En septembre dernier, le Maroc a été le théâtre d'une série d'événements liés à l'immigration irrégulière, en particulier dans la ville de Fnideq, située près de la frontière avec l'Espagne. Des centaines de migrants motivés par des posts circulant sur les plateformes sociales ont tenté une migration collective vers l’enclave occupée de Sebta.
Par M. Boukhari
Les événements survenus le 15 septembre au Maroc ont fait couler beaucoup d’encre aussi bien à l’échelle nationale qu’internationale. Des appels massifs ont circulé sur les réseaux sociaux, incitant de nombreux migrants à tenter de rejoindre l’Espagne en traversant la mer Méditerranée depuis Fnideq. Si ces incidents ont soulevé plusieurs questionnements autour des ambitions d'une grande partie de la jeunesse marocaine, habitée par l'idéal d'un avenir meilleur à l'étranger, plusieurs experts se sont penchés sur une problématique encore plus complexe : la manipulation de masse via les réseaux sociaux.
En effet, sur les espaces virtuels, certains groupes exploitent la vulnérabilité et les aspirations des jeunes pour promouvoir l'immigration irrégulière comme solution à leurs difficultés. Ainsi, des centaines de milliers de posts ont circulé à ce sujet, souvent en jouant sur les frustrations économiques ou sociales, ce qui a conduit à une mobilisation ahurissante.
«Le besoin d’acceptation, du fait d’un psychisme encore en construction, fait des jeunes une population vulnérable car facilement influençable. Les jeunes, de par leur identité en construction, sont en recherche d'acceptation, de validation et pour ce faire, se conformer aux normes sociales affichées est la meilleure manière de s’intégrer dans un groupe, d’être adopté par une communauté», affirme Ghizlane Ziad, psychologue clinicienne spécialisée en pathologie clinique et clinique sociale.
Et de poursuivre : «Le fonctionnement même des réseaux sociaux nourrit ces besoins de reconnaissance et d’appartenance. La valorisation de l'image sur les réseaux sociaux encourage trop souvent les comportements extrêmes pour gagner en visibilité : les actions «dangereuses» font souvent le buzz (beaucoup de «likes» et de partages). Cela rend ces comportements encore plus attrayants et nourrissants narcissiquement, puisque l’on peut rêver à une mini-célébrité, de la reconnaissance, la gloire, l'admiration. Tout ce qui fait défaut à la personne, le mouvement de foule le lui vend comme étant possible et facilement accessible».
Effet boule de neige
Peut-on considérer que la pression sociale sur les réseaux incite les jeunes à s'engager dans des actions qu'ils considèrent comme risquées ou nuisibles ? Selon la spécialiste, «la normalisation de ces actions sur les réseaux sociaux crée une perception erronée de leur non-dangerosité. Si ces actions sont présentées comme courantes, «normales», il est logique de penser qu’elles ne sont pas dangereuses. La peur qui constituerait un frein en temps normal n’existe plus, rendant ces actions encore plus susceptibles d'être reproduites. Enfin, l’anonymat (beaucoup de jeunes ont de faux comptes) et la distance que permettent les réseaux sociaux (le virtuel n’est pas le monde réel) conduisent à une désinhibition, pouvant amener les jeunes à agir impulsivement sans réfléchir aux conséquences de leurs actes». Les réseaux sociaux peuvent diffuser des informations inexactes ou biaisées concernant les opportunités à l'étranger, créant une perception faussée des avantages de l'immigration irrégulière. Ces «fake news» peuvent par conséquent jouer un rôle dans la formation de mouvements de foule.
Ghizlane Ziad estime que les réseaux sociaux sont, pour beaucoup, la source première d’informations et souvent la seule. «Il n’y a donc pas de questionnement quant à la légitimité de la source de l’information ni de l’information en elle-même. La vitesse de circulation de l’information sur les réseaux sociaux empêche toute réflexion, remise en question ou critique de cette information», précise-t-elle. Et de noter que «la propagation rapide de l'information amplifie les émotions, engendrant des réactions collectives plus intenses qu’elles ne le seraient au niveau individuel. Il y a un effet boule de neige qui peut mener à des actions impulsives, puisque l’effet de groupe permet une illusion de puissance ainsi qu’une dilution du sentiment de responsabilité. Par ailleurs, ces rumeurs influencent les comportements individuels, poussant les personnes à s’engager dans des actions qu’elles n’auraient pas forcément envisagées d’elles-mêmes.
Par conformisme social, ne voulant pas être laissés-pour-compte et se sentir exclus d’un mouvement qu’ils pensent communautaire, les individus suivent. Dans le cas qui nous occupe, si une vidéo virale ordonne à des jeunes de participer à une grande aventure collective vers un eldorado paradisiaque, l’engouement est quasiment garanti».
Un conflit psychique
Evidemment, ces mouvements ne sont pas sans risques sur la santé mentale de ces individus, et peuvent avoir des conséquences psychologiques à long terme. «On peut voir apparaître un conflit psychique quand l’action est vécue (dans l’après-coup) comme étant contraire aux valeurs morales de la personne (avoir abandonné sa famille, par exemple).
Peuvent s’en suivre des sentiments de culpabilité, des états dépressifs ou encore une confusion identitaire. De plus, le retour à la réalité est souvent très violent car l’individu se retrouve seul avec un sentiment d’abandon et de vide», souligne la psychologue. Dans ce genre de situation, deux scénarios sont plausibles selon Ghizlane Ziad : «soit l’individu va construire dans le réel des actions qui lui permettront de gagner en indépendance émotionnelle et en sentiment de puissance, ou attendre la prochaine vague sur les réseaux sociaux pour revivre ce sentiment de complétude de manière éphémère encore et encore».