Il y a quelque chose de profondément regrettable quand on observe toutes les mutations sociales qui ont touché la société marocaine, ces dernières années. Il y a une telle déperdition de la sacralité de certaines traditions que l’on est intrigué par le pourquoi d’une telle distanciation avec ce qui, jadis, faisait, dans une large mesure, une sorte de ciment social, comme c’est le cas avec la fête de la naissance du prophète, Mohammed.
Abdelhak Najib
Écrivain-journaliste
Ce qui est curieux, c’est que les uns et les autres s’empressent à vous matraquer de messages pour vous souhaiter une bonne fête, avec des images, des icônes et des émoticônes.
Mais dans la vraie vie, loin des façades digitales, rien n’est vrai. Pas le moindre sentiment de fête ne transparaît chez les uns et les autres. Très rares sont ceux qui, aujourd’hui, ressentent encore le besoin de vivre cette journée comme une véritable journée de célébration religieuse et spirituelle. Les gens ne font même pas semblant. C’est un jour comme un autre. Et nous n’allons même pas verser dans les comparaisons tendancieuses avec le nouvel An chrétien et tous les préparatifs, entre alcool, drogues et autres permissives de circonstance. Chacun vit sa vie comme il l’entend, mais le phénomène nous intéresse dans ses ramifications psychosociologiques, à plus d’un égard.
Quand une fête religieuse revêt un aspect boulimique comme la fête du mouton, là, les manifestations de façade sont infinies et ostentatoires. Avec ce zest païen, incarné par le feu, la vision du sang, dans des saturnales hybrides, mais qui ont un ancrage au cœur de la société marocaine. Au-delà de la boustifaille, la fête dans sa mesure spirituelle est presque inexistante aujourd’hui au Maroc. C’est le cas aussi de l'Aïd al-Fitr, après un mois de Ramadan où, encore une fois, les impératifs du ventre l’emportent sur le recueillement et la ritualisation de la foi.
Pour cette fête d’Al Mawlid, même les petits déjeuners en famille ont été largement abandonnés. Les repas à caractère symbolique aussi. Les retrouvailles avec les grands-parents et les voisins et connaissances n’ont plus droit de cité.
Demeure une forme de grande hypocrisie sociale exacerbée par le prisme des réseaux sociaux qui diffusent des contenus de célébration sur une fête qui, dans la réalité, n’a pas eu lieu. D’un point de vie sociologique, cette lecture montre à quel point les Marocains, dans leur majorité, ont profondément changé. Un changement d’ancrage et d’identité qui a cédé la place à une forme de vacuité spirituelle, qui vide le tissu social de ses nœuds gordiens.