La succession des crises a mis à mal la trésorerie de plusieurs franchises au Maroc qui ont été contraintes de mettre la clé sous la porte. La Fédération marocaine de la franchise plaide, entre autres, pour la révision de la taxe professionnelle afin de garantir une «concurrence loyale».
Par M. Ait Ouaanna
Une petite virée dans les centres commerciaux ou au niveau des principaux boulevards de Casablanca ou Rabat suffit pour constater que bon nombre de boutiques ont mis la clé sous le paillasson. H&M, Charles & Keith, New Yorker, Terranova ou encore Accessories, sont quelquesunes des franchises internationales qui ont décidé du jour au lendemain de quitter définitivement le Royaume.
Selon les données disponibles, le secteur de la franchise au Maroc est représenté par plus de 500 enseignes et plus de 3.000 points de vente, opérant notamment dans l’habillement et le textile, la restauration, la beauté et les services. Le chiffre d’affaires du secteur est, quant à lui, estimé à plus de 20 milliards de dirhams. Depuis l’implémentation des toutes premières franchises étrangères au Maroc, celles-ci ont réussi à susciter un fort enthousiasme auprès des consommateurs.
Progressivement, cet engouement s’est accru, incitant ainsi plusieurs marques internationales à étendre leur réseau de franchises sur le sol marocain. Sauf que ces dernières années, cette tendance s’est inversée : le secteur semble perdre de plus en plus de ses couleurs. D’après Mohamed Elfane, président de la Fédération marocaine de la franchise (FMF), les crises en cascade ont mis en péril la pérennité des franchises. «Les facteurs ayant conduit à la fermeture de certaines franchises et de pas mal de commerces en général, opérant notamment dans le secteur du prêt-àporter, de la restauration ou des accessoires, remontent à 2019. C’est à partir de cette année que les crises se sont succédé les unes après les autres, particulièrement celle provoquée par la pandémie», explique-t-il.
Une reprise semée d'embûches
Relevant que le Covid-19 a porté un coup dur aux franchises et aux commerçants indépendants, Elfane précise que, sauf de rares exceptions, ces activités n’ont pas été soutenues, ce qui a conduit à l'aggravation de leur situation financière. «Suite à la pandémie, les entreprises ont été lourdement endettées, surtout que leur activité n’a réellement repris qu’en 2022 à Casablanca et jusqu’à la fin de cette même année pour les autres villes. Outre le Covid-19, la trésorerie de ces entreprises a fortement été impactée par l’inflation, la guerre en Ukraine, le séisme d’Al Haouz ainsi que la guerre à Gaza. Ces multiples crises ont rendu la survie de certains commerçants et franchises extrêmement difficile», déplore-t-il.
En plus de ces crises impactant directement la trésorerie des entreprises, la baisse du pouvoir d’achat des ménages a considérablement réduit la fréquentation des centres commerciaux, ce qui n’est pas sans conséquence sur la rentabilité des franchises. Comme nous le confirme le président de la FMF, l'obtention d'une marge dans de telles conditions relève du parcours du combattant.
«Ce qui tue l'entreprise, c'est la trésorerie. En analysant la situation en profondeur et en prenant en considération le business model, le prix de location ou encore les différentes taxes que paient les commerçants et les franchises en réseau structuré, il est très difficile de réaliser une marge bénéficiaire. Une marge pour survivre, oui possible, mais pas une marge qui va permettre à l’entreprise de se développer et de liquider ses dettes», insiste-t-il.
Des taxes douanières «excessives»
Par ailleurs, Mohamed Elfane fait remarquer que l'introduction régulière de modifications au régime fiscal marocain crée une incertitude qui freine les investisseurs internationaux dans leur volonté d’investir dans le pays. «La situation actuelle est le reflet d’une conjoncture mondiale, pas uniquement nationale. Ce contexte n’est pas spécifique au Maroc, certes, mais ailleurs, les franchises ont au moins été soutenues et ont bénéficié d’un certain nombre d’avantages, notamment sur le plan fiscal. Au Maroc, le modèle fiscal change pratiquement chaque année, ce qui porte atteinte au développement de l’entreprise. Cela dissuade même les investisseurs internationaux, qui se sentent hésitants à venir engager des capitaux dans le marché marocain. Par exemple, en 2019, la taxe douanière se situait à 25% et, soudainement, ce taux s’est élevé de 15% pour atteindre 40% en 2021, ce qui est énorme et excessif», s’insurge-t-il. Affirmant qu’il est légitime de taxer un produit étranger, Mohamed Elfane souligne la nécessité d’avoir d’abord un substitut local.
«En tant que fédération, la promotion du Made in Morocco fait partie de nos priorités et en même temps, nous portons la voix des investisseurs qui choisissent le Maroc. Certes, les franchises ne représentent pas la production locale, mais elles sont gérées par des sociétés marocaines. Il est donc tout à fait normal de taxer un produit non marocain, mais il faut d’abord avoir son substitut», suggère-t-il. Dans le même ordre d’idées, le président de la FMF explique que la promotion du Made in Morocco ne constitue aucunement une menace à l’existence des franchises au Maroc. «Cette tendance se confirme à l’étranger où la présence de plusieurs marques locales et de nombreuses marques internationales ne nuit pas à l’essor des unes ou des autres. Le Made in Morocco doit donc venir combler un vide qui existe actuellement. Quand on a deux offres, une locale et une autre internationale, le consommateur a plus de choix. Cela va par conséquent permettre au Made in Morocco de se challenger et d’être même meilleur. Si le produit marocain est conforme et répond à certaines normes, il réussira sans nul doute à séduire les consommateurs», précise-t-il.
De nombreux maux à soigner…
Pour favoriser le développement de ce secteur au Maroc, Mohamed Elfane souligne l’importance de miser sur le volet «promotion», notamment à travers la mise en place d’un salon dédié à la franchise, en marge duquel les participants pourront débattre des différentes problématiques qui se posent. Notre interlocuteur a également appelé à la création de «champions nationaux».
«Aujourd’hui, pas mal de marques ont du mal à percer, certaines d’entre elles sont inconnues alors qu’elles existent depuis des dizaines d’années. Il est donc nécessaire d’accompagner ces entreprises, de les renforcer et de les encourager», insiste-t-il. En outre, le président de la FMF note qu’il est indispensable d’effectuer une étude autour du modèle économique de la franchise en vue d’identifier les points à traiter pour permettre à cette entreprise d’être rentable. «Un investisseur cherche entre 12 à 25% de rentabilité, il faut donc trouver les moyens pour lui permettre d’atteindre son objectif», note-t-il. In fine, Mohamed Elfane plaide également pour la révision de la taxe professionnelle afin de «garantir une concurrence loyale» et souligne la nécessité de revoir le processus douanier, de combattre la contrefaçon ainsi que l’informel et de remédier à la problématique des friperies.