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Divorce au Maroc /Droit de garde et de tutelle : Les enfants à la croisée des chemins

Divorce au Maroc /Droit de garde et de tutelle : Les enfants à la croisée des chemins

Entre 2004, année d’entrée en vigueur de la Moudawana, et 2021, le nombre de divorces prononcés au Maroc a enregistré une hausse significative, en passant de 7.213 à 135.724 cas.

Ceux qui paient le plus lourd tribut sont les enfants, qui subissent les affres d’une séparation déchirante et d’un cadre juridique qui relègue leurs intérêts au second plan.

 

Par M. Ait Ouaanna

Lorsque le mariage fait naufrage, les enfants sont à la dérive ! Il s’agit d’un fait avéré : le divorce est un jeu d’échecs et les enfants sont les pièces qui en souffrent. Une peine qui se fait plus intense quand cette séparation est encadrée par une architecture législative qui accorde un soutien indéfectible au patriarcat.

Au Maroc, c’est clairement le cas, puisqu’en 2023, une femme divorcée doit d’abord obtenir l’accord de son ex-mari avant de, par exemple, pouvoir opérer son enfant en urgence, lui changer d’école … Et ainsi de suite. Au fil de ces dernières années, le divorce est devenu monnaie courante au Maroc. Les chiffres sont éloquents : rien qu’en 2021, 135.724 cas de divorce ont été enregistrés, soit le plus haut niveau jamais observé depuis l’introduction en 2004 de la Moudawana (Code de la famille).

Passant de 7.213 en 2004 à 28.232 en 2005, puis 31.085 en 2009, 44.408 en 2014, 55.470 en 2019 et 76.936 en 2020, les chiffres relatifs au divorce préservent depuis près de 19 ans leur tendance haussière, soutenue par l’allègement des procédures de divorce, notamment en accordant aux femmes le droit de le demander.

 

Une loi à la traîne de l’évolution sociale

Perçu comme une porte de sortie pour échapper aux conflits conjugaux, le divorce ouvre la voie à de nouvelles tensions qui mettent les enfants ainsi que leurs intérêts entre le marteau et l’enclume. Considéré comme étant en décalage par rapport aux nouvelles tendances de la société marocaine, le Code de la famille est à l’origine de ces tensions, suite notamment aux dispositions relatives à la garde des enfants et à la tutelle légale. Malgré les progrès significatifs, l’idéal de la parité homme-femme est encore loin d’être atteint en ce qui concerne la Moudawana. Selon les militants associatifs, l’amendement du Code de la famille s’impose aujourd’hui comme un impératif, de telle sorte qu’il soit aligné avec la Constitution de 2011 qui reconnaît, plus précisément dans son article 19, le principe d’égalité des sexes.

«La Moudawana de 2004 était une très belle révolution pour le Maroc, puisqu’auparavant la femme ne pouvait pas divorcer; elle était plutôt répudiée, mais grâce à cette réforme, elle a désormais le droit de demander le divorce et peut l’avoir même sans le consentement de son mari, à travers la procédure de Chiqaq (divorce pour raison de discorde). Mais aujourd’hui, ce Code doit être revu conformément à la Constitution de 2011, car il y a 19 ans, le législateur n’avait pas le recul nécessaire pour constater que les incidences législatives et judiciaires du divorce sur les enfants peuvent être très préjudiciables et qu’il aurait donc fallu prévoir une législation moderniste», affirme Khadija El Amrani, avocate en droit des affaires et droit de la famille et présidente de l'association W-Lady qu’elle a fondée en s’appuyant sur son propre vécu.

 

Se remarier ou garder ses enfants : Le dilemme cornélien

De nombreuses femmes divorcées se sont retrouvées dans ce même bateau : en décidant d'entamer une nouvelle vie en se remariant, l’avocate a été privée de la garde de ses enfants. Dur à avaler, mais c’est ainsi, et c’est l’article 174 de la Moudawana qui le dit. Il ressort en effet de cet article que le mariage de la mère chargée de la garde de son enfant autorise son ex-conjoint à intenter une action judiciaire pour la déchoir de ce droit dès que l’enfant atteint l'âge de 7 ans. Un fait dénoncé par les militants associatifs comme l’une des injustices les plus flagrantes du Code de la famille.

