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Addictions aux jeux: La descente aux enfers des enfants

Addictions aux jeux: La descente aux enfers des enfants

Par Docteur Imane Kendili
Psychiatre et addictologue 

Durant plus de quinze années de travail en tant que psychiatre et addictologue, j’ai été amenée à voir comment les drogues, dans toutes leurs variétés,  détruisent la vie des gens. Au-delà des destins brisés, des couples anéantis, des divorces par milliers, d’hospitalisations à répétition, de chutes et rechutes ; au-delà des tentatives de suicide, des suicides, de la mort et des chemins de non-retour, ce que je vois aujourd’hui me semble un palier encore plus dangereux franchi dans les addictions au Maroc. Il s’agit des jeunes, des enfants, à partir d’un âge précoce qui sont pris dans les terribles pièges sinon des drogues, du moins dans ce que l’on appelle aujourd’hui d’un nom racoleur : le gaming.  Des milliers, pour ne pas dire des millions d’enfants marocains sont aujourd’hui en proie aux jeux. Des consoles, des tablettes, des téléphones soi-disant intelligents, des ordinateurs, des écrans partout pour assomment les enfants avec des jeux qui rendent addict très vite. Les jeunes, même à partir de six ans, ont aujourd’hui entre les mains ces gadgets qui perturbent fortement leur croissance psychologique et cognitive, à plus d’un égard. Toutes les études faites depuis plus de vingt ans versent dans le même sens. Quand on se penche sur les conséquences de l’addiction au jeux vidéo, on peut tout d’abord citer les troubles de l’attention : le fait de jouer de manière excessive crée une stimulation constante et dérègle le système de récompense. Les adolescents deviennent ainsi moins résistants à l’ennui, et sont susceptibles de présenter des troubles de l’humeur : anxiété, dépression, agressivité allant jusqu’aux extrêmes avec des violences accrues contre soi et contre les autres.  Pour de nombreux spécialistes, le jeu addictologique peut faire ressortir de certains enfants des instincts criminels avérés. Dans ce sens, je me réfère à l’analyse faite par un grand spécialiste du crime, Stéphane Bourgoin, dans son enquête mondiale sur les tueurs en série, parue chez Grasset.   Pour le spécialiste : «C’est un trait dominant chez ces meurtriers [les tueurs de masse]. Ils sont fascinés par des jeux vidéo violents comme World of Warcraft. Ces jeux consommés à haute dose provoquent une désensibilisation par rapport à l’acte criminel. Dans d’autres jeux, pour franchir les différents niveaux, il faut parfois tuer un policier ou une femme enceinte. Celui qui joue est par définition acteur, il n’est pas passif. Certains jeux japonais, accessibles gratuitement en ligne, permettent d’incarner un violeur en série. Le joueur devient un participant actif et exprime ses fantasmes. Là, c’est le véritable danger».  On le voit bien, pour les spécialistes, les choses sont simples. Voici quelques signes qui permettent de reconnaître une addiction potentielle : le temps passé important, c’est-à-dire plus de 3 heures de jeu par jour, et qui entrave les autres activités. Une réduction des relations sociales dans la vie «réelle». Un isolement accru. Des conséquences négatives sur le sommeil, l’alimentation, le travail scolaire. Une souffrance psychique en lien avec la pratique des jeux vidéo : par exemple une agressivité lorsqu’il est demandé à l’adolescent de s’arrêter de jouer. Il faut aussi ajouter à tout ceci l’abandon scolaire, le refus catégorique d’aller en cours, l’enfant ayant été pris dans les rets de l’isolement et ne peut plus faire aucun effort pour être en société, avec des enfants de son âge et surtout il perd toutes ses capacités à suivre des cours et à étudier. Les exemples sont très nombreux au Maroc, toutes couches sociales confondues, où des enfants ont été jusqu’à menacer leurs parents d’attenter à leurs vies s’ils les obligent