Au niveau national, les salaires bas et le manque de qualification des femmes fomentent la baisse du taux de féminisation du marché de l’emploi.
L’intégration de la femme rurale passe par sa formation continue, en vue de l’aider à promouvoir ses produits et les commercialiser en fonction des besoins du marché local.
Entretien avec Soumaya Naâmane Guessous, sociologue.
La Quotidienne : A l’occasion de la Journée nationale de la femme, célébrée chaque année le 10 octobre, le HCP a mis en avant la baisse significative du taux de féminisation du marché du travail, par rapport à l’année dernière. Quelles sont, selon vous, les principales raisons de cette baisse ?
Soumaya Naâmane Guessous : Plusieurs raisons peuvent expliquer la baisse significative qu’a connue le taux de féminisation du marché de l’emploi au Maroc, dont nous citons principalement le manque de qualification des femmes au Maroc.
Aujourd’hui, très peu de femmes sont diplômées ou qualifiées au sein de notre pays et pour celles qui travaillent déjà, la majorité opte ou se trouve obligée de se diriger vers l’informel, sans la moindre garantie sociale, avec des salaires très bas.
Lorsque ces femmes font leur compte, vers la fin du mois, elles se rendent vite compte qu’il ne leur reste pas grand-chose, surtout lorsqu’elles payent leurs frais de transport, la garde des enfants, etc.
Tous les facteurs précités poussent la femme, dans la majorité des cas, à arrêter de travailler parce qu’en fin de compte, ce n’est pas rentable pour elle.
L. Q. : A la lumière de cette situation de crise liée à la Covid-19 et au déficit de pluviométrie, peut-on opter pour des décisions spécifiques en faveur de la femme rurale ?
S. N. G. : La femme rurale est dans une situation plus dramatique que la femme citadine, puisque dans le monde rural, il n'y a pas d’investissement pour assurer leur insertion en ce moment, sans parler de l’agroalimentaire qui ne leur offre plus de possibilité, surtout après l’éclatement de la crise liée à la Covid-19.
Ceci dit, la femme rurale est dans une situation de détresse énorme. Car même celles qui exerçaient auparavant des activités liées à l’élevage de bétail et chèvres par exemple, ont dû endurer les conséquences du déficit de pluviométrie, dont la montée en flèche du prix de l’alimentation du bétail.
Pour faire face à cette situation et afin d’aider les rurales à sortir de l’impasse, il faut penser avant tout à leur qualification pour qu’elles puissent trouver des moyens de s’en sortir et de générer un revenu suffisant, et ce en dépit du déficit pluviométrique.
L. Q. : Comment peut-on favoriser l’autonomisation de la femme rurale pour qu’elle puisse jouer pleinement son rôle au sein de la société marocaine, tout en soutenant son intégration ?
S. N. G. : Pour favoriser l’autonomie de la femme rurale, il faut commencer d’abord par la scolarité des filles rurales. En effet, leur scolarité n’est aujourd’hui plus un tabou. Ces filles qui s’inscrivent dans les premières années de l’enseignement élémentaire, quittent souvent l’école dans les niveaux du collège ou lycée.
Il est donc indispensable de repenser le système éducatif dans les milieux ruraux, pour justement éviter le décrochage scolaire de ces jeunes filles qui, souvent, optent pour cette solution du fait de l’éloignement des établissements éducatifs.
Nous ne pouvons pas traiter ce point sans citer l’initiative «Dar Attaliba» (maison de l’étudiante) qui a accueilli bon nombre d’étudiantes provenant de villages perchés dans des régions lointaines.
Or, ce n’est pas suffisant ! Il faut généraliser ces structures partout dans le Royaume, sans pour autant oublier le soutien financier dont ont besoin les associations qui prennent en charge lesdites structures.
Fournir «Dar Attaliba» d’une connectivité pour permettre à toutes les femmes d’accéder à Internet, jouera sans doute un rôle crucial dans l’autonomisation de cette femme rurale.
Il ne faut pas oublier que la femme rurale a besoin de formations continues pour qu’elle puisse commercialiser ses produits, eu égard aux spécificités de chaque région certes, mais en allant de pair avec les exigences de la société marocaine qui se modernise.
L. Q. : Indépendamment de la crise actuelle, l’activité de la femme au Maroc a connu un léger repli ces dernières années. A quoi cela est-il dû à votre avis ?
S. N. G. : Comme nous l’avons cité auparavant, la femme vit dans la modernité, mais l’environnement dans lequel elle cohabite, n’est pas encore favorable.
Aujourd’hui, mettre son enfant dans une crèche correspond des fois à la moitié ou les trois tiers de son salaire, ce qui n’est pas à la portée de toutes.
En plus, compte tenu de la déficience du système scolaire public, les parents décident de scolariser leurs enfants dans le privé, ce qui devient problématique pour beaucoup de familles.
Pour ne citer que quelques chiffres, 11% des femmes marocaines aujourd’hui ont des diplômes universitaires. Ces femmes touchent, dans le meilleur des cas, 5.000 DH/mois. Pourquoi voulons-nous qu’elles fournissent des efforts et d’aller travailler, puisqu'elles savent d’office que vers la fin du mois, elles ne vont épargner pas grand-chose ?
Dans l’autre cas, si la femme opte donc pour son autonomie, ceci se fera au détriment des enfants et de leur bien-être, qui seront ballotés d’une maison à une autre. Que faire donc ?
L. Q. : Peut-on parler de la nécessité d’établir une approche genre pour contrecarrer cette diminution de l’activité de la femme et promouvoir la féminisation du marché de l’emploi ?
S. N. G. : Il est essentiel de dire tout d’abord que l’approche genre fait partie de la Constitution et bien entendu, de la politique de l’Etat.
La politique de l’Etat marocain est en effet une politique qui est basée sur le genre.
Le défi est de faire en sorte que la mise en œuvre de cette politique contribue dans la lutte contre les mentalités archaïques, afin qu’elles changement une fois pour toutes.
Il faut reconnaitre que l’Etat est engagé pleinement dans ce processus, et que la Constitution parle même de la parité. Ce que nous pouvons dire, c’est qu’il reste beaucoup à faire pour que les entreprises qui embauchent, se basent sur une approche genre et insèrent ces principes dans leur politique RH.
L. Q. : Dans quelle mesure la société civile peut-elle contribuer à la lutte contre les inégalités qui se creusent de plus en plus entre hommes et femmes marocains ?
S. N. G. : Il ne faut pas nier le rôle prépondérant de la société civile dans la lutte contre les inégalités entre hommes et femmes au Maroc.
Pour prouver cela, donnons l’exemple de ces associations qui s’occupent des petites filles rurales, ou encore celles qui travaillent pour relever le niveau de vie et le niveau scolaire des familles.
Ainsi, nous pouvons déduire que la société civile est très bien engagée. Le problème qui se pose souvent, c’est par rapport à leurs besoins qui sont énormes, en comparaison avec les moyens dont elles disposent aujourd’hui.
Propos recueillis par Sara Kassir