Si dans certains pays comme la France, l’application d’un «pass vaccinal» a été l’objet d’une loi discutée par les deux chambres, au Maroc, c’est une tout autre histoire.
Parmi les grands chantiers qui attendent ou devraient attendre les nouveaux élus, figure, en tout cas espérons-le, le projet de loi organique sur «l’exception d’inconstitutionnalité»
Etant l’objet d’un aller-retour entre la Chambre des représentants, celles des conseillers et la Cour constitutionnelle, cette loi organique, pourtant prévue par la Constitution de 2011, tarde à voir le jour pour des raisons qui demeurent obscures.
Or, ce mécanisme devrait permettre à tout justiciable de saisir la Cour constitutionnelle en vue de vérifier la conformité ou non d’une loi dont il risque de subir les conséquences. De même, c’est l’un des fondements d’une démocratie moderne et de l’Etat de droit qui se fonde sur le principe de la «hiérarchie des normes», appelée aussi «pyramide de Kelsen», en référence au grand juriste autrichien Hans Kelsen, fondateur du normativisme juridique, qui vise, entre autres, à libérer le droit de toute dérive politique ou idéologique.
Ce modèle dominant à l’échelle mondiale a été grandement remis en cause, ou du moins questionné par les mesures prises par les différents exécutifs de par le monde pour affronter la pandémie du Covid-19.
Si dans certains pays comme la France, l’application d’un «pass vaccinal» a été l’objet d’une loi discutée par les deux chambres, il a fallu quand même que la Cour constitutionnelle, qui fut saisie par différents avocats, se prononce sur la conformité ou non de cette proposition de loi.
Au Maroc, c’est une tout autre histoire. L’application du «pass vaccinal» et de ses modalités d’application s’est fait par simple décret. Un décret-loi datant du 20 mars 2020, autorise l’exécutif à prendre toutes les mesures qu’il juge nécessaire pour gérer la pandémie, sans en référer au Parlement, et sans que les citoyens ne puissent saisir la Cour constitutionnelle pour en vérifier la conformité. L’exécutif devient de fait juge et partie dans son évaluation de ce qui est «nécessaire».
Car, si le pouvoir législatif peut transférer une importante partie de ses prérogatives à l’exécutif à travers un simple décret-loi non limité dans le temps, comme c’est le cas pour l’état d’urgence sanitaire, les citoyens devraient être en droit de saisir la Cour constitutionnelle, vu qu’ils auront à en subir toutes les conséquences. Le respect de la hiérarchie des normes relève, rappelons-le, des prérogatives de la Cour constitutionnelle et non de l’exécutif.
Car, dans le cas contraire, nous ne sommes plus dans un Etat de droit. Puisque, demain, on pourrait avoir, dans une logique cumulative, un décret-loi sur l’urgence climatique, ou encore sur l’urgence sécuritaire. Autrement dit, un «Etat d’exception» qui ne dit pas son nom, et qui se déploiera au détriment de la liberté des citoyens, qui n’auront plus que leurs yeux pour pleurer.
Il en résulte que les élus sont désormais confrontés à un choix crucial : accélérer l’entrée en vigueur de la loi organique sur l’exception d’inconstitutionnalité afin de renforcer l’Etat de droit face aux dérives éventuelles de l’exécutif; soit en faire le deuil, et nous mener graduellement vers un autre paradigme juridique, celui de la théorie du décisionnisme, dont le plus illustre représentant est le grand juriste allemand Carl Schmitt, dont la vision est diamétralement opposée à celle de Hans Kelsen. Pour Schmitt, la validité d’une décision ne dépend pas de son contenu, mais de la légitimité de celui qui la prend. Ainsi, décret, loi ou article de la Constitution, tous peuvent se valoir si le décideur, l’exécutif par exemple, est considéré comme une autorité légitime.
Il est donc temps de trancher. Car, en attendant, en plus de créer une frustration de plus en plus importante chez bon nombre de citoyens, cet entre-deux contribue à délégitimer de plus en plus un pouvoir exécutif dont les décisions peuvent paraitre douteuses, du point de vue de leur conformité à la Constitution, notamment dans le contexte de la crise actuelle.
Par Rachid Achachi, chroniqueur,
DG d'Arkhé Consulting