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Services des urgences: le SOS d’une structure asphyxiée

Services des urgences: le SOS d’une structure asphyxiée

Encombrement, pénurie en ressources humaines, déficit en équipements médicaux…, telles sont, entre autres, les casseroles que traînent, depuis plusieurs années, les services des urgences au Maroc.

 

Par M. Boukhari

 

Les services des urgences connaissent une affluence de plus en plus grandissante. Chiffres à l’appui, le ministre de la Santé, Khalid Ait Taleb, a déclaré, mardi 3 janvier 2023, que 80% des prestations de soins non urgentes sont dispensées par ces mêmes services. Et de préciser que les unités de proximité et les centres de santé ne fonctionnent pas selon le même mode pour recevoir les patients qui affluent aux urgences et provoquent de l’encombrement. Sans grande surprise, cette situation suscite colère et désarroi dans le milieu médical.

Le personnel constamment confronté à ce boom de patients, peine à sortir la tête de l’eau, en plus des conditions de travail qui sont tout sauf évidentes et des responsabilités pesant lourd sur leurs épaules. «Les médecins des urgences travaillent souvent dans des conditions invivables, où s’ajoutent, au volume et à la pression du travail, la violence verbale, voire même physique exercée par des patients ou par les membres de leur famille à leur égard. Ces patients très souvent impatients alors qu’ils ne sont pas forcément en situation d’urgence, veulent toujours passer en premier, sinon leur colère se déchaîne sur les médecins et les infirmiers du service. Le quotidien du personnel des urgences est difficile, sans compter l'enchaînement de gardes interminables pour les médecins résidents, et surtout les internes des hôpitaux qui travaillent avec un salaire minable», s’insurge Abdelmajid Belaiche, expert en industrie pharmaceutique et membre de la Société marocaine de l’économie des produits de santé.

 

Mise à niveau des centres de santé

Conscient de la complexité de cette problématique des services des urgences, le ministre n’a pas manqué de souligner qu’elle nécessite une approche globale pour trouver une solution appropriée. Dans le détail, Ait Taleb a noté qu’un travail est mené en ce sens dans le cadre de la réforme globale du système de santé. Il s’agit, en premier lieu, de la mise à niveau des centres de santé afin de leur permettre d’accueillir plus de patients, consacrer la politique de proximité et éviter le déplacement des citoyens vers les grands établissements hospitaliers, sauf s’ils disposent d’un document à ce sujet. Il est urgent, selon Belaiche, de s’attaquer fermement à ce problème, «d’une part, en mettant sur place des services de triage et d’orientation des patients pour diminuer le risque d’encombrement des urgences et, d’autre part, à travers une mise à niveau des centres de santé afin de les rendre plus attractifs pour les patients qui ne sont pas en situation d’urgence».

 

Jamais deux sans trois

Rappelons qu’en 2013, un plan national des urgences médicales a été élaboré sous le mandat de l’ex-ministre de la Santé, Houcine El Ouardi. Une enveloppe budgétaire de 500 millions de DH a été mobilisée pour la réalisation dudit plan, qui s'articulait autour de plusieurs axes, notamment l’amélioration de la prise en charge des urgences pré-hospitalières et hospitalières, le développement du public-public et public-privé et la promotion du cadre réglementaire en la matière. Durant la période s’étalant entre 2019 et 2021, un autre plan d'accélération de la mise à niveau des urgences au Maroc a été conçu afin d’améliorer la qualité des services d’assistance médicale.

En dépit de ces nombreuses tentatives de mieux organiser les services des urgences, «la plupart ont échoué et ces structures connaissent encore de multiples problèmes», affirme Abdelmajid Belaiche. Le spécialiste considère qu’il est difficile d’avoir des services des urgences en «bonne santé» dans un système de santé malade. «Le projet royal de la refonte de notre système de santé permettra de s’attaquer aux dysfonctionnements des services des urgences. Il est temps de repenser la gouvernance de ces derniers en profondeur. Pour cela, il faudra benchmarker les expériences réussies à l’étranger. La nouvelle organisation doit prévoir un système de triage et d’orientation des patients pour éviter l’encombrement au niveau de certains services. Pour mieux répondre aux besoins en matière d’urgences médicales, il sera nécessaire de former plus de médecins urgentistes», révèle-t-il.

