Le président de la république française, Emmanuel Macron, est dans une situation inextricable. D’un côté, il sait qu’il lui faudra céder face aux terribles et profondes pressions sociales que son gouvernement subit avec colère et violence (et auxquelles l’Etat répond avec violence). De l’autre, il ne peut se résoudre à perdre ce bras de fer. Auquel cas, c’est un échec cuisant pour lui et un désaveu public et politique qui sonne la fin de sa posture de président.
Par Abdelhak Najib
Écrivain-journaliste
C’est une équation à deux inconnues : la première exige d’aller au bout de l’obstination quitte à faire imploser la France et signer un arrêt présidentiel de chaos. La deuxième est d’oublier cette réforme des retraites et de plier bagages en attendant la fin d’un mandat, déjà synonyme d’échec et de mauvaise gestion couplée à une très mauvaise lecture des situations et des exigences de la realpolitik. Une approche marquée par une forme d’agressivité inutile de la part d’un président de la république qui est censé se contrôler, éviter les glissades politiciennes, maîtriser son propos, ne pas céder à l’énervement ni de donner en spectacle avec force grimaces et effets de manche. Pourtant, pieds et mains liés, Emmanuel Macron tente plutôt mal que bien de se dépêtrer de ce pétrin qu’il a lui-même mis en place et qui aujourd’hui roule sur lui tel un rouleau compresseur.
Tout part de ce premier constat d’experts. Il y a aujourd’hui en France 1,7 actif cotisant pour 1 retraité. En 1970, ce ratio était de 1 pour 4. À l’horizon 2100, il devrait être de 1 pour 1. C’est, comme le répète Emmanuel Macron pour trouver une solution à ce problème à venir que, le 16 mars, la présidence a eu recours à l’article 49.3 de la Constitution pour faire passer en force un plan de réforme des retraites qui fait reculer l’âge de départ de 62 à 64 ans. C’est l’acte de trop qui a mis le feu aux poudres. Résultat ? Des millions de manifestants dans les rues de France, des scènes de chaos, des incendies, des véhicules calcinés, des pillages, du vandalisme, des routes et autoroutes coupées, des usines fermées, des blocages un peu partout dans l’hexagone, des victimes de violence, des coups et blessures, des centaines d’arrestations… et un pays à l’arrêt. Un pays qui paie déjà la lourde addition de la crise financière et économique, de la crise énergétique, de la guerre en Ukraine et des relations conflictuelles avec l’Afrique, dernière soupape de sécurité pour une France esseulée, fragilisée et en proie à un durable doute.
Face à ce désastre et à cette débâcle annoncée de l’Elysée, le président Macron persiste : «Il n’y a pas 36 solutions pour l’équilibre de ce système», comme il l’a répété lors de son entretien à la télévision mercredi 22 mars. Pendant ce temps, il n’y a pas un seul spécialiste pour trouver un début de justification à l’entêtement du président : «Il n’y a pas beaucoup d’économistes pour la défendre, cette réforme», comme le souligne Mathieu Plane, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), un centre de recherche associé à Sciences-Po. Pas un seul observateur qui puisse démêler l’écheveau de cette erreur qui peut coûter cher, non seulement à Emmanuel Macron, qui semble s’être fait une raison sur un mandat encore plus raté que le premier, mais pour la stabilité politique, économique et sociale de la France, qui s’enlise dans la crise et semble paradoxalement s’y complaire.
Pour désamorcer la crise des retraites, Pierre Ferracci, l'un des grands experts du social en France, s’aligne sur la position du leader de la CFDT Laurent Berger : «Il faut retarder la promulgation de la loi. Le coût social du passage en force serait exorbitant. Le président doit admettre qu'il n'a pas choisi la bonne voie et la bonne méthode pour cette réforme.»
Ce qui fait dire à François Hollande, l’ancien président de la république que : «Dans beaucoup de catégories de la population il y a cette même colère, ce sentiment que la démocratie ne fonctionne pas comme elle devrait». Le politicien socialiste ajoute qu'il a été «décidé d'une réforme des retraites au pire moment (...) dans un contexte d'inflation forte, de pouvoir d'achat forcément amputé et d'inquiétude parce qu'il y a une guerre en Ukraine».
«Deuxième erreur : une erreur de contenu. Quand vous proposez une réforme des retraites qui demande des efforts à ceux qui ont travaillé dur et tôt et rien à ceux qui ont les revenus les plus élevés, c'est aussi un contre-sens», ajoute l’ancien président.
On peut lire les mêmes propos quasiment chez l’écrasante majorité de la classe politique et économique française, qui d’un côté, pointe les graves erreurs commises par Emmanuel Macron. De l’autre, tente d’enfoncer davantage un président acculé et en manque de recul par rapport aux réalités de son pays, par rapport aux faits qui se jouent devant lui et face au consensus qui montre que cette réforme est une erreur qui coûte déjà très cher à une France aux abois.