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Entre la norme et la normopathie

Entre la norme et la normopathie

«Moins ils ont de talent, plus ils ont d’orgueil, de vanité, d’arrogance. Tous ces fous trouvent cependant d’autres fous qui les applaudissent». Érasme avait bien sondé les tréfonds de la société humaine. Sans compromis. Ces paroles résument de façon implacable le monde où nous essayons de vivre aujourd’hui, avec tous ces esprits étriqués, et dans une large mesure, lobotomisés, qui inondent le temps et l’espace de miasmes et autres débilités bien corsées. 

 

Abdelhak Najib
Écrivain-journaliste

 

Cette inclination systématique à l’imbécilité est sous-tendue par ce terrible besoin de reconnaissance. Tout le monde veut devenir quelqu’un d’autre, quitte à se mentir une vie durant, évoluant dans des voies parallèles à ce qu’il aurait pu être et surtout devenir. 

Hervé Bazin avait la phrase juste pour décrire cet état de fait : «Les gens ont soif de considération bien plus que de mérite». Plus personne ne veut apprendre, apprendre encore, s’appliquer, essayer, échouer, échouer plusieurs fois, tomber, se relever, tomber encore, se tromper, s’égarer, perdre pour espérer un jour être à la hauteur de sa propre expérience dans cette existence, parce qu’on y a laissé tant de plumes et tant d’illusions. Pire, les uns comme les autres veulent vivre dans l’illusion sans s’occuper de leurs désillusions à chaque instant qu’ils évitent les miroirs des jours qui leur réfractent des images déformées de leurs mensonges à eux-mêmes. Mais, le propre de l’humain est de s’accommoder de ces mensonges et d’en vouloir à la vie qui finit toujours par lui ôter tous ses masques. «L’homme est un animal qui ne peut être endoctriné que par la cruelle expérience», disait Casanova. Ce connaisseur des âmes humaines dit bien endoctriné et non renseigné ou mis au fait de l’existence. Car la nuance est immense entre celui qui encaisse la vie et se fait une raison et celui qui agit sur sa trajectoire et lui imprime des choix, nés de prises de risque, des essais quitte à les rater pour se dépasser, aller au-delà de ce qu’il peut endurer, supporter, assumer. 

Pourtant, la société s’acharne à dénaturer les gens, à les rendre faux, à les faire dévier de ce qu’ils peuvent devenir. Dans cette logique terrible du monde où l’on évolue, la méthode la plus infaillible pour corrompre les gens et surtout les jeunes qui débutent dans la vie et qui veulent tenter l’existence, est de leur inculquer de tenir en haute estime ceux qui pensent comme tout le monde au lieu d’estimer ceux qui pensent à contre-courant et pour eux-mêmes. Cette normalisation de la pensée similaire est une normopathie incurable. Elle est pire qu’un cancer qui métastase. Elle bouffe l’organisme, ronge et détruit l’esprit. Quant à l’âme, elle s'annihile. Pourtant, tout le monde doit savoir que «la principale fonction de l’homme n’est pas de manger, mais de penser. Sans doute qui ne mange pas meurt, mais qui ne pense pas rampe : et c’est pire», écrivait Victor Hugo. Mais il faut se résoudre à cette loi infaillible des sociétés humaines qui font tout usant de tous les rouages et de toutes les stratégies les plus retorses pour détourner l’homme de penser pour lui-même et d’avoir une vision propre de ce qu’il expérimente dans cette existence. La société travaille les hommes au corps et finit par en faire des organismes téléguidés qui bouffent, qui se remplissent la panse, mais qui fuient toutes les nourritures spirituelles. La société fabrique en série des entités qui signent à blanc pour être menés à l’abattoir. Les gens ne veulent ni penser, ni réfléchir, ni agir. Ils préfèrent se soumettre, suivre, obéir. Regardez autour de vous, vous allez vous rendre compte, si vous y réfléchissez bien, que la majorité des gens occupe des emplois qu’ils n’aiment pas, pour acheter des choses dont ils n’ont pas besoin, pour paraître devant des gens qu’ils méprisent. Pourtant, ils sont tous capables de passer une vie durant à le faire, à répéter le même schéma, sans répit. Pour quelle fin ? Arthur Schopenhauer nous propose un début de réponse en disant que «La vie est une oscillation constante entre l’envie d’avoir et l’ennui de posséder». 

Au cœur de cet ennui, la vie se meurt. Mais elle agonise sans prise de conscience, telle une fatalité. Pourtant, la vie devrait nous enseigner à tous que plus une personne est consciente des réalités de la vie, plus elle est susceptible de ressentir de la tristesse, car très souvent la tristesse est causée par l’intelligence, comme le disait Anatole France. Mais là, encore une fois, l’intelligence fait peur. C’est un épouvantail dans un monde d’imbéciles. Car, comme le disait Fédor Dostoïevski, «La tolérance atteindra un tel niveau que les personnes intelligentes seront interdites de toute réflexion afin de ne pas offenser les imbéciles». Et nous y sommes de plain pied. Et ce n’est que le début d’une plongée sans garde-fou dans un monde de plus en plus stupide, un univers où les imbéciles, toutes catégories confondues, prennent leur revanche sur leurs existences ratées.

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