Avec ses grands chantiers structurants en cours et à venir, le Maroc représente un terrain propice pour le développement des partenariats public-privé. Cependant, ce modèle de financement se heurte à de nombreux défis. Décryptage.
Par Désy. M.
Au cours des vingt dernières années, le Maroc a placé le développement de ses infrastructures essentielles au cœur de ses priorités, dans le but de soutenir sa croissance économique et de renforcer son attractivité. Plusieurs projets d'envergure, comme la Coupe d'Afrique 2025 et la Coupe du monde 2030, ont intensifié cette dynamique, plongeant le pays dans une ère de chantiers à très haute intensité.
Nouvelles lignes de train à grande vitesse, extension du réseau autoroutier, modernisation des aéroports, mise à niveau des infrastructures touristiques, rénovation des stades et aménagements urbains massifs… autant de projets qui requièrent des investissements colossaux, à la hauteur de l’ambition diplomatique, économique et régionale du Royaume. Face à l’ampleur des coûts difficilement supportables par le seul budget public, l’État affirme sa volonté de renforcer le recours aux partenariats public-privé (PPP) comme mécanisme de financement, notamment à travers la nouvelle Charte de l’investissement. Pourtant, sur le terrain, ce modèle reste faiblement mobilisé. Plusieurs obstacles structurels freinent l'exploitation optimale de ces partenariats, qu’il s’agisse de défis juridiques, budgétaires ou administratifs.
Un cadre juridique modernisé, mais une pratique encore limitée
Le Maroc dispose depuis 2015 d’un cadre légal pour les PPP, renforcé par la loi 86-12. Cependant, celuici reste peu adapté à la complexité des projets d’envergure. Les investisseurs privés se heurtent à un environnement réglementaire instable, caractérisé par une absence de standardisation des contrats et des mécanismes de règlement des différends insuffisamment clairs. «Le cadre institutionnel et réglementaire présente encore de nombreuses carences. Il est trop morcelé, peu lisible, et cela dissuade bon nombre d’acteurs internationaux de s’y engager sur le long terme», explique Hassan Edman, professeur en économie et gestion à la faculté des sciences juridiques, économiques et sociales d’Agadir. Et d’ajouter que «cette insécurité juridique est accentuée par le flou entourant les garanties financières de l’État et la possibilité de révision unilatérale des contrats par les autorités publiques. Ce risque, loin d’être théorique, renforce la méfiance des investisseurs et pousse certains porteurs de projets à se détourner du marché marocain.
De plus, le processus d’appel d’offres, long et parfois opaque, ralentit la dynamique de mobilisation du capital privé». Au-delà des questions juridiques, les difficultés sont aussi budgétaires. L’État, engagé dans une politique stricte de maîtrise des dépenses publiques, peine à offrir les garanties souveraines nécessaires à la sécurisation des PPP, surtout pour les projets aux besoins de financement élevés. «La dernière circulaire du gouvernement sur les priorités budgétaires 2026-2028 insiste sur la nécessité de rationaliser les dépenses, ce qui réduit la capacité de l’État à soutenir les grands projets comme ceux du Mondial 2030», souligne Edman. Par ailleurs, les PPP, censés alléger la charge financière publique, peuvent au contraire devenir plus coûteux que les investissements directs, notamment en raison des primes de risque exigées par les partenaires privés. Les projets liés aux grands événements sportifs à venir représentent un test grandeur nature pour la gouvernance publique. Pour réussir, il faut une coordination étroite entre les ministères, les collectivités locales et les entreprises publiques. Or, cette coordination est encore embryonnaire. De plus, la commission nationale des PPP prévue par la loi n’a pas été mise en place.
Une faible capacité du tissu privé local
L’autre limite majeure concerne le manque de capacités du secteur privé marocain. Les PME locales, souvent dépourvues de l’expertise nécessaire, peinent à se positionner sur les projets d’envergure. Le Maroc se tourne donc vers de grands groupes étrangers, notamment européens, pour piloter ses PPP. Une stratégie qui, certes, permet d’avancer, mais qui limite les retombées locales en termes de transfert de compétences et de développement industriel.
«L’écosystème privé marocain reste fragile. Le pays s’en remet massivement à des opérateurs étrangers, au détriment de l’autonomie de son tissu entrepreneurial. L’absence de ressources humaines qualifiées dans les structures publiques freine la bonne mise en œuvre des projets. Ce déficit technique engendre de véritables inefficacités dans la gestion des partenariats», avertit le professeur. Pour que le potentiel des partenariats public-privé soit pleinement exploité, une réforme profonde est nécessaire. «Le renforcement du cadre juridique, la mise en place de mécanismes de financement innovants, la formation des administrations publiques et la mise en place d’un dialogue social transparent sont autant de solutions possibles pour surmonter les obstacles actuels», conclut Hassan Edman.