir d’achat et l’emploi, etc. Et aujourd’hui, nous nous retrouvons avec une extrême droite en passe de diriger le pays. Pour moi, il ne faut pas incriminer les électeurs, mais ceux qui ont conduit à ce résultat. La classe politique en général, comme les médias (BFM et CNews notamment) qui ont, depuis des années, sournoisement cherché à légitimer ce vote pour le RN. F.N.H. : Quels sont les alliances ou rapprochements possibles qui pourraient s'opérer dimanche prochain à la suite du second tour ? A. D. : À la lumière des déclarations entendues dimanche soir, après l’annonce des résultats, on comprend qu’un front anti-RN va tenter de s’organiser sur notre territoire pour contrer l’impressionnante percée des candidats de l’extrême droite. Mais là aussi, avec des déclarations contradictoires des uns et des autres, comme celles des Républicains qui refusent de soutenir les candidats LFI, quelles que soient les circonstances. D’ailleurs, à ce propos, je pense que si le RN gagne les élections législatives dimanche prochain, il pourra compter sur la collaboration et l’implication de certains élus de chez Les Républicains, comme Eric Ciotti, qui se réjouiront de gagner un ministère et de coopérer avec cette nouvelle majorité. Cela témoigne du trouble que vont engendrer, dans l’esprit des Français, ces incohérences, ces compromissions multiples, et cette quête du pouvoir de la part de nos élus, conduisant nos concitoyens à douter de nos institutions, et plus généralement de notre classe politique.

 

F.N.H. : Tout au long de la Vème république, la France a eu recours à trois cohabitations. Qu’en est-il de cette 4ème cohabitation qui se dessine et de ses répercussions ?

A. D. : À chacune de ces trois cohabitations, nous avions des Présidents, comme François Mitterrand et Jacques Chirac, qui étaient des personnalités fortes, disposant d’une véritable autorité, et qui étaient en capacité d’assumer ces cohabitations. Aujourd’hui, la défiance des Français à l’égard du Président Macron lui permettra-t-elle d’assurer la continuité du bon fonctionnement des institutions ? La question reste posée. Qui plus est, Jordan Bardella est jeune, Emmanuel Macron également; on peut penser que des tensions entre les deux hommes vont régulièrement naître et peut-être se développer, ce qui ne permettra pas la stabilité politique dont notre pays a pourtant besoin. Particulièrement dans un monde en crise sur plusieurs continents, comme l’Afrique, le Moyen-Orient, l’Asie ou l’Amérique latine, et surtout une guerre à nos portes entre l’Ukraine et la Russie…

 

 

 

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