La France est aujourd’hui en proie à une crise politique digne des grandes heures de l’Histoire. Mercredi soir, l’Assemblée nationale a censuré le gouvernement de Michel Barnier, éphémère Premier ministre balayé par une motion de censure votée à une majorité spectaculaire de 331 voix.
Le coup de théâtre n’a surpris personne, mais il plonge le pays dans un désordre institutionnel d’une rare intensité. Emmanuel Macron, président de la République et chef d’orchestre de ce bazar bien français, se retrouve une nouvelle fois au centre de la scène, tentant d’apaiser les tensions. «Je nommerai dans les prochains jours un Premier ministre chargé de former un gouvernement d'intérêt général», a-t-il promis jeudi soir, sans pour autant calmer les ardeurs de ses opposants.
Dans son allocution télévisée, Emmanuel Macron n’a pas mâché ses mots. «L’extrême droite et l’extrême gauche se sont unies dans un front antirépublicain», a-t-il accusé, dénonçant une alliance de circonstance ayant pour seul objectif de semer «le désordre». Une sortie qui, à défaut de rassembler, a irrité les responsables politiques des deux bords.
Jean-Luc Mélenchon, figure de la gauche radicale, a rétorqué que Macron était «la cause du problème» et qu’il «s’en ira par la force des événements». Marine Le Pen, toujours plus subtile dans sa communication, a préféré jouer la carte de la mesure, tout en rappelant que «la pression sur Emmanuel Macron sera de plus en plus forte».
Mais au-delà des querelles de personnalités, c’est l’Assemblée nationale elle-même qui illustre le malaise profond de la politique française. Trois blocs, alliance de gauche, macronistes et droite/extrême droite, s’affrontent sans qu’aucun ne puisse prétendre à une majorité. Cette fragmentation rend la gouvernance presque impossible et pousse le président à chercher des alliances improbables. «Nous devons former un arc de gouvernement capable d’assurer la stabilité du pays», a plaidé Macron, visiblement prêt à tout pour éviter un nouvel échec.
Budget en berne
Si les discours enflammés font vibrer l’hémicycle, les chiffres, eux, ne mentent pas. Le déficit public, déjà attendu à 6,1% du PIB en 2024, pourrait s’aggraver encore en l’absence d’un budget adopté. Michel Barnier, dans une ultime tentative de justifier son action avant la censure, avait averti : «On peut dire ce qu'on veut, mais c'est la réalité : la France consacre 60 milliards d'euros par an aux seuls intérêts de sa dette». Une remarque qui, bien que pertinente, n’a pas suffi à rallier les suffrages.
L’agence Moody’s, jamais avare de jugements acerbes, a d’ailleurs qualifié cette chute gouvernementale de «négative pour le crédit» du pays.
Les investisseurs, eux, semblent résilients pour l’instant, mais pour combien de temps encore ? La situation reste floue et incertaine, un mot qui résume parfaitement l’état d’esprit des Français. Un sondage révèle que 53% approuvent la censure, mais 82% redoutent ses conséquences.
En attendant, dans les couloirs feutrés de l’Elysée, les spéculations vont bon train. Qui sera le prochain Premier ministre ? François Bayrou, fidèle allié de Macron, apparaît comme un candidat naturel, mais d’autres noms circulent : Sébastien Lecornu, Bernard Cazeneuve, ou encore Xavier Bertrand.
De son côté, le Parti socialiste, par la voix d’Olivier Faure, se dit prêt à des «concessions réciproques». Un revirement stratégique qui n’a pas manqué d’agacer les Insoumis.
Mais ce casting de «l’arc républicain» ne répond pas à une question fondamentale : comment gouverner efficacement dans un tel contexte ?
Macron, en homme pragmatique, a d’ores et déjà prévenu : la priorité du futur gouvernement sera le budget, avec une loi spéciale pour assurer la continuité des services publics en attendant mieux.
A l’évidence, la crise actuelle, au-delà de ses aspects dramatiques, pourrait bien offrir une opportunité unique : celle de réinventer le fonctionnement politique de la France. Et si ce désordre institutionnel était le signal qu’il est temps de revoir les règles du jeu ? Le modèle de la Vème République, conçu pour donner les pleins pouvoirs à un président fort, semble aujourd’hui inadapté à une société plus fragmentée et à des institutions en quête de représentativité.
F. Ouriaghli