Alors que le gouvernement Akhannouch affirme chercher à encadrer l’exercice du droit de grève, les syndicats mettent en garde contre un recul potentiel des acquis sociaux et un affaiblissement de la voix des travailleurs.
Par M. Boukhari
Le ministre de l'Inclusion économique, de la Petite entreprise, de l'Emploi et des Compétences, Younes Sekkouri, a soumis récemment le projet de loi organique n°97.15 au Parlement, visant à redéfinir les conditions et les modalités d'exercice du droit de grève au Maroc. Cette initiative, longtemps attendue par certains acteurs sociaux, suscite néanmoins une vive controverse, notamment en raison du processus qui a entouré sa présentation.
Le projet de loi cherche à instaurer un équilibre entre le droit des travailleurs à faire grève et la nécessité de maintenir des services essentiels, comme la santé et le transport, en fonctionnement. Ainsi, les syndicats devront notifier les autorités compétentes ainsi que les employeurs de leur intention de faire grève, généralement dans un délai de préavis de plusieurs jours. Bien que cette mesure vise à encadrer et à organiser les grèves, elle soulève des inquiétudes quant à sa nature dite «contraignante».
Les syndicats considèrent que cela constitue une entrave au droit de grève, limitant la capacité des travailleurs à exprimer leurs revendications. Le projet introduit également des conditions spécifiques devant être remplies avant de déclencher une grève. Cela inclut l'obligation d'épuiser d'autres voies de résolution des conflits, telles que la médiation. En outre, des sanctions sévères sont envisagées pour les syndicats ou les travailleurs qui ne respecteraient pas les règles établies par le projet de loi. Ces sanctions pourraient inclure des amendes financières et, dans les cas graves, des peines d'emprisonnement. Ce nouveau texte prévoit également de règlementer les grèves non annoncées, qualifiées de «sauvages», en les déclarant illégales.
Un dialogue «superficiel»
Les centrales syndicales les plus représentatives du Royaume voient en ces nouvelles dispositions une violation des droits des travailleurs. Elles reprochent également à Sekkouri d’avoir soumis le projet de loi au Parlement sans une consultation adéquate des principaux partenaires sociaux. L'Union marocaine du travail (UMT), en l'occurrence, a exprimé son rejet ferme du projet, appelant à son retrait immédiat et à un retour à la table des négociations. Selon l'UMT, le ministre Sekkouri a mené un dialogue «superficiel», soumettant le projet sans avoir finalisé les discussions.
Par ailleurs, l’UMT affirme que ce projet de loi porte atteinte au droit de grève, considéré comme un acquis historique et national, obtenu par le combat de nombreux syndicalistes. Et de souligner que le droit de grève est non seulement protégé par la Constitution marocaine, mais également reconnu au niveau international par les conventions des Nations unies et de l'Organisation internationale du travail. Pour sa part, Youssef Biche, commissaire judiciaire de premier grade et membre du Syndicat démocratique de la justice (SDJ) affilié à la Fédération démocratique du travail (FDT), soutient que ce projet porte atteinte aux principes fondamentaux de l'État de droit, qui repose sur la soumission à la loi et le respect des règles.
Selon lui, «dans une démocratie moderne, la législation doit être élaborée par consensus, impliquant les acteurs sociaux, notamment les syndicats et la société civile. L'approche participative est essentielle : elle permet d'assurer que les lois reflètent les préoccupations de tous les acteurs concernés. Ignorer ces consultations, comme le fait le gouvernement en avançant un projet sans dialogue, conduit à l'arbitraire et à des tensions sociales». Biche considère en outre que la Constitution marocaine garantit le droit de grève, et toute loi qui en entraverait l'exercice contredirait cette garantie constitutionnelle. Il appelle donc le gouvernement à retirer le projet de loi et à reprendre les négociations avec les partenaires sociaux.
«Ce projet, qui impose des conditions strictes pour l'exercice du droit de grève, notamment des notifications préalables et des sanctions en cas de non-respect, vide ce droit de son essence. Le droit de grève est un recours fondamental pour les salariés face à des injustices, et le restreindre menace l'équilibre social», poursuit Youssef Biche.
Il estime que dans un contexte économique difficile, marqué par l'inflation et le chômage, le gouvernement doit respecter les droits des travailleurs et favoriser la paix sociale en insistant sur la nécessité pour l’exécutif de retourner à la table des négociations et d'écouter les propositions des syndicats. «Il est primordial d’adopter une approche participative qui garantit à la fois les droits des employés et les exigences de l'État, tout en préservant le cadre démocratique», conclut-il.