La machine à doute est en marche et elle lamine tout sur son passage tel un gigantesque rouleau compresseur détraqué et en perte totale de contrôle. L’objectif est clair. Le peu d’humanité qui nous reste doit absolument verser dans le doute sous toutes ses manifestations. Tout va y passer : les rares principes qui subsistent de notre humanité perdue, les quelques valeurs aux prises avec les profondes mutations sociales et identitaires que génère cette postmodernité aux contours déchiquetés, la faible capacité de réagir dont nous faisons preuve face aux conséquences de la digitalisation des existences humaines dans leur profond conformisme, avec l’inclination programmée des uns et des autres pour l’amusement comme règle de conduite dans une société modelée pour le consumérisme le plus basique, avec un mot d’ordre : mange mal et achète le maximum possible. Mais ne réfléchis pas. Ne pense plus. Tu n’en as plus besoin. La technologie s’en charge pour toi. A telle enseigne que les cerveaux s’atrophient et tombent en catatonie provoquant des coupures de courant, des courts-circuits, des surcharges électriques grillant des fusibles au passage et cramant cette antique matière dite grise que les neurones à l’arrêt ne peuvent plus sécréter.
En outre, l’esprit des humains semble s’être adapté à la facilité du doute. Mais il est question ici du doute dans sa logique primaire, c’est-à-dire sans aucun effort cognitif. Il s’agit ici du doute spontané, devenu une première nature à la fois grégaire et ronronnante, supplantant la faculté d’analyser pour mieux comprendre, de percevoir pour mieux voir, de concevoir pour donner naissance à une forme personnelle de rationalité et d’entendre pour mieux appréhender l’existence. C’est le doute sans saisissement de ses propres finalités qui a aujourd’hui droit de cité. C’est ce doute gratuit qui génère une forme profonde et implacable d’errance mentale occasionnant des troubles profonds du comportement, des distorsions cognitives irréversibles et des dysfonctionnements organiques incontrôlables.
Cette machine à doute déroule sa machine infernale telle une créature détraquée qui ne rencontre aucune résistance sur son passage. Elle avance en écrasant le socle même sur lequel on pense avoir bâti la société des humains, réduisant à néant les rares certitudes que l’être humain peut encore revendiquer dans un dernier sursaut de résilience. Face à cette implacable machinerie rutilante, tout le monde s’aplatît attendant d’être réduit en bouillie grouillante et visqueuse. Les uns comme les autres se laissent faire ne se doutant aucunement que cédant à ce qui leur semble inévitable, ils condamnent du même coup l’avenir. Leur avenir, qui n’est possible qu’en opposant une ferme détermination à se battre dans un ultime affrontement avec l’irréparable pour sa propre survie.
Par Abdelhak Najib
Écrivain-journaliste