Dès la fin de l’année en cours, 60% des familles marocaines non couvertes actuellement par les régimes de sécurité sociale bénéficieront du Programme d’aide sociale directe.
La classe moyenne est le maillon faible de ce nouveau système d’aide, qui profitera essentiellement aux ménages démunis.
Par M. Ait Ouaanna
Après l’élargissement de la couverture médicale obligatoire au profit de plus de 10 millions de Marocains, place maintenant à la généralisation des allocations familiales, deuxième étape phare du chantier royal de la protection sociale. Dans son discours prononcé le 13 octobre dernier au Parlement, le Roi Mohammed VI a annoncé le lancement effectif, dès la fin de l’année 2023, du programme d’aide sociale directe.
Un programme qui a pour ambition d’améliorer le pouvoir d’achat des familles vulnérables et de lutter contre la pauvreté à long terme. La mise en œuvre de ce chantier d’envergure nécessitera une enveloppe budgétaire de 25 milliards de dirhams au cours de l'année 2024. Celle-ci sera portée à 29 Mds de DH par an à partir de l’année 2026. L'aide sociale directe consiste notamment en l'octroi d’un revenu de dignité pour les personnes âgées, d’allocations familiales pour l’ensemble des familles éligibles au programme et d’un soutien tout au long de la vie pour les personnes en situation de handicap.
Dans le détail, ce programme profitera à 60% des familles marocaines non couvertes actuellement par les régimes de sécurité sociale, qui recevront à partir de décembre 2023 une aide mensuelle minimale de 500 dirhams. Pour ce qui est de l’identification des bénéficiaires, celle-ci se fera sur la base du Registre social unifié (RSU), un mécanisme de ciblage permettant à l’Etat d'évaluer le niveau de vie de chaque famille. Ainsi, tout ménage inscrit au RSU et dont l’indice socioéconomique est inférieur au seuil fixé, pourra recevoir cette aide sociale.
Il est à noter que l'indice socioéconomique est calculé sur la base, notamment, de la situation socioéconomique des ménages, du nombre de membres de la famille, des dépenses annuelles en eau et en électricité, ainsi que des dépenses de consommation. Selon la note de présentation du projet de Loi de Finances 2024, le nombre d’inscrits au Registre social unifié a atteint 2,8 millions de ménages au 27 septembre 2023, soit l’équivalent de 9,7 millions de personnes. «Cette initiative majeure, en réponse à la nécessité d’assurer la justice sociale, incarne la vision royale visant à renforcer les fondements de l'État social au Maroc et à améliorer la vie des citoyens les plus vulnérables.
Le programme d'aide sociale directe au Maroc est ambitieux dans ses objectifs, cherchant à apporter un soutien financier direct aux ménages les plus vulnérables, avec pour objectif de réduire les disparités socio-économiques et de favoriser une plus grande cohésion sociale. L'opérationnalisation dudit programme constitue, incontestablement, une avancée significative dans l'amélioration de la protection sociale au Maroc», souligne Abdelkhalek Hassini, enseignant-formateur, conférencier, spécialiste en migration et développement.
Gare aux fraudes !
Le déploiement du programme d’aide sociale directe va sans nul doute permettre de renforcer les fondements de l'Etat social, mais aura certainement son revers de la médaille. D’après Abdelkhalek Hassini, également président du collectif «CADOriental Europe», la réussite de ce chantier est confrontée à une série de défis complexes, allant de la lutte contre la corruption à la réduction de la bureaucratie, l'amélioration de la transparence, la responsabilité et la participation des bénéficiaires.
«L'une des principales contraintes à laquelle fait face ce projet réside dans la nécessité de prévenir les fraudes et les abus. Il est donc indispensable de mettre en place des mécanismes de sécurité et de contrôle rigoureux afin de prévenir ces pratiques indésirables. Dans cette optique, une coopération renforcée entre les institutions concernées, ainsi qu'une sensibilisation accrue des bénéficiaires s'avèrent essentielles pour garantir que les ressources allouées par l’aide sociale directe atteignent, effectivement, ceux qui en ont le plus besoin. En outre, la transparence et la responsabilité doivent être au cœur de cette démarche, afin de renforcer la confiance dans le processus et de veiller à ce que les fonds soient utilisés de manière efficiente», insiste-t-il.