«J’ai créé l’association W-Lady en 2019 sur la base de ce que j’ai moi-même traversé en perdant la garde de mes enfants suite à mon remariage; un évènement en raison duquel on m’a appliqué les dispositions des articles 173 et 174 du Code de la famille qui prévoient que le remariage de la mère lui fait perdre la garde, au moment où le remariage du père ne le prive pas de ce droit», souligne maître Khadija El Amrani, qui précise que «W-Lady a vu le jour suite à une souffrance personnelle, mais aussi à une volonté de rompre avec le mimétisme sociétaire qui nous force à endurer en silence».

 

 

Et de poursuivre : «A travers cette association, je me suis engagée à lutter contre les inégalités en matière des droits parentaux en demandant notamment une réforme et une relecture, à la lumière des temps modernes, du Code de la famille. Rappelons que dans son discours prononcé le 30 juillet dernier à l’occasion de la fête du Trône, SM le Roi Mohammed VI, que Dieu l’assiste, qui d’ailleurs accorde depuis le début de son règne une attention particulière à la femme marocaine et à son enfant, a appelé à la refonte dudit code et je reste convaincue que nous pouvons faire une Moudawana conforme aux valeurs universelles et à notre religion», assure-t-elle. Un autre point relatif à la garde suscite l’ire des activistes des droits des femmes et des enfants  : il s’agit de l’article 184 du Code de la famille. Ce dernier dispose que «le tribunal prend toutes mesures qu’il estime appropriées, y compris la modification de l’organisation de la visite ainsi que la déchéance de la garde en cas de manquement ou de manœuvres frauduleuses dans l’exécution de l’accord ou de la décision organisant la visite». Cela signifie qu’il est possible de contester le droit de garde lorsque l’époux exerçant le droit de visite se prévaut de trois entraves à son exercice. Une situation, qui selon les militants associatifs, permet de créer des occasions de contournement. «Il s’agit d’un article très pénible. Lorsque l’huissier de justice établit trois procès-verbaux (PV) attestant que la maman n’a pas donné au père les enfants le dimanche, celle-ci risque de perdre la garde. Et malheureusement, il y a beaucoup de manigances en jeu, certains papas vont même jusqu’à acheter des PV pour obtenir la garde des enfants», alerte l’avocate.

 

Quand l’ex-mari dit non, c’est NON !

Ce n’est que la face visible de l’iceberg. Le Code de la famille édicte d’autres dispositions qui ne manquent pas de porter préjudice à la vie des enfants de divorcés. Tandis que l’article 4 de la Moudawana dispose que le mariage est un pacte basé notamment sur la fondation d’une famille dirigée par les deux époux, l’article 230 de ce même texte accorde au père, en priorité et de façon automatique, la tutelle légale de ses enfants; une situation qui reste bien évidemment immuable en cas de divorce. Ainsi, afin de demander un passeport pour son enfant, lui ouvrir un compte bancaire, l’inscrire dans une nouvelle école…, l’accord du père demeure indispensable.

«Il est inconcevable qu’une mère ait uniquement la garde, puisque sur le plan administratif, seule l’institution du tutorat légal vous permet de prendre les décisions stratégiques pour votre enfant. Je ne suis ni pour le patriarcat ni pour le matriarcat, je suis pour l’application des valeurs et de la logique universelle qui a marché dans la majorité des pays. Je trouve donc illogique de donner l’exclusivité de la garde à la mère et celle du tutorat légal au père. Je suis pour une garde partagée et je reste persuadée que le tutorat légal doit être accordé au parent qui assure la garde, puisque les deux vont de pair», insiste maître El Amrani, précisant que ces dispositions sont aujourd’hui «complètement caduques» et ont montré leurs «défaillances civiques et civiles».