d’aller à l’école. C’est dire tout le danger de ces jeux qui dérèglent complètement les mécanismes psychiques et comportementaux des enfants. Dans  ce sens, on donne raison à cent pour cent à l’assertion de Glenn Beck qui dit que «Nos fils et nos filles deviennent insensibles au bien et au mal (…). Les jeux vidéo sont une drogue pour nos enfants, mais au lieu de s’envoyer en l’air, ils se plongent dans la torpeur, leur cœur devient indifférent et ils ne sont plus capables de distinguer la fiction de la réalité. C’est un fait médical, ce n’est pas une théorie délirante». En effet, toutes les études sérieuses accusent la prolifération de ces armes de destruction  massive qui ruinent des vies irréversiblement. Au Maroc, ils sont très nombreux tous ces enfants qui trainent chez eux, sans se laver, pieds nus, le regard hagard, les yeux cernés à un âge précoce, en colère, criant pour un oui ou pour un nom, parlant très mal à leurs parents, violents avec leurs frère et sœur et avec le personnel à domicile. Ils ne veulent pas manger ou alors de la Junk Food, trop sucrée et trop salée, se cachant dans des coins pour jouer en hurlant comme s’ils étaient en guerre. Dans ce sens, Ingrid Carlander, dans son ouvrage, intitulé : « La drogue des jeux vidéo, paru déjà en 1993 alertait sur les dangers à venir :  «Votre enfant roule et tangue, halluciné, l’œil collé à l’écran de sa console de jeux vidéo. (...) « Kill ! shoot ! cogne ! », hurle l’enfant ; son dos lui fait mal comme celui d’un vieillard, ses yeux le brûlent. Fait-il son apprentissage de serial killer dans un coin de sa chambre ? Va-t-il être victime d’une crise d’épilepsie ? Est-il un mutant prisonnier d’un monde qui fait peur aux adultes ? Il existe quarante millions de drogués de la manette et du joystick (…). Dans un lycée du Gers, les amateurs sont aussi avertis qu’enthousiastes. Mickaël : « Je peux jouer quatre heures d’affilée, mais l’animation très rapide fait mal aux yeux et je m’énerve souvent ! Mais c’est bon pour mes réflexes. » Gregory et Riad : « On se défoule ; mais, si ça dure, on s’énerve parce qu’on veut toujours gagner. » Mustapha, grand utilisateur : « Terminator, c’est super quand il tue tous les autres. » Sabir, Arnaud, Valérie expriment des critiques bien précises : certains jeux sont « débiles ». Si on ne sait pas s’arrêter à temps, il y a danger. Quand on reste collé à l’écran, on est tout seul, on ne communique plus. Ils avouent connaître des élèves qui se lèvent la nuit pour jouer, échec scolaire à la clé. (…) Le moins qu’on puisse dire, remarque avec humour un psychologue américain, le docteur Jackson, c’est que l’enfant n’a pas trop l’occasion d’apprendre sur son écran l’art de la diplomatie ou les techniques de négociation. Violence programmée ? Qu’on se rappelle la rumeur qui courut lors du drame de la maternelle de Neuilly : « HB », le preneur d’otages, serait devenu fou en jouant à Super Mario sur console vidéo…». Cela se passe de commentaire tant les descriptions apportées ici sont criardes de sens. Au Maroc, de nombreux élèves ont frappé leurs enseignants après avoir tabassé leurs collègues . D’autres ont sorti des armes blanches en classe pour menacer les autres enfants : «Mon fils a menacé son père avec un couteau de cuisine parce qu’il lui a arraché sa console des mains et lui a interdit de jouer. Dans  ses yeux, j’ai vu une colère qui m’a terrifiée», confie cette maman, qui tente tout pour sauver son enfant de 13 ans.  Face à tout ceci, on remarque une recrudescence des publicités incitant les gens à jouer à des jeux même très violents sur des chaînes de télévision. Jouer, gagner, massacrer l’ennemi, parier en ligne, devenir un pro des jeux. Ce sont là des réclames criminelles qu’il faut combattre et condamner. Il n’y a plus là aucune limite face aux gains et au profit, surtout au dépens de nos enfants.

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