 

Zoom sur les lacunes

Dans son livre blanc sur la médecine d’urgence, publié en 2020, la Société marocaine de médecine d’urgence (SMMU) a soulevé plusieurs défaillances qui perdurent encore aujourd’hui, notamment celle qui a trait à l’encombrement des services d’accueil des urgences (SAU). De fait, d’après la SMMU, plus de 6 millions de patients fréquentent chaque année les urgences hospitalières, avec un accroissement annuel moyen d’environ 10%. Ce qui représente plus de 50% des consultations ambulatoires des hôpitaux publics, dont 10% se soldent par une hospitalisation. Par ailleurs, 35,5% des interventions chirurgicales majeures sont réalisées en urgence, ce qui justifie la nécessité de restructurer ces services, d’en assurer la mise à niveau et d’actualiser leurs fonctions et attributions, a insisté l'association. Pour Belaiche, le service des urgences est vital et ne peut être confié à des médecins généralistes qui vont se former sur le tas à la médecine des urgences et des catastrophes.

«La complexité de certaines situations d’urgence exige une formation qui permet au médecin d’agir bien et vite pour sauver des vies. Par ailleurs, le fonctionnement desdits services doit être organisé de telle manière que le médecin urgentiste aille vers le patient en situation d’urgence suite notamment à un accident sur la voie publique ou à son domicile pour traiter directement et avec célérité ce patient», explique-t-il.

Sur les 118 services des urgences au Maroc, fonctionnels 24h/24 et 7j/7 durant toute l’année, le travail est assuré, dans la plupart des cas, par des médecins généralistes appuyés, dans certains hôpitaux, par des médecins spécialistes, fait savoir la SMMU. De nos jours, ce ne sont pas les médecins urgentistes qui font le déplacement chez les patients, mais plutôt l’inverse qui prédomine. «Dans le meilleur des cas, ces patients peuvent être transportés par ambulance vers ces services», indique Belaiche. Là où le bât blesse, selon cet expert, est que «le temps de transport vers l’hôpital est un temps mort au cours duquel on ne peut pas agir rapidement sur le patient. Ce temps mort peut durer selon la distance entre le lieu de l’accident ou du malaise et de l’état de circulation, entre 20 et 30 minutes, voire plus, ce qui réduit ainsi les chances de sauver peut-être une vie. Cela suppose la mise en place d’ambulances bien équipées, voire de véritables blocs de réanimation, avec toujours à son bord un ou plusieurs médecins urgentistes pour gagner un temps précieux et intervenir rapidement».

Même constat du côté de Driss Lahlou, médecin du travail, qui déplore l’absence dans les ambulances de «défibrillateur, bouteille d’oxygène, un réanimateur ou infirmier à bord, etc.; ce qui peut jouer sur le pronostic vital du malade». Suivant de très près la situation des services des urgences, le spécialiste remarque l'existence d’une unité d’accueil spécifique dans la plupart des établissements. Néanmoins, il estime que le problème majeur demeure, sans conteste, le temps de latence, du fait de plusieurs lacunes, dont un nombre d’entrées élevées, la défaillance d’orientation (cas non urgent) ou difficulté d’accès aux soins primaires, l’insuffisance d’effectif, le déficit au niveau des appareils et du matériel médical, l’insuffisance de la capacité litière…

 

Les recommandations du Dr Driss Lahlou
Pour venir à bout de ces problèmes qui entachent la réputation des services des urgences, Driss Lahlou émet un certain nombre de recommandations :
• Elargir le dépistage et le traitement des maladies chroniques qui sont souvent responsables de complications aiguës lors d’un mauvais suivi de la maladie.
• Procéder à un triage médical qui doit être assuré par des médecins généralistes, pour classer les malades en différentes catégories selon la gravité et la priorité du traitement, mais surtout pour diminuer le flux des patients entrant, et ne laisser que les malades nécessitant une intervention urgente.
• Former un bon nombre de médecins et d’infirmiers, mais dans des conditions adéquates, afin de diminuer la pression sur le corps médical.
• Développer les interventions à domicile, et bien équiper les centres de proximité dans le but de désengorger les établissements de soins centraux (CHU, hôpitaux provinciaux…).
• Augmenter la capacité des lits d’hospitalisation.

 

 

 

 

 

 

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