Le processus a démarré depuis des années par le lancement d’études sur l’usage licite de la plante.
La région du Rif a beaucoup souffert de la marginalisation et de la pauvreté.
Le point avec Chakib El Khyari, coordinateur du Collectif national pour la légalisation du cannabis.
Propos recueillis par C. Jaidani
Finances News Hebdo: Vous avez longtemps milité pour la légalisation du cannabis. Le gouvernement a lancé dernièrement un projet de loi dans ce sens. Quelle est votre réaction ?
Chakib El Khyari : Le Maroc vient de s’aligner sur les orientations des Nations unies et les conventions internationales qu’il a ratifiées. Il s’agit là d’une étape d’un long processus. Dans le cadre de la commission des stupéfiants des Nations unies, le Royaume a voté le 2 décembre en faveur de la sortie du cannabis de la liste des substances toxiques. La décision du gouvernement fait suite à plusieurs initiatives prises auparavant, comme l’annonce du ministère de l’Intérieur en 2008 du lancement des essais et études sur l’usage licite de cette plante. En 2010, le laboratoire scientifique relevant de la gendarmerie royale a entamé, en partenariat avec l’Institut national des recherches agronomiques (INRA), de nombreuses études dans ce sens qui ont abouti à la publication d’un rapport en 2011. Les résultats ont été déployés dans l’objectif de la légalisation du cannabis.
F.N.H. : Le projet de loi répond-il à vos doléances ?
C. E. K. : Notre objectif n’est pas la légalisation du cannabis en elle-même, mais de mettre un terme aux calvaires des exploitants et autres paysans qui vivent directement ou discrètement de cette filière. Au lieu de vendre leur produit aux barons de la drogue, ils auront la possibilité d’écouler leurs récoltes tranquillement sans chantage, sans harcèlement et sans tracas dans un circuit bien organisé. C’est une nouvelle étape et de nouvelles opportunités qui s’ouvrent pour ces pauvres paysans du Rif, qui en ont assez de vivre dans la clandestinité et d’être à la merci de parties occultes. La légalisation devrait ouvrir de nouvelles perspectives d’avenir pour cette région, qui a beaucoup souffert de la marginalisation et de la pauvreté.
F.N.H. : Vous avez toujours avancé le volet social pour défendre la légalisation du cannabis. N’est-il pas opportun de saisir les opportunités qu’il peut créer sur le plan économique ?
C. E. K. : Plusieurs rapports étrangers d’organismes indépendants confirment que le produit marocain représente 40% du total du cannabis écoulé dans le monde. En Europe, la part passe à 80%. La légalisation pour usage thérapeutique ou industriel permettra de canaliser et de mieux contrôler la production et avoir des effets en matière de création d’emploi.
F.N.H. : Pensez-vous que la légalisation résoudra les problèmes liés à cette filière ?
C. E. K. : Comme je l’ai dit, la légalisation n’est qu’une étape qui peut être suivie par d’autres. Le kif est un sujet très complexe qu’il ne faut pas aborder uniquement sous le volet agricole ou sécuritaire. Il s’agit de tout un système installé depuis des siècles. La collaboration de la communauté internationale et des scientifiques est primordiale, et ce pour l’intérêt de toutes les parties. Il faut dès lors s’inspirer des expériences réussies des autres pays, qui ont permis de réduire le crime organisé lié à ce trafic. Une partie des marges générées par cette activité peut être réinvestie dans des opérations de sensibilisation et de prévention pour lutter contre la toxicomanie.
F.N.H. : Que proposezvous pour bien canaliser la production et l’usage du kif ?
C. E. K. : A travers la création d’une agence dédiée, l’Etat marocain agira comme l’unique acheteur auprès des paysans. Il fixera un prix garanti selon les conditions du marché en leur assurant une marge assez confortable pour les sortir de la mainmise des trafiquants. Il peut aussi leur prodiguer, sur le plan technique, un encadrement adéquat pour assurer une bonne récolte tant au niveau de la quantité des produits que de la qualité et même intervenir au niveau des variétés plantées.