Pas de grands rassemblements ni de festivités, mais des exigences fortes pour la préservation du pouvoir d’achat des citoyens.
Le gouvernement ne peut malheureusement pas mesurer sa cote d’(im)popularité.
Par D. William
Ce gouvernement semble avoir la baraka du débutant. A l’occasion de ce 1er mai, en effet, le chef du gouvernement, Aziz Akhannouch, et son équipe ne pourront pas prendre la mesure de l’ampleur du mécontentement social. Cette fête du travail tombe non seulement la veille de l’Aïd Al Fitr, mais reste parasitée par la crise sanitaire liée au Covid-19 toujours présente, le tout sur fond de crise géopolitique internationale liée à la guerre russo-ukrainienne.
En l’absence d’une forte mobilisation des centrales syndicales, elle n’aura donc pas forcément la même tonalité. Au même titre d’ailleurs que celles de 2020 et 2021, où il n’y avait ni rassemblements ni marche, pandémie oblige. Toutefois, pour ce 1er mai 2022, si vraisemblablement il n’y aura pas foule dans les rues lors de la traditionnelle parade des syndiqués, cela n’occultera pas cependant l’importance des doléances dans le cahier revendicatif des syndicats. Et la première, l’on s’en doute bien, concerne le pouvoir d’achat des ménages marocains.
La forte poussée de la reprise économique post-pandémie a entraîné de fortes distorsions entre l’offre et la demande et de fortes tensions au niveau des chaînes logistiques mondiales. L’inflation s’est ainsi mondialisée, aggravée par les conséquences de la guerre en Ukraine. Le Maroc fait ainsi face à une flambée des prix des produits alimentaires et des prix des carburants, malgré les mesures de soutien prises par le gouvernement, dont notamment l’aide accordée aux transporteurs, jugée toutefois insuffisante par la profession.
Aziz Akhannouch se targue néanmoins d’avoir déployé les grands moyens pour lutter contre l’ascension des prix. «Le gouvernement ne fait actuellement que gérer les incertitudes. Nous ne contrôlons pas les crises ni leur timing. Nous faisons de notre mieux et avons lancé des programmes d’urgence de soutien à plusieurs secteurs : 10 milliards de DH pour l’agriculture, 2 milliards de DH pour le tourisme et 2 milliards de DH pour le transport, avec le soutien de 180.000 véhicules. Pour le soutien des produits de base, nous dépensons 747 millions de DH par mois pour subventionner le blé tendre. Trois milliards de DH sont débloqués pour le sucre. L’Etat apporte un soutien supplémentaire à l’ONEE de 14 milliards de DH pour que le prix de l’électricité reste stable, sinon il aurait dû augmenter de 40%. Pour le butane, nous sommes passés de 9 milliards de DH en 2021 à 14 milliards de DH en 2022. D’autres mesures ont été apportées en faveur des entreprises, comme la restitution de 13 milliards de DH de TVA», a-t-il souligné le 18 avril lors de son passage à la Chambre des représentants.
«Ces mesures ont eu un impact positif sur le pouvoir d'achat des citoyens et ont permis d'éviter des chocs au niveau des prix. Sans le système de soutien et les diverses mesures à caractère social prises par le gouvernement sous hautes instructions royales, les prix auraient pris des courbes terribles», se défend-il. Arguments convaincants ?
Aux yeux des syndicats, pas tout à fait. Car tant l’Union marocaine du travail (UMT), la Confédération démocratique du travail (CDT), l’Union nationale du travail au Maroc (UNTM), l’Union générale des travailleurs du Maroc (UGTM) que la Fédération démocratique du travail (FDT) ont fait de la défense du pouvoir d’achat des ménages leur cheval de bataille, en demandant entre autres une revalorisation des salaires, voire une augmentation des pensions de retraite. «La fête du 1er mai 2022 coïncide avec une conjoncture difficile marquée notamment par une flambée des prix et une stagnation des salaires. Le pouvoir d’achat des Marocains, surtout celui de la classe ouvrière, a nettement baissé. La pandémie et la crise économique ont porté un sérieux coup au marché du travail. On note ainsi un nombre élevé de faillites d’entreprises et de licenciements, sans oublier bien entendu le gel des salaires. La situation actuelle est très tendue et risque de dégénérer», avertit Mohamed El Harak, membre du bureau syndical de la CDT.
Malgré cela, «nous avons l’impression que le gouvernement a d’autres préoccupations que de chercher à protéger les populations les plus défavorisées», constate-til. Non sans déplorer «un véritable retour en arrière sur plusieurs acquis» et que les manifestations soient «fortement réprimées et plusieurs de nos militants incarcérés».
Même son de cloche chez El Ouardane Mostafa, membre du secrétariat général de l’UMT. Selon lui, «il faut augmenter les salaires et baisser les impôts sur le revenu pour que la classe ouvrière puisse faire face au renchérissement du coût de la vie. Nous voulons que le gouvernement mette en œuvre le méga-projet de la généralisation de la protection sociale et trouve des solutions plus pertinentes pour les caisses de retraite». Il plaide également pour le lancement d’«un véritable contratprogramme entre les syndicats, le patronat et le gouvernement», tout en appelant à «mettre un terme au harcèlement des syndicalistes et des militants».
Si l’UMT s’exonère d’organiser manifestations et défilés à cause, faitelle savoir, de l’Aïd et de la crise sanitaire, la CDT, l’UNTM et la FDT, elles, comptent bien battre le pavé pour porter leurs revendications sur la place publique. Cela, alors que le chef de gouvernement a réaffirmé sa volonté de poursuivre le dialogue social et de conclure un accord avant le 1er mai. Au moment où nous écrivions ces lignes, Akhannouch avait prévu de rencontrer à nouveau les centrales syndicales pour un nouveau round de négociations.
Au-delà du dialogue social
Un gouvernement populaire ? Impopulaire ? Ce qui est sûr, jamais un gouvernement n’a été aussi critiqué au Maroc au tout début de sa législature. Et jamais les citoyens n’ont senti une telle distance entre eux et ceux qui sont aux affaires. Et en juxtaposant le cafouillage lors de la formation de l’équipe gouvernementale (avec notamment la nomination de Nabila Rmili au ministère de la Santé et son limogeage une semaine plus tard), les différentes revendications syndicales, les errements relatifs à l’obligation du pass vaccinal et aux fermetures/réouvertures des frontières nationales, la cherté de la vie…, le tout couronné par le déficit de communication bruyant du gouvernement, cette majorité n’emballe pas. Pour ne pas dire qu’elle tue à petit feu le préjugé favorable dont il jouissait et tout l’enthousiasme populaire qui a suivi le départ du Parti de la justice et du développement du pouvoir. Bref, les électeurs ont de plus en plus l’impression de s’être fait cocufier par un gouvernement qui «travaille» en totale autarcie.