Dans cet entretien, Said Chatibi, Directeur général de l’Association nationale ovine et caprine (ANOC), détaille les causes majeures de la hausse des prix des moutons de l’Aid et met en exergue les meilleures pratiques à adopter pour améliorer la production du cheptel national.
Propos recueillis par M. Ait Ouaanna
Finances News Hebdo : Le ministère de l'Agriculture a annoncé une offre excédentaire, mais les prix demeurent toutefois en hausse. Qu’est-ce qui explique cette situation ?
Said Chatibi : Pour expliquer cela, il faut aborder les principaux déterminants des prix des animaux destinés à l’abattage, que l’on peut synthétiser en deux facteurs majeurs. Le premier concerne le coût de production chez l’éleveur qui est essentiellement lié aux charges de l’alimentation, de la maind’œuvre, des soins vétérinaires, etc. Ce coût de production a connu une augmentation vertigineuse ces dernières années, en raison de la coïncidence de trois évènements contraignants, à savoir la crise du Covid, qui a fortement impacté le secteur de l’élevage; l’inflation mondiale, qui a fait flamber le prix des intrants, notamment celui de l’alimentation animale, ainsi que la succession de trois années de sécheresse sévères. Le deuxième facteur, quant à lui, concerne la chaîne de commercialisation entre l’éleveur et le consommateur. Plus le nombre d’intermédiaires entre ces deux acteurs est grand, plus le prix va augmenter. Ainsi, la multitude des intermédiaires a fait flamber les prix. Cela, couplé aux frais de transport et de logistique, en plus de la marge bénéficiaire de chaque intermédiaire, a un impact très conséquent sur le prix d’achat du consommateur.
F.N.H. : Le Maroc recourt ces dernières années à l'importation des ovins et caprins. Existe-t-il des préoccupations concernant le renouvellement du cheptel national ?
S. Ch. : Pour répondre à cette question, il faut d’abord comprendre quelle est la constitution de notre cheptel et comment se fait son renouvellement. Les dernières statistiques du ministère de l’Agriculture font état d’un cheptel de 25,7 millions de têtes ovines et caprines. 50% de ce cheptel, soit environ 13 millions de têtes, sont des femelles reproductrices, ce qui est déjà un capital animal très important dont dispose notre pays. Le reste (environ 12,7 millions) est constitué essentiellement de jeunes animaux, avec 50% de mâles, qui sont destinés pour 90% à la fête de l'Aïd Al-Adha, et 50% de femelles, dont 25% sont généralement réservées au renouvellement du cheptel. Le reste est affecté à l’abattage de boucherie durant l’année, en plus des animaux de réforme. D’après nos éleveurs et nos équipes sur le terrain, l’année dernière, nous avons eu une bonne campagne de reproduction et un taux d’agnelage intéressant par rapport à l’année précédente. Il s’agit là également d’un facteur rassurant pour le renouvellement de notre cheptel l’année prochaine.
F.N.H. : La distribution dans les souks est confrontée à de nombreuses problématiques. Que pouvez-vous nous dire par rapport à ce constat ?
S. Ch. : Actuellement, l’ANOC est en train de mettre en place 34 souks temporaires dédiés à la commercialisation des animaux destinés à l’Aid Al-Adha 2024, et ce dans le cadre d’une convention avec le ministère de tutelle. Ces souks, qui seront installés essentiellement au niveau des grandes villes du Royaume, permettront, d’un côté, d’offrir un espace sécurisé et équipé des infrastructures et services essentiels pour les éleveurs, et d’un autre côté, d’assurer un service de proximité pour les consommateurs citadins en les rapprochant des professionnels du secteur et des animaux.
F.N.H. : En tant que professionnel du secteur, que proposez-vous pour améliorer la production du cheptel national ?
S. Ch. : Les changements climatiques que connaît notre planète ont causé un certain nombre de perturbations qui ont profondément touché les filières d’élevage, notamment celles des petits ruminants. En effet, les années de sécheresse de plus en plus récurrentes et sévères, ont fortement impacté la production fourragère des parcours et, par conséquent, l’élevage des ovins et caprins dont l’alimentation était basée, en bonne partie, sur les ressources pastorales. Évidemment, on ne peut pas rester les bras croisés devant une telle situation. Pour y faire face, les éleveurs font de plus en plus appel à l’achat d’aliments pour compenser la baisse des apports des parcours. Peu à peu, les systèmes d’élevage des petits ruminants deviennent de plus en plus dépendants des apports en alimentation et en intrants, ce qui a augmenté significativement le coût de production, notamment avec l’inflation.
Cette situation nous a amené, en tant que représentants des professionnels, à engager une réflexion sur les adaptations et les ajustements possibles pour accompagner les transformations que connaissent les systèmes d’élevage. L’objectif est de maintenir une activité d’élevage rentable pour les professionnels et une production avec un prix abordable pour le consommateur. Notre réflexion est orientée vers l’amélioration de l’efficacité et de la productivité numérique de notre cheptel. Ceci peut se faire à travers l’amélioration de la prolificité (taux des naissances multiples) et la réduction du cycle de production de 12 mois actuellement à 8 mois, de sorte à avoir 3 mises bas en deux ans au lieu de 2 actuellement. L’amélioration de ces deux paramètres nous permettra d’améliorer la productivité numérique du cheptel, de réduire le coût de production et par conséquent le prix au consommateur.