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Parcours d’un résistant : «Le moment le plus marquant reste le jour où j’ai rencontré Zerktouni»

Parcours d’un résistant : «Le moment le plus marquant reste le jour où j’ai rencontré Zerktouni»

Figure de la résistance marocaine, Mohamed Talout Meknassi évoque son engagement aux côtés de Mohamed Zerktouni, son entrée au parti de l’Istiqlal et ses missions pour l’indépendance. À l’occasion de la fête du Trône, il partage avec émotion son vécu et appelle à transmettre cet héritage aux jeunes générations. Rencontre.

 

Propos recueillis par Ibtissam Z.

Finances News Hebdo: Vous vous définissez comme le bras droit de Mohamed Zerktouni. Comment décririez-vous votre relation avec lui et votre rôle au sein de la résistance ?

Mohamed Talout Meknassi : C’est en 1950, alors que j’avais 20 ans, que j’ai fait la connaissance de feu Mohamed Zerktouni. Avant cela, je ne le connaissais pas personnellement. C’est lui qui m’a abordé pour la première fois. J’étais assis devant chez moi, lisant Le Petit Marocain, un quotidien français de l’époque. Il s’est approché et m’a lancé : «Alors quoi de neuf, Ssi Meknassi, dans ce journal ?». Le Maroc était alors en pleine effervescence. Je lui ai parlé des manifestations évoquées dans le journal, dirigées contre la présence française. Il m’a demandé si je faisais de la politique et si j’étais engagé dans un parti. À l’époque, je n’appartenais à aucun parti. Il m’a alors invité à rejoindre le parti de l’Istiqlal. Je précise qu’à cette époque, la lutte nationaliste était encore pacifique. La résistance armée ne commencera véritablement qu’après la déportation de feu le Sultan Mohammed V, le 20 août 1953. Être le bras droit de Zerktouni dans le secteur de l’ancienne médina de Casablanca était pour moi une grande fierté.

 

F.N.H. : Quelles étaient les principales missions ou responsabilités que feu Zerktouni vous confiait dans le cadre de votre engagement commun ?

M. T. M. : Mohamed Zerktouni supervisait six cellules clandestines, trois dans l’ancienne médina de Casablanca et trois à Derb Soltane. L’une de mes responsabilités principales était d’organiser les réunions secrètes entre les membres de notre cellule. Je transmettais les informations, assurais la lecture du bulletin de liaison du parti de l’Istiqlal que Zerktouni me remettait, et hébergeais souvent ces réunions à mon domicile, rue Goulmima. J’étais également chargé de collecter les cotisations et les dons des membres, puis de les remettre à la personne concernée.

 

F.N.H. : C’est à l’occasion d’une réunion organisée par Mohamed Zerktouni que vous avez prêté serment et rejoint officiellement le parti de l’Istiqlal. Pouvez-vous partager un ou deux moments marquants qui illustrent votre collaboration avec lui ?

M. T. M. : C’est Zerktouni qui m’a proposé de rejoindre le PI. Il m’a convié à une première réunion où plusieurs figures influentes du parti m’ont interrogé sur mes motivations. J’ai répondu que comme tout Marocain, je voulais l’indépendance de mon pays et que le PI représentait, selon moi, la principale force de lutte à l’époque. J’ai alors prêté serment par le Coran, en présence de Zerktouni et du comité, en prononçant ces mots : «Je jure par Dieu le grand, d’être fidèle à ma religion, à ma patrie et au Parti de l’Istiqlal».

 

F.N.H. : Dans quels moments marquants de la lutte anticoloniale votre soutien à Zerktouni a-t-il été le plus décisif ?

M. T. M. : Le moment le plus marquant reste le jour où je l’ai rencontré. Dès cet instant, je lui ai voué une fidélité totale. Après avoir prêté serment, Zerktouni savait qu’il a un compagnon sur lequel il pouvait compter sans réserve. Il m’a confié des responsabilités importantes au sein de notre cellule. Le jour de sa mort a été un choc terrible pour moi. Je l’ai très mal vécu. D’ailleurs, en 1954, l’année de son décès, nous étions tous deux activement recherchés par la police française.

