Le gouvernement a annoncé une série de mesures pour soutenir le secteur dans un contexte marqué par une crise hydrique devenue structurelle, avec un cumul pluviométrique considérablement réduit et des barrages qui s'assèchent. Le bon déroulement de cette campagne dépendra largement des conditions climatiques.
Par D. William
Le ministre de l'Agriculture, de la Pêche maritime, du Développement rural et des Eaux et Forêts, Mohamed Sadiki, vient d’annoncer une série de mesures gouvernementales en préparation de la campagne agricole 2024-2025. Cette annonce intervient dans un contexte marqué par une anxiété palpable, particulièrement en raison de la crise hydrique qui sévit avec une sévérité accrue. Le gouvernement, conscient des enjeux, multiplie les initiatives pour assurer la pérennité du secteur agricole.
Les mesures annoncées, allant de l'approvisionnement en semences et engrais à des tarifs subventionnés, à la modernisation des techniques de culture et d'irrigation, témoignent d'une volonté de soutenir ce secteur. Ainsi, l’Exécutif va maintenir la subvention des semences céréalières d’environ 40% pour maintenir les prix à des niveaux abordables. De plus, la subvention des semences et plants de légumes clés tels que la tomate ronde, l'oignon et la pomme de terre continue pour la deuxième campagne consécutive, une stratégie destinée à réduire le coût de production et stabiliser l'approvisionnement du marché national. Par ailleurs, Sadiki assure que le marché sera approvisionné à hauteur de 650.000 tonnes d’engrais phosphatés, maintenu au tarif de l'année précédente. Pour les engrais azotés, essentiels mais importés, la subvention reste entre 40 et 45%, pour une quantité programmée de 5 millions de quintaux.
«Le programme prévisionnel des cultures d’automne sera mis en place en tenant compte des disponibilités hydriques dans les zones pluviales. Il prévoit 4,36 millions d’hectares (ha) de céréales, près de 545.900 ha de cultures fourragères, près de 300.000 ha de légumineuses alimentaires et 105.860 ha de maraichage d’automne. La réalisation de ce programme prévisionnel dépendra des conditions climatiques et de la disponibilité de l’eau d’irrigation», a-t-il ajouté.
L’eau, le problème
Ces derniers jours, les citoyens casablancais ont dû remarquer une forte baisse du débit d’eau potable le soir, voire des coupures d’eau à partir de certaines heures de la nuit. Gestion des ressources hydriques oblige. En effet, la réalité hydrique du Royaume est pour le moins alarmante : le cumul pluviométrique national au 14 juillet 2024 est de 240 mm, en baisse de 34% par rapport à une campagne normale (362 mm) et de 3% par rapport à la campagne précédente à la même date (247 mm).
Selon Sadiki, le taux de remplissage des barrages à usage agricole à l’échelle nationale avoisine 29% de leur capacité (4.025 Mm³), contre 30% lors de la campagne précédente à la même date. Cette situation n'est pas sans rappeler les sécheresse de ces dernières années, qui ont sévèrement impacté la production agricole et la disponibilité en eau. Ce déficit de précipitations structurel auquel est confronté le Maroc risque donc, encore une fois, de compromettre la campagne agricole 2024-2025. C’est pourquoi Sadiki souligne justement cette préoccupation, indiquant l'arrêt de l'irrigation à partir des barrages dans les principaux périmètres de la grande hydraulique, à l'exception notable de quelques zones. Ainsi, détaille-t-il, en dehors des périmètres du Loukkos et Tafrata, soit un total de 39.000 hectares (ha) représentant 6% de la superficie totale des grands périmètres irrigués, qui bénéficient encore normalement de l'irrigation, les autres grands périmètres (550.000 ha, soit 78% de la superficie totale des principaux districts d'irrigation) subissent des restrictions sévères pour certains et l’arrêt de l’irrigation depuis plusieurs mois, et certains, depuis plus de quatre ans. Dans ce sens, le périmètre du Gharb subit des restrictions moyennes à sévères, les périmètres du Tadla, du Haouz (Tassaout amont et N’fis) et de la Moulouya et Ouarzazate (56% de la superficie globale) sont à restrictions très sévères et arrêt d’irrigation, tandis que ceux du Doukkala et du Haouz (Haouz central et Tassaout aval, Souss Massa et Tafilalet - 38% de la superficie globale) sont en arrêt d’irrigation.
«Seuls 390 Mm³ sont réservés pour l’irrigation, soit 10% des barrages à usage agricole», souligne le ministre. Cette gestion des ressources hydriques n'est pas seulement une question de climat, mais aussi de choix stratégiques. Les programmes annoncés, tels que le développement du semis direct ou l'amélioration de l'irrigation complémentaire, sont certes prometteurs, mais leur réussite dépend intrinsèquement des ressources en eau disponibles. Le défi est donc double : il faut à la fois augmenter l'efficacité des ressources en eau existantes tout en développant de nouvelles sources, telles que le dessalement de l’eau de mer et l'interconnexion des bassins hydrauliques. Mais au-delà des mesures conjoncturelles et structurelles, c’est la politique agricole actuelle qu’il faut repenser dans son ensemble. L'engagement dans des cultures moins gourmandes en eau et l'adoption généralisée de pratiques agricoles innovantes doivent devenir la norme, et non l'exception.
«L’on continue une politique agricole complètement contre-productive, et je dirais même masochiste. Parce qu’on développe des modèles agricoles ultra intensifs, productivistes et donc destructeurs de ressources, à commencer par l'eau. Nous sommes en train de subventionner avec des deniers publics, entre autres du matériel d’irrigation, pour permettre à quelques gros exploitants agricoles (les petits agriculteurs sont rarement concernés) de produire des denrées hydrovores, qui sont de surcroit destinées à l’export», déplorait récemment sur nos colonnes l’économiste Najib Akesbi. Qui préconise de réorienter les choix de production et leur localisation, en tenant compte d’objectifs plus larges de préservation des ressources naturelles et de promotion de la souveraineté alimentaire. «Nous sommes arrivés à un stade où les choix de production, avec leur localisation, doivent être subordonnés à l'état des ressources, c'est-à-dire qu’on ne peut plus produire n’importe quoi, n’importe où», souligne-t-il.
La campagne agricole 2024-2025 se présente donc comme un nouveau test pour la politique agricole et hydrique du Maroc. Mais que l’on ne se trompe pas : au regard du modèle agricole actuel, la réussite de cette campagne dépendra de la manière dont le Maroc parviendra à concilier productivité agricole et gestion responsable des ressources hydriques. Mais elle dépendra surtout de dame météo, dans un contexte marqué par des sécheresses de plus en plus récurrentes.