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Un spectacle de profonde désolation

Un spectacle de profonde désolation
 
Les grosses écuries qu’on pensait avoir le vent en poupe, cette année elles ne sont pas à la fête.
 
Depuis la mi-mars, le monde de la culture a subi de plein fouet la crise sanitaire. Artistes, programmateur(trices), metteur(e)s en scène et festivals sont confronté(e)s à l'arrêt total des spectacles et à une angoissante incertitude pour la reprise.
 
La vie culturelle reprend à petits pas, comme une convalescente après une opération à cœur ouvert. Les librairies ont en effet rouvert, on peut désormais arpenter quelques galeries. Tout va mieux, alors ? Non. L’évènementiel est en danger. Pour l’heure, il demeure dans le coma, avec plusieurs fonctions vitales touchées. Il y a eu un geste, mais il reste beaucoup à faire.
 
Ses acteurs (tout un écosystème qui comprend de nombreuses professions libres, notamment des professionnels, des autoentrepreneurs et des artistes) n'ont pas été en mesure de satisfaire leurs modestes besoins de la vie quotidienne depuis sept mois, malgré les quelques aides. N’étant pas autorisés à reprendre leurs activités comme tous les autres secteurs, un trou abyssal s’est creusé et continue de se creuser dans leur revenu.
 
Rien n’est plus difficile que d’indiquer, avec précision, le nombre de manifestations qui ont poussé leur édition 2020 aux calendes grecques. Il y en a qu’on annonça avec tambour et trompettes, mais qui ont juste fait un tour puis s'en sont aallées. D’autres, qu’on croyait de santé robuste, se sont mises à dépérir avant de s’évanouir. Sans compter celles maintenues «en distanciel» qui sont des morts en sursis.
 
Depuis le jour de l’interdiction des rassemblements, l’événementiel est plongé dans un trou noir et dans une cauchemardesque année blanche. Plus de concerts, ni de festivals, même à jauge humaine. Douloureuse année pour plusieurs manifestations, dont les promoteurs ont été obligés, soit de revoir leurs ambitions à la baisse, soit carrément de ne pas tenir leur festival, en attendant des jours meilleurs. La sidération se mêle à la frustration.
 
L’association EAC-L’Boulevard, qui a eu l’audace de jeter son dévolu sur la culture et musique actuelle, accuse indubitablement un déficit. Les moyens dont elle dispose – étant déjà modestes – ont considérablement rétréci cette année. Or, ce qui était à craindre aussi, l’annulation de l’édition 2020 de son festival L’Boulevard – qui tourne autour d’une fourchette de 8 MDH- a entraîné l’arrêt des activités du centre de musique actuelles : le Boultek, à savoir les concerts, répétitions et résidences, sont également à l’arrêt.
 
Dans une interview passée avec Merhari Mouhamed, le directeur et l’un des fondateurs, on apprend que «les bénéfices du festival sont injectés dans d’autres projets, dont ‘Sbagha Bagha’ qui est complètement supporté par l’association financièrement. Le Boultek a également besoin d’un budget de fonctionnement. Nous avons une dizaine de salariés, 850 m2 à entretenir, avec le matériel et tout ce qui suit. Le budget du festival sert à financer, en outre, toutes les activités de l’association: les formations, les master class…tout le tralala que nous faisons au cours de l’année». Ainsi, sans le festival ils ne pourront pas faire grand-chose. Ou rien !
 
Souvent le premier grand festival de l’été au Maroc, Gnaoua et Musiques du monde réunit plus de 500.000 mélomanes à Essaouira. Il ne faut pas nier que sa création a été pour beaucoup dans la renaissance de la ville, d’autant que son incidence sur l’économie est notable. Le festival est très important.
 
Une étude réalisée il y a quelques années démontre que chaque dirham investi par le festival, en génère 17 dirhams pour la ville. Annulé, la ville survivra-t-elle à pareille mésaventure ? Rien n’est moins sûr. Sans le festival d’Essaouira et quelques événements – en dehors des lila – les «Gnaoua» se retrouvent marginalisés en dépit de la reconnaissance par l’UNESCO en tant que patrimoine immatériel. «Comment un héritage national, qui a reçu une reconnaissance internationale, n’occupe pas sa juste place dans son pays ?», s’insurge Neila Tazi, femme à multiple casquettes (fondatrice et présidente de «A3 Groupe», parlementaire et présidente de la Fédération des industries culturelles et créatives), lors d’une intervention à la Chambre des conseillers. Le génie est sorti de la bouteille, et nul ne sait vraiment si on pourra l’y remettre quand tout cela sera fini.
 
Sinon, en maintenant son édition 2020, on se demande par quel miracle Visa For Music est parvenu à tirer son épingle du jeu, lui dont le viatique – cette année – est certainement restreint. Disons-le sans détour, Visa For Music sera frappé là où ça fait mal : au porte-monnaie, tant leurs pourvoyeurs de fonds se feront rares à cause de cette crise. «Nous savons que quelques-uns ont des difficultés financières», souligne son fondateur, Brahim El Mazned. C’est dire que les argentiers sont un élément vital dans le schéma financier d’une manifestation musicale.
 
Et à la question : dans quelle mesure leur structure a-t-elle subi les conséquences de la crise ? Il souligne que «bien entendu, nous n’avons pas été épargnés. Néanmoins, Anya, la société que je dirige, qui est organisatrice et productrice de Visa For Music, a différentes activités, toutes dans le secteur de la musique. Plusieurs événements sur lesquels nous travaillions ont été suspendus».
 
La question de la survie du secteur est clairement posée, parce que ses structures sont chaînées les unes aux autres, ce qui fait que quand l’une d’elles trébuche ou met un genou à terre, toutes les autres suivent. Le constat prévient d'ores et déjà des conséquences sur l'année 2021 : d'une part, la disparition des financements ou du moins quand le ministère de la Culture songera à donner un coup de main, il se montrera chiche; les organismes sur qui reposent nombre de projets n'étant probablement pas prêts à investir leur argent dans ce secteur. 
 
«Mais nous espérons que les événements culturels bénéficieront d’accompagnement de la part du gouvernement et des partenaires publics et privés », souhaite Brahim El Mazned. D’autant que le secteur a un rôle à jouer. Certes, à condition qu’on l’écrive dans le sens d’un grand rééquilibrage des ressources. Les priorités doivent être redéfinies.
 
Voilà trop longtemps qu’on affiche la volonté de faire de la culture une priorité absolue, tout en faisant exactement le contraire. Le politique doit faire la synthèse. 
 
Un calendrier catastrophique en tout cas pour ce secteur – parmi les premiers à avoir été touché, et sans doute le dernier qui entreverra l’horizon, au loin, «la possibilité d’une île».
 
 
Par R.K.H

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