 

F.N.H. : En 1951, vous avez accueilli une délégation de l’ONU aux côtés de Zerktouni, à l’occasion de la fête du Trône. Comment cet épisode a-t-il influencé votre engagement personnel et votre regard sur la résistance ?

M. T. M. : En 1951, j’ai participé à l’organisation de ma première fête du Trône, à Derb Maizi, dans l’ancienne médina. Sur ma proposition, nous avons décoré l’entrée avec une carte des pays de la Ligue arabe. C’était notre manière de signifier notre volonté de rejoindre cette organisation. Mais pour cela, il nous fallait l’indépendance. Ce jour-là, une délégation de l’ONU, venue enquêter sur les troubles au Maroc, était présente. Grâce à ma maîtrise du français, Zerktouni m’a confié la mission de prononcer un discours et de répondre aux questions des membres de cette délégation.

 

Mohamed Talout Meknassi : Une mémoire vivante de la résistance marocaine

Dans une petite villa au quartier Oasis, à Casablanca, réside un homme de 95 ans. Discret et charismatique, Mohamed Talout Meknassi vit aujourd’hui entouré de livres, de la nature et de souvenirs. Il aime soigner ses plantes en fredonnant les airs d’Abdelwahab, son chanteur préféré, un rituel qu’il prolonge chaque matin. Dans cette maison qu’il a construite avec feue son épouse Latifa Fenniche, Il vit dans la sérénité, entouré par l’amour de ses trois enfants et de ses petits-enfants. Veuf depuis vingt ans, il n’a jamais refait sa vie, fidèle à ce lien affectif. Cette loyauté intime fait écho à celle, tout aussi profonde, qu’il a portée envers sa patrie. S’il mène une vie paisible entre lecture et jardinage, peu de gens savent que cet homme qui marche doucement, s’appuyant sur une canne, garde dans sa mémoire un pan important de l’histoire de la Moukawama, principalement la partie qui concerne l’ancienne médina de Casablanca. Une mémoire vivante et un vécu mouvementé qui en disent long sur son engagement. En effet, derrière cette silhouette frêle et posée se cache un véritable pilier de l’histoire de la résistance marocaine. Membre actif du parti de l’Istiqlal, il fut très tôt approché par Mohamed Zerktouni, figure emblématique de la Moukawama. Engagé dans la lutte pour l’indépendance dès les années 1950, il a organisé des réunions clandestines, transmis des messages, levé des fonds et défendu les idéaux nationalistes. Il fut emprisonné, torturé, mais jamais brisé. Ses genoux et ses oreilles portent encore les séquelles de cette violence, mais son esprit, lui, reste libre inébranlable. Il en est convaincu. «Je dois rester actif physiquement et cérébralement, autrement je serais déjà fini». La lecture, dit-il, est l’un de ses secrets pour entretenir sa vivacité et sa «longévité». Né à Casablanca et originaire de Meknès, Mohamed Meknassi, qui fut directeur de banque, incarne cette génération de bâtisseurs discrets, chez qui le patriotisme et l’éthique sont chevillés à l’âme. Dans ses propos comme dans ses engagements, il a su conjuguer rigueur et loyauté, servant son pays tant dans l’ombre de la résistance que sous la lumière de ses responsabilités professionnelles. Aujourd’hui encore, chaque matin, il se rend au kiosque du quartier pour acheter «L’Opinion», le journal du PI, un geste simple mais chargé de sens et d’appartenance. Il incarne, avec humilité, le témoin engagé d’un passé dont il fut l’un des acteurs.  À la question : «Que se passe-t-il au Maroc ?», j’ai répondu : «Le Maroc a toujours été un pays indépendant. Nous ne pouvons accepter le protectorat». Deux jours plus tard, j’ai été arrêté sur mon lieu de travail. En novembre 1951, j’ai été incarcéré pour «propos lancés contre les autorités du protectorat français», mention encore visible sur mon casier judiciaire.

 

F.N.H. : Que retenez-vous de votre passage en prison ? A-t-il représenté un tournant dans votre engagement ?

