Malgré la création de 213.000 postes en un an, le taux de chômage augmente légèrement à 13,6%. Il frôle les 40% chez les jeunes, révélant les limites, voire les échecs des politiques publiques en matière d'emploi.
Par D. William
Le dernier rapport du haut-commissariat au Plan (HCP) sur la situation du marché du travail au troisième trimestre 2024 est sans appel : le chômage reste un défi de taille pour l'économie marocaine, et ce malgré des indicateurs qui, sur le papier, semblent plutôt positifs. Selon les données du HCP, l'économie marocaine a créé 213.000 emplois au niveau national entre le troisième trimestre de 2023 et celui de 2024.
Avec un tel niveau d’emplois créés, on aurait pu s’attendre à un recul significatif du chômage. Or, celui-ci affiche une légère hausse, passant de 13,5 à 13,6%. Ce paradoxe révèle des failles structurelles dans les stratégies d’emploi et laisse entrevoir une inadéquation profonde entre les opportunités créées et les attentes des demandeurs d'emploi. Car si l'on observe de plus près les secteurs ayant contribué à cette création d'emplois, on constate que celui des services est en tête, avec 258.000 postes créés.
Viennent ensuite le BTP avec 57.000 emplois et l’industrie (23.000 postes). Ces chiffres reflètent certes un certain dynamisme, mais suggèrent tout autant une précarité grandissante sur ces emplois. En effet, le secteur des services reste en grande partie marqué par des emplois peu qualifiés et des contrats souvent temporaires ou partiels. Quant au BTP, il est connu pour sa vulnérabilité aux cycles économiques, et l’instabilité qui en découle expose les travailleurs à des périodes d’inactivité fréquentes. Par ailleurs, les chiffres du HCP montrent un large déséquilibre, avec 231.000 emplois créés en milieu urbain contre une perte de 17.000 en milieu rural.
Ce contraste met en lumière un phénomène de plus en plus fréquent au Maroc : l'urbanisation croissante de l'emploi, tandis que le secteur rural reste en déclin, en particulier dans l’agriculture, forêt et pêche, qui a perdu 124.000 postes durant cette période. En effet, ce secteur, historiquement un pilier de l’économie marocaine, subit les aléas climatiques avec des sécheresses successives, contribuant ainsi à la précarisation des travailleurs ruraux. En outre, la problématique du chômage des jeunes est au cœur des préoccupations et reste toujours prégnante. Avec un taux de chômage qui est passé de 38,2 à 39,5% entre le troisième trimestre de l’année 2023 et celui de 2024 pour les 15-24 ans, il devient clair que le système économique actuel peine à offrir des débouchés pour cette jeunesse en quête d'opportunités. Cette tranche de la population, souvent diplômée, intègre difficilement le marché du travail. D’ailleurs, le taux de chômage parmi les diplômés reste élevé (19,8%), frôlant les 20%. Ce constat met en évidence l’inadéquation entre les formations académiques et les besoins réels des entreprises.
De nombreux diplômés se retrouvent ainsi à occuper des postes qui ne correspondent pas à leur niveau de qualification ou, pire, à rester en marge du marché du travail. En cela, outre le chômage, le sous-emploi constitue une autre forme de précarité qui gangrène le marché du travail marocain. En 2024, 1.066.000 personnes se trouvent en situation de sous-emploi, soit une augmentation de 60.000 par rapport à l'année précédente. Le sousemploi touche particulièrement les secteurs du BTP et de l’agriculture, avec des taux atteignant respectivement 19,9% et 11,9%.
Ces chiffres traduisent un marché de l’emploi où de nombreux travailleurs sont soit sousemployés en termes d'heures de travail, soit surqualifiés pour les tâches qu’ils effectuent. Une inadéquation qui, au-delà de l'insatisfaction personnelle, représente une perte de productivité pour l’économie nationale. Face à ces constats, il est donc tout à fait légitime de douter de l'efficacité des politiques publiques mises en place en matière d'emploi. Idmaj, Tahfiz, Taehil, Awrach ou encore Ana Moukawil… sont autant de programmes qui illustrent une stratégie ancrée dans une logique de réponse immédiate aux besoins sociaux, mais qui peinent à répondre aux défis structurels de l'emploi.
Quid de la croissance ?
L’un des principaux défis auquel fait face le Maroc est le faible taux de croissance économique, qui ne permet pas de générer suffisamment d’emplois. En effet, en dépit des efforts pour diversifier l’économie, le Royaume peine à dépasser une croissance de 3%, loin des ambitions du Nouveau modèle de développement (NMD) qui vise à stimuler la croissance pour la porter à un rythme moyen annuel supérieur à 6% et doubler le PIB par habitant à l’horizon 2035. En cause ? Une dépendance persistante au secteur agricole, qui, dans un contexte de sécheresses répétées, devient un frein à la croissance.
«En 2024, la contreperformance du secteur agricole due à l’accentuation de la sécheresse que traverse le Maroc, devrait peser négativement sur la croissance. La reprise du secteur secondaire et la consolidation du secteur tertiaire devraient néanmoins compenser la contraction du secteur agricole, permettant à la croissance d’atteindre 3,3%, en légère décélération par rapport à 2023», explique-t-on dans le rapport économique et financier au titre du projet de Loi de Finances 2025. Aussi, ajoute le rapport, pour l’année prochaine, «sous l’hypothèse d’un retour à une récolte céréalière moyenne, le taux de croissance du PIB devrait connaitre une nette accélération de 4,6%. La valeur ajoutée des activités agricoles devrait, en effet, croitre de 11%. Les activités non-agricoles devraient voir leur croissance se consolider pour atteindre 3,7%, au même niveau de l’année précédente».
Encore une fois, l’agriculture devient le principal déterminant de la croissance en 2025. D’où l’impératif de repenser le modèle économique actuel, en envisageant les programmes de création d'emplois non pas comme des interventions ponctuelles, mais comme des leviers intégrés à une stratégie de croissance globale. En tout cas, le gouvernement a décidé de faire de la promotion de l’emploi et l’insertion sur le marché du travail une priorité majeure durant la seconde moitié de son mandat. C’est pourquoi il a activé les travaux du Comité interministériel chargé de l’emploi, «pour une forte coordination de l’action publique sur ce sujet et pour une meilleure adaptation entre l’offre et la demande de l’emploi». Cela devrait déboucher sur une nouvelle feuille de route qui établira des plans d’action pour les cinq à dix prochaines années, accompagnés de mesures ciblées. Cette initiative permettra-t-elle de résorber drastiquement le chômage endémique des jeunes ? L’avenir nous le dira. En sachant que c’est ce même gouvernement qui avait promis la création de 200.000 emplois nets par an durant sa législature (sic !).