La lutte contre la corruption au Maroc a atteint un tournant décisif. Le dernier rapport de l'INPPLC révèle des faits préoccupants concernant l'ampleur de ce phénomène, non seulement en termes d'impact économique, mais également en matière de gouvernance publique et d'équité sociale.
Par M. Boukhari
Le Maroc subit un impact économique important à cause de la corruption, estimé à environ 50 milliards de dirhams par an, soit entre 3,5% et 6% de son PIB. C’est le constat dressé par Mohamed Bachir Rachdi, président de l'Instance nationale de la probité, de la prévention et de la lutte contre la corruption (INPPLC). En effet, l’INPPLC a récemment publié son rapport annuel au titre de l’année 2023 dans lequel elle met en évidence plusieurs conclusions importantes sur l’état de la corruption à l’échelle nationale.
Ainsi, il en ressort que selon l'Indice de perception de la corruption, le Maroc a reculé de 5 points en cinq ans, atteignant un score de 38/100 en 2023. Ce phénomène entrave particulièrement les très petites, petites et moyennes entreprises (TPME), limitant leur accès aux marchés publics et contribuant à leur précarité. La même source indique également que le Maroc est classé 9ème parmi les pays arabes en matière de lutte contre la corruption, et que la région MENA, avec un score moyen de 34/100, reste vulnérable à la propagation de ce fléau.
Un manque à gagner considérable
Cette situation pèse lourdement sur l’économie nationale en réduisant les fonds disponibles pour les projets publics et le soutien aux entreprises, notamment les petites et moyennes structures, qui sont particulièrement vulnérables face à ces pratiques, compromettant leur croissance et la création d'emplois. «L'économie marocaine vise des taux de croissance de 5 à 7% pour atteindre l'objectif ultime de doubler son PIB d'ici 2035, passant ainsi de 130 milliards de dollars à 260 milliards de dollars. Pour y parvenir, il est essentiel de dégager des marges budgétaires permettant d'investir, que ce soit par le secteur public ou le secteur privé.
Cependant, la corruption coûte au Maroc près de 50 milliards de dirhams par an, un manque à gagner considérable pour le Trésor public. Cette somme pourrait être utilisée pour générer des recettes fiscales, destinées à financer les infrastructures, les investissements publics, la création de richesses et de nouveaux emplois», affirme Mohamed Jadri, économiste. Et Jadri de préciser : «À titre de comparaison, ces 50 milliards de dirhams représentent l'équivalent de l'enveloppe budgétaire allouée à l'organisation de la Coupe du monde 2030 au Maroc, ce qui souligne l'ampleur du problème. Si ces fonds étaient récupérés, ils permettraient de créer de nombreux emplois dans des secteurs tels que l'agriculture, l'industrie ou les services. Actuellement, entre 300.000 et 400.000 jeunes arrivent chaque année sur le marché de l'emploi, mais le Maroc ne dispose pas de débouchés suffisants pour absorber toute cette population active».
Coup dur pour l’économie
La perte causée par la corruption est colossale pour une économie émergente comme celle du Maroc. Ainsi, ces 50 milliards de dirhams représenteraient non seulement un coup dur pour l'économie, mais également un manque à gagner pour le pouvoir d'achat des Marocains. «Cette somme profite principalement à une petite minorité, contribuant à l'inégalité dans la répartition des richesses. Aujourd'hui, environ 20% des Marocains les plus riches possèdent plus de 80% de la richesse nationale, accentuant ainsi les inégalités sociales», insiste Jadri. La corruption exerce un impact négatif majeur sur l’économie marocaine, en particulier sur les entreprises, comme en témoignent les chiffres avancés par le rapport de l’INPPLC.
De fait, ce sont plus de 23% des entreprises qui ont signalé avoir été confrontées à des actes de corruption au cours des 12 derniers mois. Pour Jadri, les TPME sont les plus enclines à faire les frais de ce fléau social. «Le tissu entrepreneurial marocain est composé à 96% de TPME, et ces dernières subissent de nombreuses pertes en raison de la corruption. Premièrement, l'accès aux marchés publics est souvent compromis pour ces entreprises, qui n'ont ni les capacités ni les relations nécessaires pour y accéder sans passer par des pratiques corruptives. Or, nombre d'entre elles n'ont pas les moyens de payer des pots-devin, que ce soit à des responsables gouvernementaux, à des membres des collectivités territoriales ou à d'autres entités publiques, ce qui freine leur développement et leur croissance», explique-t-il.
Et de poursuivre : «Deuxièmement, lorsqu’elles parviennent à obtenir des contrats, les délais de paiement auxquels elles font face peuvent parfois dépasser six, neuf mois, voire une année. En cause : la corruption de certains agents chargés de valider les paiements, ce qui entraîne des retards considérables. Ces délais affectent directement la trésorerie des TPME, impactant ainsi leur activité. Beaucoup d’entre elles, notamment les très petites et petites entreprises, ne survivent pas à ces retards de paiement et finissent par mettre la clé sous la porte, déclarant faillite». De toute évidence, cette situation a des répercussions sur la création de richesses et sur l'emploi dans le pays.
«Ce sont précisément ces très petites et petites entreprises qui jouent un rôle essentiel dans l'embauche des jeunes Marocains. L'échec de ces entreprises, souvent dû à la corruption, prive ainsi l’économie marocaine d’opportunités de développement et d’emploi, limitant ainsi son potentiel de croissance», regrette Jadri. In fine, l'INPPLC appelle à une réforme urgente des politiques publiques pour lutter efficacement contre ce fléau et améliorer la gouvernance, soulignant que seules 6% des plaintes pour corruption sont déposées par les victimes. Le rapport recommande aussi une approche multidimensionnelle qui inclut à la fois une digitalisation accrue des services publics et un renforcement des mécanismes de contrôle, le but étant de mieux protéger les entreprises et les citoyens contre les pratiques corruptives.