Dans un monde où tout s’accélère (la technologie, l’information, même le changement climatique), certains dirigeants semblent avoir trouvé le secret pour échapper à l’érosion du temps. Au Cameroun, Paul Biya règne depuis 1982. En Guinée équatoriale, Teodoro Obiang Nguema trône depuis 1979. Oui, vous avez bien lu. Près d'un demi-siècle de pouvoir pour ces deux dinaosaures politiques, devenus presque aussi éternels que les montagnes et les rivières de leurs pays respectifs, où des millions de citoyens n'ont jamais connu d'autre dirigeant.
Commençons par Paul Biya, «le fantôme du Cameroun» (sic !). A 91 ans, c’est un homme bien mystérieux. En septembre dernier, il a disparu des radars pendant 50 jours. Pendant ce temps, le Cameroun s’est lancé dans un sport national : spéculer sur sa santé. Etait-il mort ? Etait-il agonisant ? Ou bien méditait-il sur l’art de gouverner sans gouverner ?
Ses ministres, dans l'embarras, se sont relayés pour rassurer la population. Et le 21 octobre, surprise ! Paul Biya réapparaît comme par magie. Pour une majorité de Camerounais, il est le seul président qu'ils aient jamais connu. Alors, forcément, ses détracteurs attendent impatiemment qu'il passe enfin la main, mais Biya semble bien décidé à les faire attendre encore un peu… ou beaucoup.
Le Cameroun, sous le règne de Biya, est un pays de contrastes. Abondant en ressources naturelles, il reste pourtant embourbé dans la pauvreté et la corruption. Transparency International place le pays au 140ème rang mondial (sur 180) des pays les plus corrompus. Par ailleurs, le Programme alimentaire mondial (PAM) classe le pays 151ème sur 193 pays dans l’indice de développement humain 2023/2024. En cela, plus de 23% des Camerounais vivent en dessous du seuil de pauvreté international (2,15 dollars par personne et par jour), et l'extrême pauvreté pourrait atteindre 25% d'ici 2026, touchant 8 millions de personnes.
Mais la longévité de Biya ne se limite pas à ses années de pouvoir; elle s’étend aussi à sa capacité à transformer le pays en un système où la survie politique est garantie par le clientélisme et le népotisme. Teodoro Obiang, 45 ans de règne A quelques centaines de kilomètres de là, Teodoro Obiang règne d'une main de fer sur la Guinée équatoriale depuis 45 ans. Il est l'un des chefs d'Etat les plus riches d'Afrique grâce à des décennies de contrôle sans partage sur le pétrole équato-guinéen. Pourtant, la majorité de ses concitoyens n'a que peu bénéficié de cette manne pétrolière.
Pendant que la famille Obiang accumule les villas et voitures de luxe, le pays reste miné par la pauvreté, les infrastructures médiocres et la corruption (172ème rang mondial sur 180). Selon la Banque mondiale, la grande majorité de la population vit sous le seuil de pauvreté international, alors que ce pays est classé troisième pays le plus riche d'Afrique subsaharienne en PIB annuel par habitant en 2021 (8.462 dollars). Teodoro Obiang, 82 ans, a lui aussi l'air décidé à ne jamais quitter le pouvoir de son vivant.
Les ambitions dynastiques pointent même à l’horizon avec son fils, Teodorín, déjà bien en place pour reprendre le flambeau. Ainsi, Obiang et Biya partagent plus qu'une frontière géographique : ils incarnent tous deux un modèle de pouvoir à vie où le changement politique reste une idée exotique. S’ils étaient des exceptions, on pourrait sourire de leurs lubies de longévité. Mais le continent africain semble s’être fait une spécialité de ces présidents qui s'accrochent au pouvoir jusqu'à ce que la faucheuse elle-même vienne les libérer.
C’est une triste ironie : ces hommes qui ont mené des luttes pour libérer leurs pays du colonialisme sont aujourd'hui eux-mêmes les nouveaux colons. Colons du pouvoir, captifs de leurs privilèges souvent indus, incapables d’imaginer un avenir où ils ne seraient plus au sommet. Le syndrome du président éternel ne se limite d’ailleurs pas à l’Afrique centrale. Au Zimbabwe, Robert Mugabe a défié les lois de la vieillesse et de la dignité en s’agrippant au pouvoir jusqu'à 93 ans, avant de finalement être chassé par ses propres alliés militaires.
Au Tchad, Idriss Déby a mené son pays d’une main de fer pendant trois décennies jusqu'à ce que la guerre le rattrape. Et la liste est longue. Mais que se passe-t-il une fois que ces dinosaures politiques disparaissent ? Le plus souvent, c’est le chaos. En tout cas, sans garde-fous institutionnels, le Cameroun et la Guinée équatoriale risquent de connaître une transition chaotique. Car l’histoire politique de l’Afrique nous renseigne que les transitions post-autocratie sont rarement douces.
Ali Bongo, au Gabon, l’a appris à ses dépens : après avoir hérité du pouvoir de son père, il a été chassé par les militaires sous les applaudissements de la population. Pour Biya et Obiang, le rêve d’un règne éternel pourrait bien tourner au cauchemar pour leurs héritiers. Sans institutions solides ni alternance politique, l’instabilité est presque inévitable. Et les militaires, sentinelles silencieuses, attendent souvent le moment opportun pour «rétablir l’ordre». Mais, à la fin que retiendra-t-on de Paul Biya et de Teodoro Obiang ?
Deux choses, à mon sens : • Primo : ils sont peut-être les derniers représentants d'une ère révolue. Une ère où le pouvoir s’accumulait, se transmettait comme un héritage et où l’idée même de démocratie servait juste de vitrine pour séduire les partenaires étrangers. • Secundo : Ils ont prouvé une chose : le pouvoir en Afrique, c’est comme le vin de palme, ça se conserve longtemps. Parfois un peu trop longtemps.
Par D. William