M. T. M. : Dans la prison de Ghbila, j’ai gagné l’estime des détenus de droit commun malgré mon jeune âge. J’ai même dirigé les prières. Mon arrestation avait fait grand bruit dans l’ancienne médina; tout le monde parlait de l’arrestation de Meknassi. Ma mère recevait de nombreuses visites en signe de soutien. Mes codétenus me respectaient profondément. Mais au commissariat, j’ai subi de graves sévices physiques et psychologiques. Mes genoux ont été écrasés par les coups de bâton, mes oreilles abîmées à vie par les gifles. Le commissaire voulait savoir deux choses : d’abord, si j’étais membre du PI, ce qui pour les Français, revenait à être traité comme un extrémiste. Ensuite, connaître les noms des membres de la cellule dont je faisais partie. Ce que j’ai nié fermement. Je lui ai seulement dit que je connaissais feu Allal El Fassi, figure emblématique de notre combat, alors en exil. Cela l’a rendu furieux et il m’a giflé violemment. Pour l’anecdote, le commissaire avait été impressionné par ma maîtrise du français. Je parle ici de souvenirs vieux de 75 ans, mais leur intensité demeure intacte dans ma mémoire, tant la violence de l’acte et la détermination à se battre pour l’indépendance de notre pays étaient profondes. À l’époque, notre lutte était encore pacifique. La résistance armée ne commencera qu’après l’exil du Sultan. Les premiers actes armés furent la bombe du marché central, celle du café Mers Sultan, ou encore le sabotage du train Fès-Oujda. Je suis sorti de prison en mars 1952. De 1952 à 1954, j’ai poursuivi mon engagement de manière plus discrète. Nos réunions, souvent après la prière d’al-Icha, se tenaient chez moi, à côté de la mosquée Derb Houmane. En 1954, un voisin, inspecteur de police, a prévenu ma mère de mon arrestation imminente. J’ai alors fui à Fès chez mon oncle maternel, feu Ahmed Raïs. C’est là que j’ai appris la mort tragique de Zerktouni, décédé en martyr, en avalant une pastille de cyanure qu’il portait en permanence autour du cou, dans une maison attenante au cinéma Atlas. Il a opté pour la mort au risque de trahir ses compagnons sous la torture. Il est arrivé mort au commissariat, au grand regret des Français, emportant avec lui les noms des 60 membres des six cellules qu’il dirigeait. Qu’Allah ait son âme.

 

F.N.H. : À l’approche de la fête du Trône, qui occupe une place particulière dans l’histoire nationale, quel message souhaiteriez-vous adresser aux jeunes marocains ?

M. T. M. : La fête du Trône a toujours été pour notre génération bien plus qu’une célébration. Elle incarnait l’attachement profond à feu Sultan Mohammed V et à son combat pour l’indépendance. Elle symbolisait ce lien sacré entre la monarchie et son peuple, une véritable communion de cœur et d’histoire. Dans son premier discours après son retour d’exil, le Sultan avait déclaré : «Nous sommes sortis du petit Jihad pour le grand Jihad». Par «Jihad Al Akbar», il entendait le développement du pays. Ce message demeure, aujourd’hui encore, au cœur de notre responsabilité collective. La célébration du 30 juillet 2025 ne fait pas exception. Elle nous rappelle combien la continuité monarchique reste un pilier fondamental de stabilité et de progrès. À travers elle, je formule le vœu que les jeunes générations poursuivent l’œuvre de leurs grands-parents et parents, s’approprient cette mémoire et la fassent vivre à leur manière. C’est sous la conduite éclairée de Sa Majesté le Roi Mohammed VI que ce grand Jihad du développement prend tout son sens, porté par un effort constant en faveur du progrès et de l’unité du Royaume. Chaque année, la fête du Trône nous rappelle l’importance de préserver ce riche héritage.

 

F.N.H. : À Casablanca, un boulevard porte aujourd’hui votre nom, non loin de celui de Mohamed Zerktouni. Que représente pour vous cet hommage symbolique de la nation ?

M. T. M. : Il est certain que cela représente un sentiment de fierté. La reconnaissance des autorités casablancaises envers ceux qui se sont sacrifiés pour le Maroc est précieuse. À titre personnel, cela me donne le sentiment du devoir accompli, et me permet surtout de transmettre un message à mes enfants et à mes petits-enfants  : celui de l’amour de la patrie. Cet amour est fondamental pour tout citoyen digne de ce nom. Notre génération considérait la lutte pour l’indépendance comme un devoir religieux sacré, et c’est dans cet esprit que nous avons combattu le colonialisme français.

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