Par ailleurs, Hassini relève que la gestion transparente des ressources financières est un aspect essentiel de ce chantier royal, afin d’éviter tout détournement ou mauvaise gestion. De ce fait, la mise en place de mécanismes de suivi et d'évaluation est une nécessité. «Il est conseillé d'instaurer des outils de gestion financière robustes et de former le personnel chargé de la gestion du programme sur les meilleures pratiques en matière de transparence et de responsabilité. Grâce à ces mesures, le Maroc s'engage à assurer une utilisation responsable et efficace des fonds alloués au programme, pour garantir que chaque Dirham investi ait un impact réel sur la vie des bénéficiaires», précise-t-il.
Outre ces différentes contraintes, la logistique demeure un défi de taille pour une accessibilité équitable à l'aide sociale directe dans toutes les régions du pays. Dans ce sens, notre interlocuteur estime qu’il est primordial de garantir que les bénéficiaires potentiels, notamment ceux vivant dans des zones rurales ou éloignées, puissent facilement accéder aux services et aux prestations prévus par le programme. À cet égard, Hassini indique qu’il est préconisé d'établir des partenariats avec les acteurs locaux, tels que les associations locales, pour faciliter la distribution des aides sociales et garantir une couverture territoriale adéquate.
La classe moyenne, le maillon faible
Le programme d’aide sociale directe constitue une alternative au recours automatique au système d’aide basé sur la compensation. Par conséquent, l’introduction de ce nouveau mécanisme exige la mise en place de certaines mesures nécessaires pour préserver le pouvoir d’achat de la classe moyenne qui, elle, ne bénéficiera pas de ce programme.
«Actuellement, la caisse de compensation accorde aux citoyens une aide indirecte et toutes les couches sociales en bénéficient. Mais avec le lancement de ce nouveau système d’aide, nous allons passer d’une logique indirecte à une logique directe qui cible uniquement les familles défavorisées», affirme l’économiste Mohamed Jadri. Et de poursuivre : «Le succès de cette forme d’aide directe nécessite la mise en place parallèle d’une panoplie de mesures. Etant donné que certains produits, comme le gaz butane, ne seront plus subventionnés par la Caisse de compensation, il est donc indispensable d’introduire des mesures pour limiter la spéculation sur le marché. Il faut sensibiliser les entreprises et les commerçants afin qu’ils n’augmentent pas leurs prix de manière inappropriée».
Insistant sur le fait que la classe moyenne sera le maillon faible de cette aide sociale puisqu’elle n’en bénéficiera pas, notre interlocuteur estime qu’il est essentiel de mettre en place, dans les années à venir, une série de mesures, telles que la réforme de l'impôt sur le revenu, la défiscalisation des frais de scolarité ou encore l'augmentation des salaires pour la classe moyenne.
«Pour réussir l’Etat social, il faut certes renforcer le pouvoir d’achat des familles à faible revenu, mais il ne faut pas exclure la classe moyenne qui demeure le socle de la paix sociale et de la consommation des biens et services au Maroc», souligne-t-il. Par ailleurs, l’expert fait savoir que l’aide sociale directe va tout de même permettre de créer de la richesse et d’améliorer les conditions de vie des ménages en situation de précarité.
«Le programme d’aide sociale directe va permettre de renforcer le pouvoir d’achat des ménages démunis. De plus, ce nouveau système va contribuer à la promotion du Made in Morocco, car en recevant par exemple une aide d’une valeur de 1.000 ou 1.200 dirhams, un citoyen démuni va certainement opter pour l’achat de produits locaux qui sont souvent beaucoup moins chers que ceux importés. En outre, ce programme va conduire à l’augmentation de la demande au niveau national ainsi qu’à la création de postes d’emploi à travers notamment les PME», conclutil.