Le service des urgences au Maroc fait face à une crise sévère qui menace la qualité des soins et l’efficacité du système de santé. En dépit des réformes et des budgets investis, la situation reste préoccupante. Pour l'année 2025, le gouvernement prévoit une série d'actions visant à combler les carences identifiées.
Par M. Ait Ouaanna
Malgré les réformes et les plans d’action annoncés au cours des dernières années, le service des urgences demeure le parent pauvre du système de santé marocain. A ce jour, la prise en charge des urgences médicales reste largement en-deçà des attentes des citoyens et des standards internationaux. Entre manque de ressources humaines, équipements insuffisants et surcharge des établissements hospitaliers, la situation est considérée comme étant critique. En 2020, le ministère de la Santé comptabilisait 89 Urgences médicales de proximité (UMP) réparties de manière déséquilibrée entre les différentes régions du Maroc.
Certaines, comme Fès-Meknès et Marrakech-Safi, sont mieux dotées en infrastructures avec respectivement 16 et 13 UMP. En revanche, la région de Casablanca-Settat, malgré son importance économique et démographique, ne possède que quatre unités. Ce déséquilibre régional laisse certaines zones dans une précarité médicale grave, avec peu ou pas d'accès aux soins d'urgence, exacerbant les inégalités dans la prise en charge sanitaire des citoyens. Les services d’urgence marocains sont souvent submergés, notamment à cause de l’affluence de patients cherchant des soins non urgents.
A ce propos, l’ancien ministre de la Santé, Khalid Ait Taleb, avait déclaré en 2023 que 80% des prestations de soins non urgentes sont dispensées par lesdits services. Cette situation est, selon les professionnels, aggravée par le manque de coordination entre les centres de santé et les unités de proximité, qui engendre une surcharge dans les services d’urgence. Selon Dr. Tayeb Hamdi, médecin et chercheur en politiques et systèmes de santé, la situation des urgences au Maroc est la conséquence d’une combinaison de dysfonctionnements.
«Le Conseil économique social et environnemental (CESE), dans son avis sur les urgences médicales au Maroc, avait dressé un bilan approfondi des défis majeurs affectant ce secteur. Ce diagnostic met en évidence plusieurs problématiques, notamment une importante désorganisation, des difficultés de coordination, une pénurie de personnel soignant, des insuffisances en transport médical, etc. Ces dysfonctionnements se manifestent à chaque étape de la chaîne de soins d’urgence, depuis la première sollicitation de services par le citoyen jusqu’à la prise en charge finale», souligne Dr. Hamdi. Pour remédier à ces dysfonctionnements, le CESE a proposé une série de mesures structurées en cinq axes.
Le premier axe préconise une approche territoriale pour instaurer une organisation régionale qui répond mieux aux besoins locaux, en intégrant des dispositifs de prévention et de planification adaptés aux urgences médicales. Le deuxième s’intéresse à l’intervention pré-hospitalière, en suggérant d’accroître la sensibilisation du public et d’élargir le rôle du SAMU. Ce volet inclut également l’intégration des médecins de première ligne, soit les médecins généralistes et les médecins de famille, dans le dispositif d’urgence et l’amélioration du transport médicalisé pour une meilleure coordination.
Le troisième axe souligne l'importance de faciliter l’accès aux urgences en introduisant le tiers-payant, permettant aux citoyens de bénéficier des soins sans obstacles financiers. Le quatrième aborde la question cruciale du déficit en personnel médical spécialisé en urgences, avec un besoin urgent de recruter davantage de médecins et infirmiers spécialisés. Enfin, le cinquième axe vise à renforcer l’offre de soins en urgence, en intégrant notamment la formation des médecins généralistes et de famille dans la médecine d’urgence.
«En sensibilisant la population, en basant la médecine d’urgence sur la médecine générale et la médecine de famille et en digitalisant notre système de santé, on peut améliorer cette médecine d’urgence qui est un pivot du système de santé et qui constitue souvent le premier point de contact entre le citoyen et le système de santé», insiste Dr. Hamdi. Dans le même ordre d’idées, Dr. Tayeb Hamdi relève la nécessité de mettre en place un numéro unique d’urgence à l’échelle nationale, en vue de simplifier l’accès des citoyens à ces services d’urgence et afin d'éviter la perte de temps.
«Grâce à ce numéro unique, les citoyens peuvent accéder plus rapidement aux services d’urgence adéquats, sans tâtonner entre différents numéros ou risquer de contacter le mauvais service. Ce dispositif optimise le délai de prise en charge médicale en orientant directement les patients vers le service d'urgence approprié. Avec un numéro unique, les opérateurs peuvent guider efficacement les demandeurs vers l’établissement de santé adapté, même en cas de saturation, et ce sans déplacements inutiles entre hôpitaux», a-t-il expliqué.
«Un tel système est crucial pour la coordination des urgences, garantissant une gestion optimisée des flux de patients et réduisant la charge inutile sur des structures non adaptées, tout en maximisant les chances de survie grâce à une prise en charge rapide. Ce numéro national joue un rôle essentiel dans la coordination, l’organisation et l’efficacité des urgences médicales, car en situation critique, chaque minute gagnée peut littéralement faire la différence entre la vie et la mort», poursuit Dr. Hamdi.
En dépit des initiatives prises pour pallier les déficiences, les services d'urgence au Maroc restent en crise. Pour rappel, un plan national avait été conçu en 2013, avec un budget de 500 millions de dirhams, pour moderniser les urgences et améliorer les soins pré-hospitaliers et hospitaliers. En 2019, un nouveau plan d’accélération a suivi, sans parvenir toutefois à éliminer les dysfonctionnements identifiés. Pour l’année 2025, le gouvernement semble déterminé à remédier aux problématiques liées au service des urgences au Maroc.
Selon le rapport sur les services de l’Etat gérés de manière autonome (Segma), accompagnant le PLF 2025, le gouvernement compte remédier aux différents dysfonctionnements de l’hôpital public à travers plusieurs actions, à savoir l’accompagnement des établissements hospitaliers dans l’élaboration des plans d’urgence hospitalière ainsi que la mise en place des filières des urgences spécialisées et le renforcement des ressources humaines des urgences.