Abdelhak Najib
Écrivain-journaliste
Ils sont grands, ces Marocains. Ils sont fiers. Ils savent rester dignes quand le mal s’abat, quand le sort s’acharne. Ils ne ploient pas sous la lourdeur des intempéries. Ils tombent et se relèvent. Ils retombent encore et encore et ils se relèvent toujours. Comme les arbres, le Marocain préfère mourir debout. Face à leurs responsabilités, ils prennent leur destin en main et ils vont au charbon. Ils se mouillent pour leur pays. Ils risquent leur vie pour leur nation.
Ce grand Stefan Zweig avait un jour écrit ceci de très vrai : «Presque toujours, la responsabilité confère à l’homme de la grandeur». Et nous y sommes, face à la responsabilité citoyenne de répondre présent quand les temps l’exigent. Nous y sommes devant l’impératif humain d’être solidaire de l’autre, dans le mal, face au pire étant convaincus que la grandeur des actions humaines se mesure à l'inspiration qui les fait naître. Et celle-ci est tellurique, sismique, dévastatrice, mais elle a généré un élan humain qui confirme la force de cohésion de cette société marocaine qui fait aujourd’hui montre d’un sens aigu de l’humanité et d’un devoir moral d’une grande rigueur. Mais aussi dans la vérité profonde d’un peuple uni, car il n'y a pas de grandeur où il n'y a pas de vérité. Et la nôtre aujourd’hui, face à la dévastation de ce séisme, c’est que si le tremblement de terre a fait tomber les pierres et raser des murailles, il a ancré cette vérité sans ombre, celle des hommes qui n’abdiquent jamais, qui sont dur au mal, ceux qui acceptent l’horreur dans la résilience.
Oui, ils sont magnifiques, ces Marocains. Ils ont le cœur sur la main quand il faut venir en aide aux autres. Ils font preuve d’une profonde prise de conscience de la gravité de cette catastrophe qui frappe le pays. Et cela se vérifie toujours quand le Maroc est secoué profondément, soit par une crise, soit par la pandémie, soit par une catastrophe naturelle comme le séisme d’Al Haouz qui a fait près de 3.000 morts et plus de 6.000 blessés. Le peuple, toutes couches sociales confondues, a fait preuve, encore une fois, d’une grande force de cohésion et d’une solidarité à toutes épreuves. Spontanément, depuis vendredi, dans la nuit du 8 au 9 septembre 2023, des millions de personnes se sont rassemblées et mobilisées pour apporter leur aide et leur soutien aux sinistrés, victimes du tremblement de terre. De Casablanca, Rabat, El Jadida, Salé, Kénitra, Larache, Assilah, Tanger, Tétouan, Fès, Meknès, Béni Mellal, Taza, Oujda, Agadir, Safi, Essaouira, Tan Tan, Laâyoune, Dakhla… et ailleurs, ce sont des centaines de convois qui convergent vers la région de Marrakech-Taroudant, avec des vivres, des provisions, de l’eau en grande quantité, des habits, des couvertures, des médicaments…
«Les victimes sur place ont tout perdu sauf leur dignité. Au cœur des ruines, pieds nus, la faim au ventre, sans sommeil, éreintés et meurtris attendent dignement qu’on leur distribue les provisions. Ils prennent ce dont ils ont besoin et donnent le reste à ceux qui ont besoin dans une grande solidarité qui fait le lit des relations humaines dans ces villages et douars», souligne ce médecin marocain de Casablanca, qui a mené un convoi de plusieurs véhicules vers les villages de Imegdal, Ouirgane, Ijoukak et d’autres patelins gravement touchés par les fortes secousses. Ils sont des dizaines de médecins qui ont décidé d’aller sur place servir leurs sœurs et frères. Ils sont nombreux toutes ces volontés marocaines qui ont pris sur elles la responsabilité d’être au chevet des leurs, pour les aider à traverser cette terrible épreuve, pour les soutenir, pour leur dire qu’ils ne sont pas seuls, mais que tout le monde pense à eux et veut leur venir en aide. Très vite et durant toute cette semaine, ce sont des coups de fil qui ont été passés, ce sont des contacts qui ont été établis, ce sont des collectes de matériel médical qui ont été mises sur pied pour faire le nécessaire sur place. Chacun à sa mesure, chacun selon ce qu’il peut faire, les Marocains se sont donné le mot pour s’entraider face au drame.
Sur les routes, ce sont des milliers de véhicules, camions, camionnettes et voitures, chargés à bloc à destination de la région. Le tout, avec un seul mot d’ordre : aider nos concitoyens, les supporter, les soutenir et leur apporter toute l’aide humaine dont ils ont besoin. Ce sont là des actions humaines spontanées qui montrent à quel point les humains peuvent être grands quand ils le sont intrinsèquement, quand ils ont des valeurs, quand ils ont été élevés dans le respect et l’estime les uns des autres. Comme le répétait Socrate : «La première clé de la grandeur est d'être en réalité ce que nous semblons être».
Peuple uni, nous l’incarnons. C’est cela la grande force de ce pays.Cet élan de grandeur est transcendé sur les lieux du drame, là où la mort a frappé, là où les cœurs sont déchirés et brisés par la douleur et la souffrance. Là où il n’y a plus rien que la droiture des hommes et des femmes qui acceptent le destin et qui avancent. Oui, sur place, les secouristes sont à pied d’œuvre.
L’armée est là, avec des équipements solides, avec un grand renfort des hélicoptères pour sauver et transporter vers les hôpitaux des rescapés et pour acheminer des produits de première nécessité dans ces zones montagneuses lourdement frappées. Dans ce concert d’aide, tout le monde participe. D’abord les autochtones, les enfants du terroir, qui se connaissent tous entre eux. Les habitants des douars se soutiennent entre eux dans une entente qui défie l’entendement surtout quand on voit des personnes qui ont tout perdu, maison et famille, partager ce qu’elles ont avec leur voisin du douar à côté, comme ce jeune homme, qui a enterré parents, femme et enfants, resté seul, et qui a convié les visiteurs à prendre un thé, lui qui n’a plus rien, même pas de chaussures aux pieds. Une véritable leçon d’humanité chez des citoyens marocains dotés d’une grande force mentale et d’une extrême dignité surtout face au mal et à la douleur de cette terrible tragédie.
C’est là, dans ces instants, face aux décombres, face à l’anéantissement de tout que l’on vérifie cette phrase du sage Périclès : «Toutes les bonnes choses de ce monde affluent dans la cité en raison de la grandeur de la cité».