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Ressources hydriques : «Le dessalement est une solution stratégique, mais il ne peut pas suffire à lui seul»

Ressources hydriques : «Le dessalement est une solution stratégique, mais il ne peut pas suffire à lui seul»

Face à la raréfaction structurelle des ressources en eau et à l’accélération du changement climatique, le dessalement de l’eau de mer s’invite de plus en plus dans le débat public marocain. Longtemps cantonnée à l’alimentation en eau potable, cette technologie peut-elle devenir un levier crédible pour l’agriculture ? Ayoub Ramdi, spécialiste des ressources hydriques, livre une analyse nuancée, entre impératif de sécurité alimentaire, contraintes économiques et enjeux environnementaux.

 

La Quotidienne : Le dessalement peut-il devenir une solution crédible et durable pour l’irrigation agricole au Maroc, ou doit-il rester marginal ?

Ayoub Ramdi : Le dessalement de l’eau de mer à des fins agricoles demeure une alternative adaptée à des contextes stratégiques bien précis. Il s’agit d’une ressource non conventionnelle relativement fiable, dans la mesure où sa disponibilité dépend moins des aléas climatiques que de la performance des équipements de production et de distribution.

Dans ce sens, le dessalement peut constituer une solution pertinente pour alimenter des périmètres agricoles justifiés à l’échelle socioéconomique, notamment ceux qui génèrent une forte valeur ajoutée, protègent des investissements lourds et soutiennent l’emploi local. En revanche, il ne peut être envisagé comme une solution généralisée pour l’ensemble du secteur agricole.

La Quotidienne :Quels critères rendent le dessalement pertinent pour l’agriculture ?

Ayoub Ramdi : Le coût de revient de l’eau dessalée dépasse largement celui des ressources conventionnelles, qu’elles soient superficielles ou souterraines. Pour garantir une productivité acceptable de cette eau, il est impératif qu’elle soit destinée à des cultures à haute valeur ajoutée, généralement des cultures de rente tournées vers le marché. En l’absence de cette rentabilité intrinsèque, l’intervention de l’État, sous forme de subventions ou d’incitations financières, devient indispensable pour rendre le modèle économiquement viable.

La Quotidienne :Existe-t-il un seuil de valeur économique à partir duquel l’eau dessalée devient rentable pour un agriculteur ?

Ayoub Ramdi : Sur la base de l’expérience marocaine actuelle, notamment celle du projet de dessalement de Chtouka, il est difficile de fixer un seuil précis de valeur économique par hectare. La redevance de l’eau dessalée destinée à l’irrigation est fortement influencée par les mécanismes d’incitation financière mis en place par l’État.
Ces incitations visent avant tout à préserver l’équilibre entre l’offre et la demande des produits agricoles, en particulier sur le marché local. L’eau étant un facteur de production à part entière, son coût se répercute inévitablement sur le prix final du produit agricole.

La Quotidienne : Peut-on espérer une baisse structurelle du coût de l’eau dessalée à moyen terme ?

Ayoub Ramdi : Oui, cette perspective est réaliste. La baisse des coûts peut résulter de plusieurs facteurs combinés : l’intégration accrue des énergies renouvelables, les avancées technologiques continues dans les procédés de dessalement, ainsi que l’intensification de la concurrence industrielle qui rend les investissements plus favorables.

La mutualisation de la production d’eau destinée à la fois à l’alimentation en eau potable et à l’irrigation joue également un rôle d’optimisation important. Toutefois, ce modèle suppose une coordination institutionnelle étroite et rigoureuse, sans laquelle les gains d’efficience resteraient limités.

La Quotidienne : Le dessalement peut-il devenir un pilier de la stratégie agricole nationale ?

Ayoub Ramdi : Malgré les débats et les positions parfois opposées, il est difficile de nier le caractère stratégique du dessalement. Il répond à une situation d’urgence et constitue un pilier potentiel de la sécurité alimentaire, en protégeant des bassins agricoles essentiels à différentes échelles.
En le réservant prioritairement aux zones côtières, le Maroc peut réduire la pression sur les ressources conventionnelles, notamment les nappes phréatiques, qui doivent être préservées pour les générations futures. Cette diversification de l’offre en eau renforce la continuité et la sécurité du service hydrique.

La Quotidienne : Quels sont les principaux risques liés à un recours excessif au dessalement pour l’agriculture ?

Ayoub Ramdi : Le dessalement repose sur des infrastructures industrielles, avec les risques inhérents à toute activité de ce type. Les principaux enjeux concernent l’environnement : empreinte carbone, gestion des rejets de saumure, impacts sur les écosystèmes marins.
Cela dit, lorsque les besoins humains fondamentaux sont en jeu, ces risques doivent être encadrés et maîtrisés plutôt que servir de prétexte à l’inaction. L’enjeu est moins de refuser le dessalement que de l’inscrire dans un cadre environnemental rigoureux.

La Quotidienne : Dans un contexte de changement climatique, le dessalement peut-il sécuriser durablement la production agricole ?

Ayoub Ramdi : Le dessalement constitue indéniablement une solution stratégique face au changement climatique, dont la tendance globale reste préoccupante. Il serait illusoire de considérer cette technologie comme une réponse unique et suffisante.

L’effort de sécurisation de l’offre en eau doit se poursuivre de manière globale : mobilisation des eaux de surface à travers les barrages, recharge artificielle des nappes, amélioration de l’efficience hydrique et recours à d’autres ressources non conventionnelles. Le dessalement permet avant tout d’amortir les chocs, pas de s’y substituer entièrement.

Propos recueillis par Reda Mouhsine.

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