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La Tunisie entre le marteau et l’enclume

La Tunisie entre le marteau et l’enclume
  • Kaïs Saïed devrait peut-être s’inspirer d’Erdogan, en faisant le ménage dans sa diplomatie, au risque de perdre toute crédibilité au niveau régional.

Le 29 octobre de cette année, lors du vote au Conseil de sécurité de l’ONU de la résolution 2602 qui a porté sur le prolongement du mandat de la Minurso, le Maroc ne fut nullement étonné par l’abstention de la Russie. En effet, Moscou joue à l’équilibriste, en cherchant à se rapprocher du Maroc, tout en ne perdant pas l’Algérie en cours de route. Quoique, à force de courir deux lièvres, on risque de n’en attraper aucun. Mais cela est une autre histoire.

Cependant, l’abstention de la Tunisie a surpris plus d’un. Certains y ont vu un coup de poignard dans le dos, vu le rapprochement majeur opéré entre nos deux pays ces dernières années, ainsi que l’aide cruciale apportée par le Maroc aux Tunisiens pour lutter contre la pandémie de la Covid-19. D’autres y ont vu des craintes de représailles de la part d’Alger, ce qui est très probablement le cas. D’autant plus que la junte militaire algérienne n’hésite pas, soit directement, soit par le biais de leurs mercenaires du Polisario, à menacer militairement à tour de bras tous leurs voisins dont la Mauritanie et plus récemment le Maroc.

Dans cette configuration, la situation géopolitique de la Tunisie est peu enviable. A l’Est, le chaos libyen est une vraie pépinière de groupuscules terroristes de toute sorte. La Tunisie ayant été confrontée à plusieurs attentats terroristes ces dernières années. 
A l’Ouest, le voisin algérien, qui contrôle indirectement certaines franges d’AQMI dans la région du Sahel, n’hésite pas à faire planer toute sorte de menace sur le pays de Carthage. Rappelons qu’il est désormais établi que Mokhtar Belmokhtar, Algérien de par ses origines et leader d’AQMI, a coordonné bons nombres d’attentats et de prises d’otages avec des généraux algériens, dont la spectaculaire attaque du site gazier exploité par British Petroleum à In Amenas. Ce dernier jouit d’une protection algérienne pour tous ses déplacements dans la région du Sahel. 

Au Nord, confrontée à des problématiques plus immédiates comme la crise énergétique ou la rébellion juridique de certains pays comme la Pologne ou la Hongrie, l’Union européenne se contente d’adresser des mises en garde contre une éventuelle dérive autoritaire de l’actuel président tunisien. Bien qu’ayant géographiquement une ouverture sur la Méditerranée, la Tunisie se trouve tout de même enclavée autant sur le plan sécuritaire, puisqu’aucun pays limitrophe ne peut lui offrir un prolongement ou un continuum sécuritaire à travers une alliance.

Parlons-en d’ailleurs de cette prétendue dérive autoritaire. Cependant, il est inutile de revenir en long et en large sur les motivations de Kaïs Saied, cela a été largement décrypté par une kyrielle d’experts et d’articles d’analyse. Mais ce que l’on doit retenir de la démarche, c’est qu’en décrétant ce qui s’apparente à un Etat d’exception en limogeant le Premier ministre, gelant le Parlement, en levant l’immunité des élus, et en légiférant par décret, Kaïs Saïed ne s’est pas fait que des amis. Le rang des mécontents va du parti islamiste d’Ennahda aux transfuges de l’ancien régime de Ben Ali, qui pullulent encore dans les hautes sphères du pouvoir et à des postes clés. Une telle configuration est de nature à créer des clivages et des logiques de sabotage qui transcendent toutes les strates du pouvoir. Sinon, comment expliquer que l’abstention de la Tunisie ait été rattrapée le jour même par une déclaration du fidèle conseiller du président et porte-parole du gouvernement, Walid Hajjem. Ce dernier affirma que : «le président Kaïs Saïed n’était tout simplement pas au courant de la décision d’abstention prise par le ministère des Affaires étrangères, décision dont il aurait été informé a posteriori et à propos de laquelle une enquête interne aurait été diligentée». Un «inside job» comme diraient les Américains ou une décision non assumée car dictée par Alger et maquillée par un double discours ?

Des précédents historiques de ce genre sont nombreux. Souvenons-nous de l’avion russe abattu par un F-16 turc en 2015. L’évènement, qui a donné lieu à une crise diplomatique profonde entre les deux pays, n’a finalement été dépassé que par des excuses formulées par l’Etat turc. Mais l’alibi officieux mis en avant par la Turquie fut d’accuser le pilote de chasse turc d’être un membre du réseau de Fethullah Gulen qui, par cet acte-là, chercha délibérément à provoquer une crise entre Moscou et Ankara. D’ailleurs, un an plus tard, suite à la tentative de coup d’Etat raté contre Erdogan, des purges ont été entamées dans les rangs de l’armée, de la police et des juges. Car oui, un Etat dans l’Etat ça peut exister, et la juxtaposition des deux peut donner lieu à des contradictions difficilement assurables par l’Etat formel.
D’ailleurs, Kaïs Saïed devrait peut-être s’inspirer d’Erdogan, en faisant le ménage dans sa diplomatie, au risque de perdre toute crédibilité au niveau régional.

Pour conclure : non la Tunisie n’a pas trahi le Maroc, elle ne l’a pas aidé non plus. On dira que la Tunisie se cherche encore, et que faute d’être encore un pays aligné sur lui-même, on en parlera comme d’une variable avec laquelle il faudra composer. Mais cela ne doit aucunement nous empêcher de nous rapprocher davantage de ce pays frère, car l’histoire, et a fortiori la géographie, ont leurs raisons que le ministre des Affaires étrangères tunisien semble avoir ignorées, le 29 octobre dernier.

Par Rachid Achachi, Chroniqueur et DG d'Arkhé Consulting.

 

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