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La mort de l’Homme

La mort de l’Homme

«La nature de l'homme n'est pas naturelle, elle veut modifier la Nature, c'est pourquoi elle est parfois extrême.» (Robert Musil).

«J'éprouve un dégoût physique pour l'humanité ordinaire : c'est d'ailleurs la seule qui existe.» (Fernando Pessoa).

 

Par Abdelhak Najib 
Écrivain-journaliste 


 

Là où le regard se porte aujourd’hui, la normalité conjuguée à la normopathie, la médiocrité et son corollaire l’ignorance, l’ordinaire bat son plein et ne laisse plus aucune place ni chance à des étincelles extraordinaires. La règle est d’abdiquer. La loi qui prévaut est celle qui te somme de rentrer dans le rang et de ne jamais revendiquer ton individualité, dans ce qui la caractérise comme différences, comme rêves et comme espoir de ne pas entrer dans le moule et devenir un numéro de série, parmi des milliards d’autres numéros. 

Le règne de l’ordinaire a été bien étudié avant de devenir la norme. On a préparé cette humanité finissante à devenir rampante, ployant sous le poids de tant de dépendances, avec à leur tête l’addiction pathologique à la technologie avilissante. Ce qui ne laisse plus aucun autre choix aux humains aujourd’hui. Prends ton gadget et connecte-toi à la virtualité. Oublie ce monde réel, ne t’en préoccupe pas, nous sommes là pour nous en occuper ? Toi, l’humain désorienté d’aujourd’hui, tu n’as qu’à suivre ce qu’on t’indique et tout ira bien pour toi. Tu ne sentiras plus de la douleur face aux drames humains, parce qu’on t’aura abreuvé de spectacles horribles jusqu’à t’ôter toute empathie.

Nous avons envahi ta vie avec des scènes insoutenables de meurtres, de tragédies humaines, de catastrophes naturelles, d’injustice de tous bords pour tuer en toi toute réaction à ce qui fait mal à cette humanité à laquelle tu appartiens encore avant de basculer dans l’ère du virtuel tous azimuts, une ère où tu ne seras plus qu'un consommateur débile et ahuri face à un monde que tu ne reconnais plus. On tue la souffrance en toi et la douleur pour que tu ne ressens plus ce qui fait mal à cette humanité qui crie sa déshérence dans un désert sourd et muet. 

Alors que nous le savons, on ne peut prétendre à l’humanité sans avoir cette profonde capacité de ressentir la douleur et l’empathie, la rage et la colère face au mal et au désastre. «La souffrance et la douleur sont toujours indispensables pour une conscience large et pour un coeur profond. Les hommes qui sont vraiment grands, me semble-t-il, doivent ressentir dans le monde une grande tristesse». (Fiodor Dostoïevski). 

Encore plus aujourd’hui, qu’il y a un siècle. Toute la douleur du monde est exacerbée. Le monde étant devenu factice, superficiel, un monde fait de surfaces en strates, chacune plus insignifiante que l’autre, notre capacité de sentir le sens tragique de la vie se doit de répondre à la vacuité de la société moderne avec autant de force et d’acuité.  

Face à cette vacuité béante qui fait peur, tu te demandes, comment t’en sortir, toi, l’homme ? Tu veux retrouver un peu de ton humanité perdue, mais tu ne sais pas comment. Tu essaies et tu échoues, tout le temps, parce que tout te dépasse. Il te suffit de faire un arrêt, de refuser d’avancer dans un monde hostile qui te prive de tes sentiments élémentaires et de tes émotions primales. Il te faudra, pour te libérer, renoncer à tout et réapprendre à t’aimer.  «Dans un monde en déshérence, renoncer, c'est nous libérer. Ne rien vouloir, c'est pouvoir.» (Fernando Pessoa)

 

 

 

 

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