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Sérigraphie humaine (partie 2)

Sérigraphie humaine (partie 2)

 
Dans la première partie, nous avons assisté à cette humanité pseudo connectée, qui ne peut plus vivre sans gadgets high-tech, qui  est devenue interchangeable dans un terrible jeu de piste et de production en série. Ce qui a gravement impacté l'intelligence humaine, qui paie un lourd tribut à la technologie et aux réseaux connectés tous azimuts. 


 
En effet, durant toute l’Histoire du genre humain, l’intelligence a été crainte. On s’en est toujours méfié. On s’en méfie encore plus aujourd’hui. On l’observe. On la guette. On veut l’annihiler coûte que coûte. Un humain intelligent est un humain qui dit non. C’est un humain qui réfléchit et qui refuse. C’est un humain qui prend des décisions selon des convictions intimes, selon des principes personnels, selon une ligne de conduite intrinsèque à qui il est, à son parcours, à son environnement, à son savoir et ses connaissances. Un humain intelligent ne peut en aucun cas être manipulé. Ni se laisser manipuler. On ne peut l’instrumentaliser. Un humain doué d’intelligence marche seul. Il ne recule pas devant le vide. Il aime l’inconnu. Il s’y aventure. Il le provoque. Un humain intelligent voit deux routes s’ouvrir devant lui : la première, que tout le monde emprunte. Et une autre, vide. Il choisit celle qui est déserte. Un humain intelligent invente son chemin au fur et à mesure qu’il avance. Il ne va nulle part. Il n’a aucune destination précise. Il refuse les terminus.
 
Un humain intelligent, c’est aussi une entité retorse, récalcitrante, grinçante. Elle pose problème, parce qu’elle n’est pas malléable. Elle n’est pas remodelable, non plus. On ne peut rien faire pour la façonner. Elle est mercurielle. Elle glisse entre les doigts. Elle passe par les mailles des filets. Elle se métamorphose. Elle mute. Elle transmue. Un humain intelligent n’a pas de prix. Il n’a pas de cote sur le marché des valeurs monnayables. Il ne subit jamais les fluctuations boursières. Sa valeur est ailleurs. Elle est immatérielle. Elle est inatteignable. Elle flotte. Elle échappe à tout. Elle est libre. C’est sa raison d’être. Sa liberté l’exclut dans un monde où elle n’a pas droit de cité. On essaie alors de monter en épingle des assemblages hybrides de pseudos pertinents pour amuser la galerie. C’est ce que nous voyons depuis quelques années, déjà, sur des milliers de chaînes de télévision, dans le monde entier. Pas une once de subtilité dans tout ce ramassis d’images. Quant à la finesse, elle est inconnue quand il s’agit de débattre, de converser, de donner des informations, de partager des points de vue. 
 
De plus en plus, le diktat de la médiocrité s’installe comme la règle. Comme l’unique règle. Tous les humains sont conformes à deux codes bien identifiés : le rejet de l’autre et la mise en valeur de tout ce qui est primaire et basique. Le tout mâtiné de discours haineux, fielleux, xénophobes, racistes, extrémistes et sectaires. Pour qui veut une place dans ce paysage factice et virtuel, il faut juste se montrer le plus élémentaire possible. Il ne faut surtout pas dépasser le degré zéro de l’humanité. C’est-à-dire, la mise en avant de ce qui divise, de ce qui ronge la société, de ce qui la défigure, de ce qui nous éloigne les uns des autres, de ce qui cache la beauté de nos différences. 
 
Dans cette configuration qui nivelle par le sous-sol, comme l’humain intelligent, l’étranger est une menace. Il faut le tenir le plus loin possible. Il faut le dérouter, il faut l’exclure, il faut monter des murailles pour lui barrer la route. Le clivage entre humains prend alors toute sa place. Il faut à tout prix créer des lignes de démarcation entre les uns et les autres. Mais il n’y a pas que l’étranger qui dérange à ce point. Non. Il y a celui qui porte un autre point de vue sur le monde et sur la vie. S’il ne verse pas dans le consensus préétabli, il est ostracisé. Il est tout bonnement banni. Il ne fait pas recette. Il ne vend pas la guimauve qui marche. 
 
Alors si tu es intelligent, étranger et que tu as une vision du monde fédératrice dans le respect des multiples différences, tu n’as aucun droit de cité dans ce monde que l’on a créé de toutes pièces pour des humains produits en série. Tout le monde fait bloc face à toi. On érige des forteresses pour t’isoler. On échafaude le pilori pour t’y mettre. Au mieux, on t’y cloue jusqu’à ce que mort s’ensuive. Au pire, on s’arrange, par subterfuges et tactiques interposés pour que personne ne sache que tu existes. Cela porte un nom : tuer l’intelligence par l’absence. Cette stratégie de la mort certaine dans un monde où exister passe aussi et surtout par l’image exposée et exploitée, n’est pas uniquement efficace dans le commerce des médias qui décident qui peut être vu et qui ne le doit jamais. Non, il y a le pendant inhumain du tout digital qui décime à coups de clics. 
 
Dans cette braderie de tout ce qui est futile, tout ce qui est inutile, tout ce qui est débile et dangereux, il n’y a de visibilité que pour les plus médiocres. Le casting préalable de la visibilité planétaire se joue sur un critère unique : ta capacité d’annihiler l’intelligence en mettant en avant la bêtise humaine dans ce qu’elle a de plus crade, de plus criard, de plus assassin. Facile besogne pour une humanité coupée de tout ce qui était son essence durant des millénaires, et versée, aujourd’hui, dans un monde où la technologie, grâce à toute une variété d’écrans interposés, s’acharne à effacer des millénaires de créativité, d’art, de culture, de civilisation, d’évolution et de grandeur.
 
 

Abdelhak Najib
Ecrivain-Journaliste

 

 

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