Il est des décisions qui font trembler les colonnes du temple. Le mandat d'arrêt émis par la Cour pénale internationale (CPI) contre le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, son ex-ministre de la Défense, Yoav Gallant, et Mohammed Deif, chef de la branche armée du Hamas, en fait partie.
Rarement une annonce judiciaire n'aura suscité une telle cacophonie internationale, mêlant indignation, approbation prudente et provocations politiques.
Loin d’être une simple affaire juridique, cette décision soulève des questions géopolitiques profondes, redéfinissant les contours des responsabilités dans les conflits modernes.
Accusés de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité, les deux dirigeants israéliens et le responsable du Hamas se retrouvent dans l’œil du cyclone judiciaire. Selon la CPI, Netanyahu et Gallant auraient intentionnellement privé la population de Gaza de ressources vitales, créant des conditions de vie «calculées pour entraîner la destruction d’une partie de la population civile». Une accusation lourde qui, si elle est avérée, marque un tournant décisif dans la quête de responsabilité au sein du conflit israélo-palestinien.
Quant à Mohammed Deif, architecte de l'attaque du 7 octobre 2023 ayant coûté la vie à plus de 1.200 civils israéliens, son cas ne laisse pas la communauté internationale indifférente. Mais l’ironie veut que son mandat arrive alors que sa mort supposée par Israël reste entourée de mystère.
Un monde divisé
La première conséquence du mandat d'arrêt contre Netanyahu est sans conteste son isolement diplomatique accru. Dans un geste de défiance, le Premier ministre hongrois, Viktor Orban, l'a invité à Budapest, qualifiant la décision de «honte internationale». Les Etats-Unis, traditionnellement alignés sur Israël, ont dénoncé une décision «scandaleuse».
A l’opposé, l’Irlande s’est engagée à appliquer le mandat «sans hésitation», rappelant que nul n’est au-dessus des lois. Dans le même sillage, le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, a martelé que le mandat devait être «respecté et appliqué», plaçant certains Etats européens dans une position diplomatique inconfortable. Surtout que l’Allemagne, par exemple, balance entre son soutien historique à Israël et son obligation morale de respecter les engagements internationaux.
C’est dire que la décision de la CPI révèle les tensions sous-jacentes entre les impératifs géopolitiques et les aspirations à la justice universelle. Israël a immédiatement rejeté l’autorité de la Cour, qualifiant la démarche de «motivée par l’antisémitisme».
Une rhétorique familière, mais qui trouve un écho auprès de certains alliés, notamment aux Etats-Unis. Ce rejet s'inscrit dans une stratégie plus large visant à contester la légitimité des institutions internationales lorsqu’elles remettent en question les actions israéliennes.
Dans le monde arabe, la décision est vue comme une avancée symbolique. L’Iran n’a pas hésité à déclarer que ce mandat marquait «la mort politique du régime sioniste», tandis que le Hamas y voit une «étape vers la justice». Pourtant, ces réactions masquent mal le scepticisme généralisé quant à l’exécution effective de ces mandats. Qui, parmi les Etats membres de la CPI, osera arrêter Netanyahu s’il se présente sur leur territoire ?
En attendant, à Gaza, les morts s’accumulent
Sur le terrain, la situation reste désespérée. A Gaza, les frappes israéliennes se poursuivent, tout comme les pertes humaines qui s’élèvent à plus de 44.000 morts, selon le dernier bilan du ministère de la Santé du Hamas.
Et le mandat de la CPI contre le Premier ministre israélien n’empêchera pas la poursuite des raids meurtriers de Tsahal. Tout au plus, risque-t-il d'accentuer les divisions entre les acteurs du conflit.
Les partisans de Netanyahu se mobilisent pour rejeter ce qu'ils perçoivent comme une tentative de délégitimer Israël. Pendant ce temps, l'Autorité palestinienne, marginalisée par le Hamas, espère que cette décision ravivera le soutien international à sa cause.
Il est donc peu probable que ce mandat d'arrêt change fondamentalement la donne à court terme, Netanyahu restant fermement ancré au pouvoir, utilisant la rhétorique de la «guerre existentielle» pour galvaniser ses soutiens intérieurs.
Au final, que retenir de cette décision historique de la CPI ? Si elle envoie un message clair sur l'importance de la responsabilité dans les conflits armés, son application concrète reste une énigme, particulièrement dans un monde où les rapports de force géopolitiques priment souvent sur la justice.
Par F.Z Ouriaghli