Notons par ailleurs qu’une mère divorcée ne peut obtenir la tutelle légale de son enfant que dans trois cas, à savoir le décès du père, son absence ou son incapacité. Encore faut-il que ce dernier n’ait pas désigné un tuteur testamentaire, car comme l’indique l’article 237 du Code de la famille, le père a le droit de nommer, par testament, un tuteur légal pour ses enfants, autre que la mère.

 

La psychologie des enfants à l’épreuve

Le divorce des parents fait de la vie des enfants un chemin semé d'embûches, surtout quand le cadre législatif peut les priver de plusieurs droits, ce qui par conséquent provoque souvent des effets délétères, notamment sur la santé mentale. C’est d’ailleurs ce que confirme Dr. Hafsa Abouelfaraj, psychiatre et psychothérapeute : «Lorsque les parents se séparent, la désillusion est un sentiment souvent ressenti. Les enfants idéalisent en effet la relation entre leurs parents et peuvent se sentir totalement désemparés quand ces derniers décident de divorcer. Cela remet en question leur schéma familial et toutes leurs habitudes au quotidien». Selon cette praticienne, le divorce peut rapidement provoquer de l’anxiété chez les enfants, particulièrement chez les plus jeunes, ce qui impacte leur parcours scolaire.

«Les petits sont de vraies éponges qui absorbent tous les sentiments négatifs observés dans leur entourage. Stress, anxiété, dépression, manque de confiance en soi, toutes ces conséquences directes du divorce peuvent ensuite entraîner un échec scolaire de l’enfant. Les enfants de divorcés peuvent aussi représenter une irritabilité récurrente, même avec leurs proches, ainsi que des sautes d’humeur». Sur le long terme, Dr. Abouelfaraj souligne que le divorce peut être à l’origine de comportements violents ou turbulents de la part de l’enfant, ou d’une tendance à la rébellion, ce qui pourrait même nécessiter une thérapie.

«Dans certains cas, il est important de solliciter l'intervention d'un spécialiste pour faire une évaluation clinique et garantir une prise en charge adaptée en fonction de l’état clinique, notamment une thérapie de soutien ou une thérapie spécifique», note-t-il. In fine, la psychiatre insiste sur la nécessité de prendre le problème à la source et de faire en sorte que la séparation se déroule dans les meilleures conditions, soulignant que trois facteurs semblent aider les enfants à s’adapter à la situation, à savoir le maintien de liens solides avec les deux parents, la préservation de la capacité parentale ainsi qu’une exposition minimale au conflit.

 

Pour une Moudawana respectueuse de la parité
Dans son plaidoyer présenté le 15 juin 2022 au Parlement suite à une demande du Parti du progrès et du socialisme (PPS), l’avocate et présidente de l’association W-lady, Khadija El Amrani, propose, entre autres :
• En ce qui concerne la garde, de permettre au père, au cas où son ex-conjointe se remarie, de demander la garde partagée afin de ne pas déchoir la mère de ce droit.
• Dans le cadre de la demande de divorce, d’accorder au père le droit de demander la garde partagée même lorsqu’il s’agit d’un Chiqaq, parce que l’enfant a besoin de ses deux parents et que les deux doivent s’investir dans son éducation.
Les articles 183, 184 et 185 de la Moudawana doivent être abrogés et remplacés par des articles logiques, qui reconnaissent le principe de la parité homme-femme.
• Concernant le tutorat légal, cette institution doit également être partagée entre les deux parents. En cas de désaccord, c’est au parent chargé de la garde de trancher afin d’éviter les situations d’abus de patriarcat.
• Pour ce qui est de la pension alimentaire, il est essentiel de soumettre le dossier d’évaluation de la pension à un expert qui, lui, convoque les deux parents et s’assure de leurs revenus et de leur patrimoine, afin d’établir un rapport d’expertise qui va déterminer les besoins de l’enfant.
• Par rapport au droit de visite, celui-ci doit être prorogé pour le papa, parce qu’actuellement un père qui divorce a uniquement le droit de visite du dimanche, ce qui est complètement insuffisant.

 

 

 

 

 

 

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